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La poésie de la campagne, la prose du pouvoir

Justice au singulier - philippe.bilger, 12/09/2012

La poésie de la campagne, la prose du pouvoir, ce serait inéluctable ? Peut-être mais il ne faut pas en abuser.

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Les actions même valables de Nicolas Sarkozy ont été mal appréciées parce que son insupportable personnalité, sa choquante pratique de l'Etat et sa honteuse fin de campagne masquaient, pour beaucoup, presque tout.

Pour le président Hollande, globalement c'est le processus inverse. En dehors d'une minorité de citoyens sectaires, personne ne discute que sa conception de la normalité a fait du bien à notre démocratie même si à l'évidence elle offre une apparence honorable mais ne garantit en rien la force et la validité du fond. Le paradoxe est que débarrassé de toute aigreur sur la forme, on est infiniment vigilant sur la substance, les modalités techniques du pouvoir, les maladresses ou les reniements par rapport aux engagements initiaux.

On a beau savoir qu'inévitablement l'irruption du réel dans les promesses les prive de leur enchantement, il demeure qu'on espère le moins de "casse" possible dans cette confrontation quotidienne entre l'idéal et les principes et leur incarnation ici et maintenant.

Il n'a pas fallu longtemps pour que la poésie de la campagne soit remplacée par la prose du pouvoir (Le Figaro, Le Parisien, Marianne 2).

Ce qui me choque ne tient pas au fait que les difficultés économiques et sociales, les terribles défis des contraintes européennes demeurent plus préoccupants que jamais, s'aggravent même. Qui pourrait de bonne foi soutenir qu'au bout de quatre mois, une politique, aussi clairvoyante et avisée soit-elle, aurait dû avoir l'efficacité requise par l'intensité des crises nationale et internationale ? D'autant plus que le président Hollande, qu'on discute ou non le bien-fondé de son diagnostic et de son calendrier, a su tenir un discours volontariste directement connecté sur l'opératoire des mesures à prendre dans l'urgence.

En revanche, nous n'avons aucune raison d'être indulgents à l'égard de transgressions que rien n'imposait, que nulle pression extérieure ne justifiait. Elles sont diverses mais concernent la République globalement entendue et en tout cas la qualité du débat démocratique. On ne peut légitimement imputer à un Pouvoir que les fautes dont il est exclusivement responsable.

Que dire de cette affligeante pantalonnade du PS où on a l'impression que Martine Aubry désigne son successeur et qu'on n'a pas été capable de dénicher deux compétiteurs au moins pour la façade, délestés de tout passé judiciaire même si je ne surestime pas la gravité de celui de l'un et de l'autre, d'Harlem Désir nommé et de Jean-Christophe Cambadélis qui est évidemment, contrairement à son élégance factice, à la fois "déçu et défait" ? Ces péripéties bureaucratiques renvoient à un soviétisme soft et en tout cas font passer la lutte pour la présidence de l'UMP pour un modèle de transparence et d'équité alors qu'on y sent bien aussi la volonté d'écarter le seul qui vaille et puisse redonner des couleurs intellectuelles et éthiques à la droite, Bruno Le Maire.

Est-il nécessaire également de mettre le Parlement sous pression et de "reprendre les méthodes que le PS dénonçait lorsque la droite était au pouvoir" (Le Monde) ? Quelles que soient les explications fournies, on ne pourra que constater les dégâts : ce qui avait été promis n'a pas été tenu et un Etat à dominante socialiste, au lieu de se faire un honneur de sa modération et de son respect du débat, a préféré revenir sur les chemins traditionnels, donc verrouillés, du dialogue parlementaire.

Est-il convenable d'ajouter à la détresse sociale des salariés de PSA à la suite d'un plan inévitable, l'hypocrisie d'une attitude tactiquement légitimée par une expertise qu'il aurait été lucide de prévoir avant les rodomontades d'il y a quelques mois ? La conséquence de cette méthode erratique est qu'en amont on amplifie le traumatisme à la fois singulier et collectif et qu'en aval on altère sensiblement la crédibilité et la parole de l'Etat. On en a assez de ces commissions et de ces expertises qui n'ont pour finalité que d'atténuer le péremptoire et le sommaire de décrets dont les socialistes eux-mêmes sentent la relativité.

Il est clair que le sociétal va devenir la roue de secours d'un Etat englué dans la recherche de solutions inédites pour réduire l'implacable montée du chômage avec ses répercussions sociales, confronté à un gouffre économique et financier avec la fuite scandaleuse possible de milliardaires et de fortunés dont le rêve serait de privatiser la France.

Ce n'est pas l'intervention même de Christiane Taubira dans La Croix, quotidien sous-estimé, qui pose problème. Elle prend de vitesse certes sa collègue Bertinotti, marque son espace deux mois à l'avance mais surtout formule avec honnêteté sur le mariage homosexuel des observations contradictoires dont elle se tire par une pétition de principe. En effet, admettre les entraves anthropologiques et philosophiques qui s'opposent à cette union mais conclure qu'elles pèsent peu en face de l'exigence d'égalité, c'est déclaré tranché un débat qui précisément mériterait d'être creusé. L'aspiration à l'égalité d'une minorité doit-elle être forcément plus décisive que les considérations dont la ministre a bien voulu rappeler l'existence significative ?

On aura pu constater également que les associations de défense des homosexuels, loin de se satisfaire de cette évolution probable, sont prêtes à mener un combat jusqu'auboutiste avec une sénatrice dans leur manche, Esther Benbassa. Je ne suis pas sûr que même par rapport aux espérances prodiguées par le candidat Hollande, cette subite accélération ne va pas apparaître comme un processus de dérivation, un moyen de fuir le noyau dur de la politique pour un consensus jeté en pâture au peuple de gauche et à une part de la droite qui sous Nicolas Sarkozy s'était voulue encore plus progressiste sur ces sujets que ses adversaires naturellement accordés au mouvement.

Je pourrais continuer à égrener d'autres exemples mais je me refuse à confondre les adaptations bienfaisantes avec les abandons en ras pouvoir quand la campagne séduisait. Dénoncer ces quelques couacs et fiascos - je n'ai pas évoqué les différends ministériels qui ont été, sont et seront monnaie courante - ne revient pas à une remise en cause globale de ce début de quinquennat mais il y a trop d'alertes et de signaux négatifs pour que les socialistes s'en soucient, a fortiori encore plus ceux qui, ne l'étant pas, ont élu en majorité François Hollande.

La poésie de la campagne, la prose du pouvoir, ce serait inéluctable ? Peut-être mais il ne faut pas en abuser.


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