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Claire Chazal, c'était trop long !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 9/09/2015

Je ne suis pas inquiet pour elle et puis-je, avec galanterie et sincérité, lui conseiller, pour son futur, un lieu magique où on a l'obligation de s'esclaffer face à la nullité, de dire du bien, de célébrer sans lire et de pourfendre par injonction, où les clientélismes, le copinage, les réseaux mondains et culturels, l'élitisme bas et les journalistes de Panurge surabondent ? La télévision.

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J'aurais mauvaise grâce à feindre de déplorer l'éviction en douceur de Claire Chazal par TF1 alors que depuis des années, modestement, je dénonce le hiatus, le gouffre qui existent entre la "star people" qu'elle est et "la reine de l'info" qu'elle n'a jamais été (Le Parisien, Le Point.fr, Le Figaro).

Je ne suis pas triste, je suis heureux de constater qu'au bout de 24 ans, la lucidité l'a enfin emporté. J'ai d'autant moins de scrupule à demeurer sur ma ligne constante qu'à ma vive stupéfaction, sur Twitter elle bénéficie d'innombrables messages de soutien, de l'expression d'une infinité de regrets et de nostalgies. Mais, au fond, cette émotion collective est normale.

D'abord on adore se sentir ainsi solidaires et touchés même pour des événements somme toute secondaires. Ensuite, et surtout, on se penche avec une sorte de tendresse mièvre et molle sur 24 ans de sa propre existence, on dit au revoir, voire adieu, à une longue habitude, à un être présent chaque fin de semaine. On ne célèbre pas une compétence, on pleure une amie médiatique. Pourquoi pas après tout ? Si cela fait plaisir à une multitude de privilégier le coeur et de ne pas se préoccuper de l'essentiel, du métier, du talent, de la pugnacité de la présentatrice, peu m'importe.

Star people tant qu'on veut, jusqu'à plus soif, avec des médias accourant comme un seul sauveur à chaque fléchissement, chaque mise en cause, quand la médiocrité professionnelle était trop visible, trop apparente. Alors elle avait droit à des interrogations passionnantes sur ses parents, ses amours, son fils et sa culture ! Cela revenait régulièrement comme une marée. Cela la faisait remonter dans l'estime de son employeur. On parlait d'elle quand elle était menacée. Comme on parlait d'elle, elle n'était plus menacée. Aussi simple que cela !

Mais reine de l'info, jamais de la vie ! Aimable, souriante, de belle apparence, Claire Chazal, paraît-il excellente collègue et femme adorable, était une présentatrice qui lisait parfaitement le prompteur et n'était pas plus mauvaise que d'autres dans les exercices qui n'exigeaient pas d'investissement personnel.

Mais quelle catastrophe quand, lors du journal télévisé ou sur d'autres supports, elle était contrainte de compter sur elle-même et de devoir inventer ses questions, stimuler le débat et donner au moins l'impression d'une journaliste libre, spontanée et parfois critique ! Elle n'y est jamais parvenue, c'était une insigne faiblesse dont elle avait conscience à mon sens puisqu'elle ne cessait d'insister sur sa bonne éducation, sa courtoisie, sa politesse. Comme si elles justifiaient son urbanité professionnelle proche de l'effacement à force de proximité.

Ligotée par le mondain, empêtrée dans la bienveillance, rassurée par sa propre superficialité qui ne lui faisait craindre aucune réplique un peu vive, aucun conflit, elle avait commis le pire avec DSK et généralement décevait ceux qui attendaient d'elle des audaces même convenables jamais surgies de sa bouche. C'était la bourgeoisie sur le petit écran, avec ce qu'elle a de distingué, d'agréable mais de limité.

Cette inaptitude à un questionnement vigoureux, que TF1 a trop longtemps tolérée comme un moindre mal, n'a démontré, chez Claire Chazal, rien d'autre qu'une impuissance très technique et circonscrite.

En effet, à l'évidence intelligente, cultivée, maîtresse de sa langue dans le quotidien - j'en suis persuadé -, elle n'était cependant jamais à même d'aller au-delà, de pousser les feux, de trouver, dans l'immense champ du possible, les questions qu'il fallait formuler, les interrogations qu'il convenait de proposer, avec cette imprévisibilité et cette relative et discrète impertinence qui font les trop rares journalistes exemplaires. Parler à autrui n'est pas la même chose que parler avec lui. Dialoguer avec lui dans l'espace médiatique, ce n'est pas transférer le salon de thé ou la réunion urbaine à TF1. C'est prendre un risque : celui de devoir proférer un "non, je ne suis pas d'accord". Chez elle, tout au plus, une moue à peine dubitative.

Claire Chazal n'a jamais pu, n'a jamais su.

Je mets à sa décharge que cette infirmité provenait au moins partiellement d'une nature absolument pas arrogante qui probablement souffrait, sur quelques plans, d'un complexe d'infériorité - d'où sa frénésie à compenser par le people ce qui lui manquait dans sa pratique de présentatrice - qui la conduisait sans cesse à demeurer en deçà de ses possibilités par peur de s'aventurer au-delà de ses limites, dans un inconnu qui aurait été si stimulant pour un autre qu'elle. Doutant d'elle, elle allait vers l'autre sans le contredire, à fleur de pensée. Ce n'était plus du savoir-vivre mais de l'étouffe-tiède.

Elle aurait pu, dû faire mieux mais pourquoi l'aurait-elle même tenté puisque les médias corporatistes en diable lui auront permis de prospérer dans son cocon soyeux et complaisant ?

Je ne suis pas inquiet pour elle et puis-je, avec galanterie et sincérité, lui conseiller, pour son futur, un lieu magique où on a l'obligation de s'esclaffer face à la nullité, de dire du bien, de célébrer sans lire et de pourfendre par injonction, où les clientélismes, le copinage, les réseaux mondains et culturels, l'élitisme bas et les journalistes de Panurge surabondent ?

La télévision.


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