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On a du plaisir à lire Delphine de Vigan !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 8/11/2015

Enfin - j'ose à peine l'avouer car Le Monde des livres va m'exclure et me gronder -, elle fait preuve d'une extraordinaire faculté narrative. On veut aller plus loin, plus vite et en même temps on aspire à retarder l'échéance, la fin. C'est trop bon. Oui, je franchis le pas. On a du plaisir à lire Delphine de Vigan.

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Comment choisit-on le dimanche un sujet pour son blog ?

On est encore sous le coup de la vive déception d'avoir perdu un long texte, la veille, à la suite d'une malencontreuse manoeuvre.

On n'a plus envie d'écrire sur la Justice, sur François Hollande et sur Nicolas Sarkozy. Ni sur cette droite médiatique qui ne comprend pas qu'en attaquant globalement l'institution judiciaire, elle se prépare et influence un quinquennat qui sera alors forcément aussi honteux que celui de 2007 sur ce plan.

On a beaucoup aimé le numéro de l'Obs sur les intellectuels de gauche qu'on oppose un peu confortablement à des essayistes qualifiés d'ultra droite comme Eric Zemmour et Alain Finkielkraut. Le critère essentiel pour distinguer les uns et les autres est sans doute que la pensée réactionnaire est très critique sur aujourd'hui, imprégnée de nostalgie et sans mépris pour des problématiques comme l'identité nationale et l'insécurité. Alors qu'à gauche on considère qu'elles sentent mauvais et que le peuple est un guide médiocre puisqu'il est populiste.

Mais on n'a pas le courage de développer.

Heureusement, dans cette incertitude, surgit comme une oasis, une lumière, le bonheur d'avoir lu ces derniers jours un très grand livre de Delphine de Vigan : "D'après une histoire vraie". Coup de chance, elle a obtenu le prix Renaudot (Le Point).

Certaines femmes ont un incroyable talent dans le domaine du journalisme ou de la littérature.

Delphine de Vigan est une formidable romancière.

Alors que le milieu de la critique artistique, notamment littéraire, me semble en France gangrené par du pur clientélisme - le compagnon de DdV, François Busnel, est un homme cultivé et intelligent mais qui passe son temps à promouvoir des oeuvres et des écrivains déjà consacrés - et que rares sont les articles qui vous persuadent que le livre a été lu puis que l'auteur n'est pas un ami à flatter ou un ennemi à pourfendre, il y a parfois des miracles lors de la remise des prix.

Christine Angot a reçu le prix Décembre et je persiste : même si elle tourne toujours autour du même sujet, son dernier ouvrage est une réussite. D'une justesse et d'une vérité rares.

Delphine de Vigan, c'est autre chose.

Il y a de la profonde intelligence, elle joue avec nos nerfs et notre sensibilité, elle nous oblige à nous questionner sans cesse sur le certain, le vraisemblable ou le fictionnel. Elle nous propose surtout une magnifique et limpide réflexion sur la littérature et l'art d'aujourd'hui. Au fond, elle nous demande, tout au long de ses belles pages, ce qu'est véritablement un texte digne de ce nom. Doit-il puiser dans les entrailles et ne pas fuir une sorte d'exhibitionnisme ou le "je", sur lequel tout romancier se fonde, n'a-t-il vocation qu'à devenir, grâce à une alchimie bouleversante, universel ? Sortir de soi ou s'y installer ?

D'après une histoire vraie : Delphine de Vigan mène l'histoire de main de maître. Son admiration pour Stephen King ne l'égare pas. L'effroi et la finesse d'analyse font bon ménage. Ainsi que la pensée qu'elle ne cesse de poser brillamment sur ce qu'elle écrit.

Enfin - j'ose à peine l'avouer car Le Monde des livres va m'exclure et me gronder -, elle fait preuve d'une extraordinaire faculté narrative. On veut aller plus loin, plus vite et en même temps on aspire à retarder l'échéance, la fin. C'est trop bon.

Oui, je franchis le pas. On a du plaisir à lire Delphine de Vigan.


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