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Cris et accablement

Justice au singulier - philippe.bilger, 28/03/2013

Et nous aurons alors des élections où le FN, naturellement, accueillera tous ceux, socialistes ou non, qui se souciant peu des clivages politiques, des étiquettes conventionnelles, n'auront qu'une envie : aller là où la bienséance démocratique comptera moins que leurs frustrations, leur rage, leur incompréhension. Leur "il n'y a qu'à" simplet et, pour eux, salvateur. Cris et accablement.

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Personne n'a été vraiment surpris : Henri Guaino ne s'estime pas responsable des menaces de mort - enveloppe contenant une cartouche à blanc - adressées aux trois magistrats instructeurs bordelais ayant mis en examen Nicolas Sarkozy pour abus de faiblesse.

De fait, depuis quelques jours, ce député UMP, jamais connu pour ses nuances, est irresponsable.

Il est évident que le climat collectif d'hostilité, voire de haine développé avec bonne conscience par certains politiques chez qui l'inculture judiciaire se mêle sans vergogne au soutien partisan a favorisé les démarches d'imbéciles et d'obtus qui n'attendent que la permission explicite ou implicite d'en haut pour se livrer en bas à des turpitudes. Pourquoi s'embarrasseraient-ils de scrupules puisque, sur le plan intellectuel et judiciaire, ils ont été chauffés à blanc ?

Ce consensus vindicatif qui, en d'autres circonstances, serait comique tant les éléments de langage fournis font apparaître la pauvreté des propos n'a pas été battu en brèche assez rapidement et avec assez de fermeté. Si Christiane Taubira a eu une double réaction, la première a été anodine.

La seconde tout de même plus affirmée vient au soutien judiciaire de l'action engagée par le magistrat Gentil mais n'échappe pas sur un autre plan au ridicule. Etait-il vraiment nécessaire de saisir le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) dans sa formation plénière pour lui demander son avis sur "les conséquences des attaques sur le bon fonctionnement de la justice", alors qu'en plus, spontanément le CSM "siège" avait déjà donné le sien de réprobation ? L'interrogation du garde des Sceaux ressemble aux démarches vaines qu'on accomplit quand on n'a rien de concret à proposer mais qu'on veut donner l'impression d'agir. On se doute bien de la réaction du CSM (Le Figaro, Le Monde) !

Christiane Taubira qui fait l'objet d'une mise en cause argumentée sur ses méthodes, sa désorganisation au travail et son environnement personnel a présenté le 27 mars en conseil des ministres un projet de loi visant " à empêcher toute ingérence de l'exécutif dans le déroulement des procédures pénales afin de ne pas laisser la place au soupçon qui mine la confiance des citoyens dans l'institution judiciaire" (Mediapart).

Quel beau programme qui, pour le président, est "fidèle à notre conception de la justice et du droit"!

Je crains que de telles dispositions représentent de la "poudre à l'esprit", une "esbrouffe" facile, d'abord parce que, depuis le mois de mai 2012 - et c'est à l'honneur du gouvernement - le cours des affaires judiciaires "sensibles" n'a plus été troublé par des interventions intempestives de l'Etat et qu'ensuite, toute loi, même la plus sulpicienne du monde, encadrant la justice dans sa part officielle n'interdira pas les manoeuvres et les recommandations officieuses, dans les coulisses du Pouvoir.

Il aurait été plus signifiant, de la part de Christiane Taubira, de ne pas s'arrêter à la seule assistance à Jean-Michel Gentil mais de taper du poing sur la table de la démocratie, au nom de l'Etat de droit, en faisant engager des poursuites contre les quelques opposants ayant dépassé les bornes dans leur critique d'une décision de justice et leur animosité à l'encontre de l'homme Gentil. Son abstention laisse malheureusement penser que la frilosité et la prudence politiques et la crainte des retombées ont plus pesé que la conscience de son devoir républicain.

Le président de la République répondra ce soir aux questions durant 45 minutes et il va faire avec le peu qu'il a mais avec le crédit dont sa personne dispose toujours auprès d'une majorité de Français. Il est évident cependant que l'impression qui prédomine est celle d'une bonne volonté qui ne s'essoufle pas mais qui ne donne rien. La moindre embellie changerait la donne mais pour l'instant, sur tous les plans, l'optimisme et la sérénité présidentiels ne rassurent plus parce que la réalité s'en moque (France 2).

De l'autre côté, la nostalgie du quinquennat écoulé va cesser d'apparaître, à droite, comme un programme et j'espère que les citoyens qui ont considéré qu'entre le sarkozysme tel qu'éprouvé de 2007 à 2012 et le socialisme en crise il existe une place pour une droite intelligente, intègre et neuve auront un jour satisfaction.

Il faudrait à l'UMP beaucoup plus de Bernard Debré qui a affirmé, avec une verdeur et une sincérité qui ont dû secrétement faire plaisir à beaucoup, l'obligation de tourner la page Sarkozy, de ne pas laisser croire que la droite se limitait à ce passé défait mais était capable d'ouvrir d'autres perspectives avec d'autres personnalités (LCI). J'attends avec impatience qu'un téméraire, un lucide viennent dire en face à Sarkozy que son pseudo effacement, sa discrétion ostensible bloquent la renaissance de la droite parce qu'ils contraignent les meilleurs en son sein à piaffer, à se retenir alorsqu'il y a urgence. Viennent lui déclarer, tout simplement, qu'il a été vaincu et que ses protestations de moralité présidentielle font plus rire qu'émouvoir.

Si quelques UMP ont montré leur infinie vulgarité à l'égard du juge Gentil, ils semblent beaucoup moins audacieux en face d'un Sarkozy qui mériterait d'entendre qu'il a présidé, joué, déçu et perdu. Tant qu'ils demeureront cois, qu'ils seront tétanisés d'immobilisme parce que Sarkozy bloque toutes avancées de l'UMP, qui se feraient sans lui, il y aura match nul entre la gauche empêtrée dans ses impuissances et ses échecs et une droite enkystée dans une opposition sans imagination. Aucun désir de l'une ou de l'autre.

Et nous aurons alors des élections où le FN, naturellement, accueillera tous ceux, socialistes ou non, qui se souciant peu des clivages politiques, des étiquettes conventionnelles, n'auront qu'une envie : aller là où la bienséance démocratique comptera moins que leurs frustrations, leur rage, leur incompréhension. Leur "il n'y a qu'à" simplet et, pour eux, salvateur.

Cris et accablement.


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