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Je ne veux pas dire comment je ne veux pas mourir !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 13/12/2014

Ce n'est pas pour nous qu'on va légiférer. Seulement pour permettre aux médecins, avec bonne conscience, de devenir les bureaucrates de notre mort. De ce qui devrait demeurer, dans une intimité jalousement préservée, comme un scandale absolu, une lutte finale dont nous sortirions vaincus mais vainqueurs.

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La sollicitude de ce pouvoir socialiste, à force d'être bienveillante, devient étouffante.

Il s'est mêlé il y a quelque temps de nos choix de vie en venant poser sa lourde patte sur le mariage, sur les homosexuels et ceux qui ne le sont pas, sur la nature et sur la culture.

Son totalitarisme inspiré par sa conception du Bien pour tous, à cause de son emprise insinuante, sournoise et cependant impérieuse, par moments me fait considérer que celui du Mal, avec ses violences et sa domination à visage découvert, est moins pervers, plus facile à affronter parce qu'ostensible.

Maintenant, cet Etat est à ce point indiscret et sans pudeur qu'il vient se glisser dans nos lits de mort.

Je pourrais me contenter de citer Philippe Pozzo di Borgo tétraplégique depuis plus de vingt ans : "Il faut aider à vivre, pas à mourir" (Le Parisien).

Mais ce serait me réfugier lâchement sous une bannière exemplaire et que le film Intouchables a magnifiquement sublimée.

Les députés PS Alain Claeys et UMP Jean Leonetti - décidément, ce dernier ne quitte pas le funèbre - ont remis au président de la République un rapport "qui servira de base à l'élaboration d'une nouvelle loi pour définir les conditions de prise en charge de la fin de vie".

Trois mesures sont préconisées qui en réalité se réduisent à deux fondamentales (Le Monde).

D'une part l'autorisation de la sédation terminale qui serait une synthèse entre l'intangibilité de la vie et l'euthanasie dont le nom est à proscrire à défaut de sa réalité. Car qu'est d'autre cette proposition de "sédation terminale" qu'une euthanasie consentie ? Elle ne serait en effet pratiquée que pour les patients en fin d'existence et la réclamant. Selon Jean Leonetti - admirons cette subtilité toute médicale ! -, "il s'agit de laisser partir le patient en dormant... mais sans provoquer directement sa mort".

Ce dispositif, d'autre part, sera facilité par les directives de fin de vie qui, d'indicatives, vont devenir contraignantes. Elles s'imposeront aux médecins.

Cette manière d'insister sur ce processus conduisant une personne, à une certain moment de sa trajectoire, à décréter les conditions de sa mort future a pour effet pervers d'ancrer dans l'esprit collectif la validité, voire la nécessité d'une telle démarche. Il y a là comme une sorte d'appel à sortir notre fin à venir du champ intime et familial pour l'ancrer dans une sorte de disparition administrative programmée.

J'entends bien que chacun est libre de se croire, à un instant précis de son parcours, suffisamment sûr de soi, assez conscient de ses forces et de ses faiblesses pour édicter une instruction que la nouvelle loi ne permettra plus d'éluder.

Mais si les résolutions de l'âme ont changé sans que leur traduction ait pu être extériorisée ? Si, juste avant, la peur de mourir fait qu'on préfère encore un peu mal vivre plutôt qu'être endormi par sédation avant l'heure ?

Plus gravement, si je ne veux pas dire comment je ne veux pas mourir, c'est parce que je refuse d'abandonner, malgré l'inéluctabilité de notre condition mortelle, mon humanité aujourd'hui vaillante, demain peut-être souffrante, pour la confier à d'autres. Je déteste cette volonté bureaucratique de s'insérer entre soi et soi, entre soi et ses états d'âme, ses peurs, ses courages, sa résignation ou ses révoltes, je récuse cette obsession de venir en surplomb peser sur nos destins et nous enjoindre de décider par avance de ce que délibérément beaucoup préfèrent laisser dans un flou frileux et rassurant ou dans une incertitude métaphysique.

Je ne désire pas que ce pouvoir s'occupe de nous, de moi, pour tout. S'il y a une dernière prérogative qui devrait nous être laissée, c'est bien celle de n'avoir personne, jamais, qui viendrait écouter aux portes de notre difficulté d'être, de notre angoisse, de notre résistance ou de notre soulagement face à l'issue prévisible ou imminente.

Ce n'est pas pour nous qu'on va légiférer.

Seulement pour permettre aux médecins, avec bonne conscience, de devenir les bureaucrates de notre mort.

De ce qui devrait demeurer, dans une intimité jalousement préservée, comme un scandale absolu, une lutte finale dont nous sortirions vaincus mais vainqueurs.


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