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Christiane Taubira : un non-consensus sur la récidive

Justice au singulier - philippe.bilger, 16/02/2013

Jusqu'aux prochaines tragédies, l'aura de Christiane Taubira tiendra. Après, le réel lui demandera des comptes. La démocratie finira par mourir à force de voir retirer de ses mains les armes qui la protègent ; et nous avec elle.

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Depuis plusieurs jours, on dirait que la Justice s'est arrêtée.

En majesté médiatique, seuls la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive, celle qui l'a présidée, Nicole Maestracci, et qui vient d'être nommée au Conseil constitutionnel - on fait d'une humaniste unilatérale de gauche deux coups ! - et les discours de prétendus spécialistes et d'improbables statisticiens sur la délinquance, la prison et ses alternatives.

La Justice s'est arrêtée parce qu'en dépit du nom à la fois pompeux et ridicule qu'on a donné à un débat qui, s'il était authentique, aurait été tout sauf consensuel, les crimes et les délits continuent, les justices du quotidien s'obstinent à répondre avec une infinie lenteur aux attentes du citoyen et l'état lamentable, ici ou là, de l'univers pénitentiaire n'est bizarrement pas amélioré par la compassion...

La Justice s'est arrêtée pour faire "bien" et se regarder penser mais, durant cette parenthèse de luxe, on n'a pas cessé de violer, de tuer, de frapper, d'arracher, de voler, de trafiquer, de terroriser, de résister aux policiers et de se moquer sans vergogne de ceux qui réfléchissent sur les transgressions et les comptent plutôt que de les combattre.

Je conçois bien que pour le garde des Sceaux, l'aura qui s'est attachée à elle à l'Assemblée nationale, parce qu'elle est la seule à maîtriser parfaitement la parole - avec tout de même un abus de citations -, et qu'elle console la gauche de ne plus être la gauche, soit plus gratifiante que la mission ingrate de mettre les mains, l'esprit et l'action au coeur des choses judiciaires pour les transformer. Force est de constater que sur ce plan capital, si on élimine le verbe ministériel et la facilité des remises en cause du quinquennat précédent, Christiane Taubira n'a rien proposé ou accompli d'essentiel. Avec talent elle s'écoute, avec partialité elle réunit mais rien de fondamental ne s'opère sous son égide.

Dans cette effervescence que le culte du "tout sauf la prison" rend un tantinet sulpicienne et guère opératoire, il y a deux absences qui font mal à l'esprit et à l'équité, qui désespèrent la société et dégradent ce happening de la vision abstraite de gauche sur une réalité occultée ou fantasmée : celle des coupables et des victimes.

Les premiers sont évacués du raisonnement et expulsés de la problématique. On discute des prisons comme si elles n'étaient peuplées que de personnalités qui, avant elles, étaient exemplaires et, après elles, seront irréprochables.

Les secondes, elles, sont froidement néantisées. Je n'ai pas lu ou entendu une seule fois leur nom durant cet intense et glorieux hommage rendu aux condamnés, aux détenus et aux récidivistes (Mediapart). Qui viendrait d'une autre planète ne pourrait manifester que de l'effroi devant ce pays qui incarcère sans motif des innocents ! Une telle déviation serait scandaleuse si au fond elle ne révélait pas plutôt le caractère absurde de cette "Conférence de consensus" qui n'est rien d'autre que la bonne vieille Commission d'antan rassemblant exclusivement des personnes admises à faire valoir leur point de vue : la gauche se concertant avec elle-même.

Comment une démocratie, aussi respectueuse soit-elle des droits de l'homme - du délinquant condamné comme du citoyen honnête -, peut-elle accepter avec une telle démagogie et une telle inversion du bon sens d'entendre, sur internet et dans l'audiovisuel, ce que j'appellerais, pour paraphraser Molière, l'école des détenus ? Un matin, j'en ai été stupéfait, la journaliste qui questionnait demeurant passive, de prendre de plein fouet les récriminations d'un ancien condamné protestant contre le fait que la prison était ce qu'elle était. Une privation éprouvante de liberté. On aurait pu timidement lui rétorquer qu'il aurait peut-être mieux valu ne pas contraindre la société à l'y faire entrer (France Inter). Sans doute aurait-ce été faire preuve de trop d'audace ? La parole a été abondamment offerte aux malfaiteurs petits ou grands et évidemment on s'est bien gardé de solliciter l'avis de l'autre peuple, du peuple majoritaire qui, par exemple, estime que "l'incarcération doit d'abord punir"(Le Figaro).

Ce qui est navrant est la formidable caisse de résonance médiatique constituée, pour cette philosophie partiale et néfaste parce qu'incomplète, par des médias dont les journalistes qui les servent sont, si on suit Laurent Obertone, à 95% de gauche. Pire, les plus doués de cette profession sont clairement du côté de cet humanisme compassionnel et mutilé puisque, pour s'enivrer avec émotion de lui et faire disparaître les souffrances humaines innocentes sous la froideur des chiffres, ils sont contraints de se priver de l'intolérable intrusion, dans leurs concepts, des victimes et des coupables.

Ainsi, par exemple, pour l'inlassable et brillant Franck Johannès dans Le Monde qui est le supplétif de la gauche judiciaire et pour Sonya Faure qui, dans Libération et sur le même registre, parvient tout de même à éclairer le lecteur non militant. Notamment quand elle analyse cette Conférence débordante comme le contre-pied de la droite, "un consensus antisarkozyste".

J'avais songé à prendre pour ce billet le titre "Christiane Taubira : un dogmatisme chasse l'autre". Si je l'ai éliminé, c'est à cause de la différence forte qui oppose la politique judiciaire d'hier à celle en cours.

Nicolas Sarkozy a été très mauvais dans la méthode, la gestion de l'Etat de droit et l'approche peu républicaine, voire méprisante de la magistrature tandis que, sur le fond, tout n'était pas à rejeter - ce que malheureusement Christiane Taubira refuse d'admettre, mue par l'idéologie plus que par un pragmatisme intelligent.

Pour notre ministre de la Justice, j'ose écrire que c'est exactement l'inverse. Exemplaire dans ses relations avec la magistrature même si elle la confond avec le Syndicat de la magistrature, remarquable dans son traitement des situations individuelles, habile dans la périphérie et prolixe dans le commentaire, elle est demeurée inefficace pour le noyau dur des réformes vraiment nécessaires.

Sarkozy, une réussite partielle malgré le mépris et le désordre. Elle, un immobilisme clair malgré sa parole et la considération.

L'obsession affichée de Christiane Taubira n'est pas d'améliorer les conditions de détention ou d'élargir le parc pénitentiaire mais de faire passer le message que la prison serait inutile, dangereuse et créatrice de plus de trouble que la délinquance et la criminalité. Cette pétition de principe est absurde qui, parce qu'on ne peut pas avoir un rapport joyeux avec l'enfermement, voudrait donner mauvaise conscience à ceux qui ont été dans l'obligation de faire détenir provisoirement ou de faire exécuter les sanctions et non pas aux auteurs des crimes ou des délits.

La réflexion qui prétend s'attacher à la situation actuelle des prisons pour en dénoncer, par principe et pour toujours, la surpopulation est inepte car elle n'évalue pas ce qui serait nécessaire à l'utilité sociale et à la tranquillité publique mais seulement une conjoncture révisable et amendable si un Etat digne de ce nom se donnait la peine de favoriser l'accomplissement des peines et la décence matérielle et humaine des structures d'enfermement. Ce qui, aujourd'hui, fait défaut pour l'un et l'autre.

A partir d'une telle conception de la politique pénale, qui n'a pour ambition que de rendre la prison responsable de la malfaisance humaine souvent mais pas toujours rachetable, comment s'étonner de la formulation de poncifs que la réalité contredit ?

La sévérité des peines n'empêche pas la récidive selon Nicole Maestracci. Certes, et que voilà une idée lumineuse ! Si la liberté et la responsabilité personnelles n'y mettent pas du leur, en effet.

Les alternatives à la prison protègent de la récidive, toujours de Nicole Maestracci qui a été le fer de lance du dogmatisme socialiste qu'elle va pouvoir développer au Conseil constitutionnel. Je ne crois pas que cette assertion, fondée sur des chiffres manipulés pour la cause au lieu de servir éventuellement à valider ou non celle-ci, soit pertinente. On feint de mettre dans un même sac grossier toutes les infractions pour laisser croire qu'à pile ou face on pourrait un coup incarcérer, un coup choisir une alternative. Les crimes et les délits ne sont pas interchangeables et beaucoup, à cause de leur gravité, de leur mode de commission ou du passé du transgresseur, exigent la prison et seraient dérisoirement traités si une alternative à la détention venait quasiment les féliciter.

Ainsi, comme on n'est plus capable d'avoir une grille de lecture fiable, on s'abandonne à un risque d'automaticité. Pas à une politique qui réprime, qui maintient, qui libère mais toujours à bon escient, qui rassure et est approuvée par les citoyens. Faute de savoir donner à la mansuétude pénitentiaire sa juste et équitable place, on va la généraliser. On va laisser aller quand il faudrait un humanisme rigoureux, sans naïveté ni faiblesse.

François Hollande s'est engagé à adopter toutes les recommandations de la Conférence de consensus. Il y aurait donc un projet de loi à la fin de l'année. Son engagement, je l'espère, comme d'autres déjà, se brisera sur son extrême intelligence et, après tout, il sera peut-être plus tenté par l'infinité des non-consensus que par la vision théologique d'une gauche qui se bat d'autant plus pour incarner ses préjugés dévastateurs qu'elle s'appauvrit quotidiennement de sa substance authentique et estimable.

Jusqu'aux prochaines tragédies, l'aura de Christiane Taubira tiendra. Après, le réel lui demandera des comptes.

La démocratie finira par mourir à force de voir retirer de ses mains les armes qui la protègent ; et nous avec elle.


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