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Xynthia : la motivation du jugement qui accable l’ancien maire de La Faute-sur-Mer

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 12/12/2014

Dans son jugement rendu vendredi 12 décembre, le tribunal relève : "Les conséquences tragiques de la tempête Xynthia ne doivent rien au hasard. Il ne s'agit pas d'un drame environnemental, sur lequel l'être humain n'aurait pas eu de prise. La … Continuer la lecture

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Dans son jugement rendu vendredi 12 décembre, le tribunal relève :

"Les conséquences tragiques de la tempête Xynthia ne doivent rien au hasard. Il ne s'agit pas d'un drame environnemental, sur lequel l'être humain n'aurait pas eu de prise.
La tempête aurait dû passer à La Faute-sur-Mer, comme en bien d'autres endroits en France ou en Europe, en laissant derrière elle son cortège de dégâts matériels plus ou moins considérables. Par les fautes pénales conjuguées des prévenus qui vont être condamnés, il y a eu 29 morts, des blessés, des personnes traumatisées durablement ou à vie.

Cette affaire ne peut se réduire à la question de l'urbanisation en zone inondable.
Les permis de construire accordés par René Marratier et Françoise Babin dans la zone endeuillée, à partir du moment où le risque de submersion a été connu, sont à l'origine de neuf décès. Les vingt autres morts sont des personnes habitant dans ce secteur depuis quelquefois des décennies, bien avant qu'on ne parle de Plan de prévention des risques d'inondation (PPRI), de Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), ou d'Atlas de submersion marine.

Certaines des victimes étaient même natives de La Faute-sur-Mer ou de L'Aiguillon- sur-Mer.

Le désir de rivage, l'attrait touristique, n'expliquent pas tout. Ces facteurs pourraient laisser penser que les victimes étaient prêtes à courir un risque mortel pour vivre à cet endroit, et qu'elles auraient fait montre d'une insouciance coupable. Or, aucune personne sensée ne prendrait un tel risque pour elle-même et sa famille.

Ce dossier est l'histoire de la captation d'une information vitale, et du piège qui s'est ainsi refermé sur les victimes. Privées délibérément de cette information, voire faussement rassurées, elles ont vécu dans la confiance en ceux qu'elles avaient désignés pour les protéger. Cette confiance n'est ni surprenante, ni naïve, c'est celle qu'un citoyen en France peut normalement avoir vis-à-vis de ses élus. En cela, les victimes ne portent aucune part de responsabilité.

Cette affaire est aussi celle de l'égrenage de caricatures, très éloignées du travail sur la responsabilité pénale que doit mener le tribunal correctionnel.

Caricature du petit maire pris dans le tourbillon d'un univers complexe, qu'il ne parvient plus à maîtriser, René Marratier a trouvé dérisoires les apports de la science moderne, mais a été tout aussi insoucieux de la sagesse des anciens, qui ne construisaient jamais en pareil endroit. Il a tourné le dos à toutes les conduites prudentes pratiquées par ceux dont il n'a cessé de se revendiquer, et est resté dans les limbes d'un monde sans repères. Il n'a pas subi la situation et les injonctions de l'Etat sans rien y comprendre : il y était radicalement opposé, et tous ses courriers, toutes ses prises de position avant Xynthia le prouvent. L'antienne de l'élu de bonne volonté victime d'une technocratie absconse ne surgira que lorsqu'il devra organiser sa défense à partir de 2010. Françoise Babin lui emboîtera le pas dans ce registre, allant jusqu'à recouvrir sa grande intelligence et sa parfaite connaissance de l'urbanisme sous le voile de l'élue limitée et laissée sans formation.

Caricature d'un Etat défaillant, qui serait à l'origine de tous les maux du dossier. Sauf à en revenir à une vision jacobine de sa fonction, vers laquelle la période ne semble pas tendre, l'Etat est surtout très impuissant lorsqu'il est confronté à la malveillance d'élus locaux, qui n'ont de cesse de faire obstruction à des démarches d'intérêt général absolument indispensables. L'Etat ne pouvait pas se substituer au maire de La Faute- sur-Mer pour remplir ses devoirs de protection à sa place, devoirs que la loi et le règlement confiaient à lui seul.

Le maire avait tous les moyens pour assumer ses obligations. Aux choix faits de dépenser des sommes considérables, en pure perte, pour des travaux sur la digue de protection d'un camping voué à la fermeture ou d'entamer des procédures contentieuses pour soutenir des positions indéfendables sur le risque naturel, il aurait pu sans difficulté substituer le choix de concevoir un plan de secours pour sa population, d'organiser une information complète et récurrente sur le risque. Il aurait pu suspendre l'urbanisation de la zone à risque pendant plusieurs années, le temps que la digue Est reprenne les apparences et les formes de sa vocation. Cela ne coûtait rien, n'avait rien à voir avec un PPRI toujours en gestation. Il a choisi en toute liberté de passer outre le risque.
Les fautes de l'Etat sont parfaitement circonscrites, et elles ont déjà été énumérées de manière exhaustive. Les prévenus n'en ont jamais été les prisonniers. Bien au contraire, la négligence sur la prescription de sécurité a constitué la brèche dans laquelle les élus se sont complaisamment introduits, sans jamais la dénoncer, alors qu'ils l'avaient parfaitement identifiée.

Seule la modification anormale du zonage en 2004 reste une tache suspecte, lourde de répercussions, qui doit être stigmatisée.

En matière d'information sur le risque, l'Etat a été irréprochable, sauf à considérer encore une fois qu'une commune est un organisme décérébré, que l'on doit prendre par la main, ceci en contradiction totale avec les lois de décentralisation.
Caricature par ailleurs d'un risque naturel qui se serait assimilé à une force majeure absolue, contre laquelle rien n'aurait pu être tenté pour en endiguer les effets. Or, les mesures de sauvegarde demandées par l'Etat auraient sauvé toutes les vies si elles avaient été résolument appliquées par le maire, sa première adjointe et Philippe BABIN. Bien qu'elles aient été établies sur l'hypothèse d'un niveau marin extrême de 3,90 mètres NGF, elles auraient été tout aussi efficaces et pertinentes face à Xynthia. Le niveau d'inondation, à cinquante centimètres près, ne change rien aux modalités pratiques d'un plan d'alerte, à la teneur d'une information transparente sur le risque lors des réunions publiques, à la prise de conscience que provoque le diagnostic de vulnérabilité de sa propre maison. Les maisons neuves des Voiliers n'auraient pas été noyées par 2,50 mètres d'eau si la prescription de l'article 2 des permis de construire avait été respectée, et les occupants auraient facilement trouvé à se mettre à l'abri sur des meubles pour éviter de patauger dans 30 centimètres d'eau. Ils ne seraient pas morts.

Il est insupportable de laisser prospérer l'idée fausse que toute action était inutile pour contrer le déchaînement de la nature. C'est un pur artefact, créé de toutes pièces dans le but de se défausser de ses lourdes responsabilités. Xynthia n'a pas été un tsunami déferlant en quelques minutes sur une terre sûre, comme une création du néant. Le risque à La Faute-sur-Mer avait été étudié, était connu, qualifié, anticipé. Le fait qu'il se soit réalisé au bout de huit ans seulement, et non pas après un siècle, était un aléa temporel qui avait été intégré par les scientifiques.

Le risque avait été relayé auprès des décideurs publics, car c'est une chance désormais pour l'homme, dans ses rapports avec la nature, d'avoir une certaine lisibilité des soubresauts de cette dernière. De manière délibérée, les personnes qui dirigeaient la mairie et l'ASA des Marais ont relégué le danger au rang d'une persécution menée par une administration nocive.

Enfin, la confusion dans les responsabilités est la dernière caricature, produit de toutes les autres. Les prévenus ont tenté de mettre sur le même plan causal la colère de la nature, les mauvais hasards, l'imprudence des victimes, l'apathie généralisée face au risque naturel majeur, les erreurs et le manque de moyens de l'Etat, pour faire oublier l'intensité de leurs propres fautes.

Mais la vérité est autre. La Faute-sur-Mer était l'un des endroits les plus dangereux de la côte vendéenne au regard d'une possible submersion de zones très habitées et très vulnérables en raison de leur altimétrie. La digue de protection n'était pas un rempart suffisant en cas de phénomène naturel intense. L'urbanisation de ces secteurs se poursuivait. Plus qu'en n'importe quel point du département, la situation était alarmante. Les prévenus élus savaient tout cela, avaient à maintes et maintes reprises été incités, puis enjoints, à prendre en considération ce risque par différents leviers, avec une aide de l'Etat qui ne leur aurait pas été refusée.

Ils ont intentionnellement occulté ce risque, pour ne pas détruire la manne du petit coin de paradis, dispensateur de pouvoir et d'argent. Ils ont menti à leurs concitoyens, les ont mis en danger, les ont considérés comme des quantités négligeables, en restant confis dans leurs certitudes d'un autre temps. Ils ont parié que le risque connu ne se réaliserait pas, mais la mise de fonds de ce pari a été l'intégrité physique des habitants de La Faute-sur-Mer.

Les manquements reprochés à René Marratier, à Françoise Babin et à Philippe Babin tels qu'ils ont été évoqués plus haut, sont totalement caractérisés sur le plan pénal et d'une très grande gravité.

Ils signent l'échec, à La Faute-sur-Mer, de la démocratie locale et du service public auxquels doivent se consacrer les élus. Pour des mobiles personnels inacceptables, les prévenus ont violé leur obligation de protection et de sauvegarde de la population, ont mis des vies en danger. Ce qui s'est passé le 28 février 2010 est le résultat de cette gestion publique communale pervertie.

Ces fautes justifient des peines d'emprisonnement sans sursis d'une durée très significative.

De tout ce qui précède, il conviendra de condamner :

- René Marratier à la peine de 4 ans d'emprisonnement.
- Françoise Babin à la peine de 2 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
- Philippe Babin à la peine de 18 mois d'emprisonnement.
- la SARL TDA [une des entreprises de Patrick Maslin, ancien adjoint, décédé pendant l'audience] à la peine de 30 000 euros d'amende."

René Marratier, Françoise Babin et Philippe Babin ont annoncé qu'ils faisaient appel de leur condamnation. Le procès devrait se tenir devant la cour d'appel de Poitiers d'ici la fin de l'année 2015.


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