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Emmanuel Macron : star d'hier et de demain ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 16/01/2019

Ma mélancolie se rapporte à ce point sensible : la normalité d'Emmanuel Macron et ses manifestations pourraient-elles un jour ne plus déplaire ? Il a été une star en 2017. Il l'a été hier. Le sera-t-il demain ?

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Le président de la République, à Grand Bourgtheroulde, de l'avis de tous les maires qui l'ont écouté hier, a été époustouflant au point qu'à l'issue des échanges qui ont duré sept heures, il a eu droit à une "standing ovation". Il faut surtout noter que sans la moindre note, il a parlé durant trois heures et demi avant de répondre aux questions. Pour qui connaît l'intensité et la fatigue qu'une oralité même de 90 minutes entraîne, il est difficile de ne pas admirer un tel tour de force (Le Figaro).

Emmanuel Macron a ainsi retrouvé, dans un registre encore meilleur, la flamme de 2017, l'esprit de la campagne présidentielle, l'enthousiasme qui l'animait et l'empathie qu'il dégageait. Son élan d'hier était d'autant plus appréciable - et apprécié par lui - qu'il suivait une période de doute, d'amateurisme étonnant, d'hostilité profonde et de désenchantement. On sentait combien revenir aux sources de son talent et de ce pour quoi il était le plus doué lui apportait une alacrité intellectuelle et une communication de conviction qui à l'évidence - il en était lui-même conscient - n'engendreront des effets opératoires et positifs que si, après le grand débat national, seront tirées des conclusions politiques et sociales effectives.

Rien ne serait pire qu'un pur exercice de séduction alors que les citoyens ont déjà été échaudés par une première déception qui, de Philippe Besson jusqu'à aujourd'hui en passant par l'affaire Benalla, a beaucoup réduit l'adhésion à son pouvoir.

Il n'empêche que pour ceux qui s'obstinent à dénier toute qualité à Emmanuel Macron, je ne doute pas que sa prestation du 15 janvier, appréhendée avec bonne foi, permettra au moins un procès plus équitable tant pour la forme évidemment que pour le fond où, pour résumer, on maintiendra pour l'essentiel mais où tout pourra être discuté, revu, corrigé ou éventuellement supprimé après évaluation.

On a tenté de lancer à nouveau une polémique parce que le président, devant un conseil municipal, a exprimé une idée juste en opérant une distinction nécessaire entre ceux qui se responsabilisaient face aux difficultés et ceux qui "déconnent". Un président, à mon sens, ne devrait jamais se laisser aller à user d'un tel vocabulaire mais outre que le nôtre cultive une appétence pour les mots bruts, rudes, désuets, parfois grossiers, il convient de lui concéder le droit à une certaine liberté. On n'est pas loin d'un étau, d'une alternative où d'aucuns voudraient soumettre Emmanuel Macron à un silence absolu ou à l'expression de banalités qui seraient pourtant, par principe, contestées.

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Je n'ai jamais pourfendu, contrairement à beaucoup, les saillies multiples "cash" d'Emmanuel Macron. Parce qu'elles relevaient, dans leur genre, d'un discours de sincérité et de vérité à tenir aux Français même s'il se trompait sur l'attente de ceux-ci : ils aspirent surtout, quelle que soit leur condition, à une personnalité qui fait et parle "président".

Tout de même, en ayant bien analysé l'ensemble de ses propos souvent pertinents mais toujours à l'emporte-pièce, je me sens contraint de faire un zeste d'amende honorable. En effet, quel que soit leur sujet, ils ont un dénominateur commun : ils critiquent peu ou prou les Français et ne considèrent que leur face négative, leurs ombres. Je n'irai pas jusqu'à soutenir, comme Olivier Besancenot, que le président n'aime pas ses concitoyens mais toujours est-il qu'à aucun moment, dans ses propos débridés, il ne fait preuve à leur égard de la moindre indulgence et, s'il les secoue, c'est sans la moindre affection démocratique. A mon sens il est capital qu'il enrichisse, qu'il élargisse, sur ce plan, sa palette.

Pour terminer, au-delà de cette oralité parfois maladroite, aigre ou relâchée, il me semble qu'un problème de fond se pose à Emmanuel Macron qui, quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, dans toutes les circonstances de son expression publique, donne à beaucoup de nos compatriotes l'impression humiliante qu'il les méprise. Qu'au coeur de ses propos il y aurait toujours le ver d'une condescendance, d'une supériorité qui viendraient gangrener le lien qu'il s'efforce d'entretenir avec les Français.

Il y a là comme une fatalité. Ce qu'il est, sa nature, son apparence, son intelligence, sa culture, sa voix, son ton, ses attitudes, renvoient, aussi injuste que cela soit, au soupçon généralisé d'une distance, d'un hiatus, d'un gouffre entre lui et nous, entre lui et le commun des citoyens, entre lui et les Gilets jaunes.

Il y a quelque chose qui dépasse l'antagonisme politique mais semble relever d'une détestation contre laquelle il est ou risque peut-être de demeurer impuissant : une certaine manière de se tenir, d'apparaître, d'être au monde. Certains l'ont jugé trop brillant dans son intervention du 15 janvier et le lui ont imputé à charge. Il apparaît inévitablement "trop" alors même qu'il fait preuve de toutes les vertus que la démocratie exige. Cette perception explique l'écart entre un président qui, lui, rêverait d'être aimé et une société qui ne lui fait grâce de rien, surtout pas de ce qu'elle croit qu'il est, de ce qu'elle croit lire en lui ou sur lui.

Ma mélancolie se rapporte à ce point sensible : la normalité d'Emmanuel Macron et ses manifestations pourraient-elles un jour ne plus déplaire ?

Il a été une star en 2017. Il l'a été hier. Le sera-t-il demain ?


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