Actions sur le document

Les actions de Bernard Arnault

Justice au singulier - philippe.bilger, 9/09/2012

Les actions de Bernard Arnault me laissent froid. Que la Belgique soit honorée et l'accueille si elle le souhaite mais une telle indélicatesse est lourde de sens. Qu'elle incite encore plus FH à l'action.

Lire l'article...

Personne ne dénie à notre président une grande intelligence. Il l'a encore démontrée en s'expliquant sur son style et sa politique dans Le Monde : "Un style, cela s'imprime au fur et à mesure".

D'aucuns lui imputent même une intelligence excessive - infortune que beaucoup accepteraient - dans la mesure où elle serait un frein à l'efficacité et à la rapidité des actions nécessaires, provoquerait une délibération constante et hésitante avant d'oser franchir le pas du mouvement, de mettre en oeuvre la résolution.

Sur TF1, le président, tout en continuant d'adopter le registre de l'explication et de la compréhension, a clairement choisi de rendre plus sensible qu'elle ne l'était sa volonté de mener vite et bien une politique et un redressement, avec des obligations de résultats et des délais contraignants. Son ton volontariste et concret, à la fois déterminé et lucide, ni Matamore ni défaitiste, était destiné à convaincre sur le fond comme sur la forme, à balayer doutes et interrogations moroses. Il y est parvenu à mon sens.

Qu'il n'oublie pas qu'entre la droite "qui ne veut pas dire du bien de la gauche... et ceux de gauche qui veulent montrer qu'ils sont indépendants", selon son propre partage, il y a une majorité de citoyens qui ont voté pour lui à la fois parce qu'ils désiraient faire sortir Nicolas Sarkozy du paysage politique et qu'ils espéraient de sa part une version acceptable du socialisme. Il y a une droite volatile qui s'est fixée sur lui parce que, morale et républicaine, pour un temps elle n'avait pas d'autre choix.

Une situation guère commode pour FH, surtout quand on entend Jean-Luc Mélenchon (JLM) toujours aussi talentueux mais avec une rancoeur accentuée - il ne nous pardonne pas ses déceptions électorales!- réclamer sa part de la victoire socialiste et exiger le dû du Front de gauche (Grand Jury-RTL-Le Figaro).

Le hasard de l'actualité l'a servi puisqu'il a pu donner libre cours à sa haine des "riches", en l'occurrence Bernard Arnault qui a été traité de manière très insultante.

Il est évident que celui-ci pose un problème à ceux que préoccupent le bien public et ce qu'on pourrait appeler la morale civique même s'il faut bien se garder de donner des leçons qui risqueraient d'être inspirées plus par l'envie, l'aigreur que par l'équité (Le Parisien).

Avant d'émettre un point de vue sur cette affaire en quelque sorte maintenant franco-belge, force est d'admettre que la taxation de 75% des plus hauts revenus confirmée par le président aurait été moins dénoncée, avec son caractère temporaire, si elle ne semblait valider la seule absurdité proférée par le candidat Hollande quand globalement il s'est déclaré ennemi de "la finance". Cette globalisation outrancière a sans doute plu aux idéologues et aux dogmatiques mais a troublé tous les autres. C'est sur ce terreau que le président de la République s'est installé avant que le Premier ministre et dix ministres, pour compenser, se rendent exceptionnellement au congrès du MEDEF.

Bernard Arnault, que je n'ai jamais rencontré, sinon, avec son épouse et ses enfants, de vue sur les pages glacées des magazines, ne m'a jamais conquis. Il faut dire que contrairement à François Pinault, dont le parcours, les propos, la personnalité m'agréent, Bernard Arnault n'a jamais rien fait pour inspirer une quelconque sympathie au quidam même si on devine bien que la réussite exceptionnelle de LVMH doit certes beaucoup à la France mais aussi à lui-même. Personnalité remarquable sûrement mais dont l'aura est restée circonscrite au cercle des gens d'argent, des entrepreneurs, des élites du privilège et du pouvoir.

Comment cet homme intelligent, en une telle période, a-t-il pu engager un processus de naturalisation pour obtenir la double nationalité franco-belge?

Il va payer ses impôts en France et estime normal de contribuer au redressement de son pays. Mais quelle étrange démarche de sembler si peu attaché à la France qu'il puisse mêler la Belgique à ses desseins sans paraître troublé le moins du monde par cette incongruité ? Il ne s'agirait pas d'évasion fiscale mais "d'une démarche personnelle engagée depuis plusieurs mois et qui ne doit faire l'objet d'aucune interprétation politique" (20 minutes). Dans son environnement est évoqué aussi le nom d'Albert Frère, le capitaliste belge bien connu, et de possibles "investissements sensibles".

Soit. Acceptons que BA n'aurait pas eu l'impudence ou l'imprudence de se désolidariser au moins pour moitié de son pays pour des motifs sordidement fiscaux. Mais cela change-t-il quoi que ce soit à la donne qui consiste dans une aspiration à une double nationalité pour des raisons d'argent, lucratives, intéressées ? Je n'irais pas jusqu'à soutenir, comme JLM, que la Belgique devrait se sentir humiliée par une telle démarche mais je suis effaré qu'on puisse négocier une moitié de sa patrie, 50% de son affection pour son pays seulement pour un problème d'actions, pour résumer grossièrement sans doute. Ainsi, si on n'emporte pas sa patrie à la semelle de ses souliers, elle peut être partiellement sacrifiée, négligée ou relativisée au nom de ses affaires.

C'est la personnalité emblématique du capitalisme français, la quatrième fortune du monde qui donne cet exemple. Pauvre milliardaire, triste entrepreneur.

Les actions de Bernard Arnault me laissent froid. Que la Belgique soit honorée et l'accueille si elle le souhaite mais une telle indélicatesse est lourde de sens.

Qu'elle incite encore plus FH à l'action.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...