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Jean-Marie Le Pen aime les détails...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 25/07/2015

Parce que, pour une institution, le pouvoir ou la justice, il est tellement facile, évident, confortable, gratifiant, rapide d'aller vers la qualification pénale et la sanction. Alors qu'il est épuisant, dangereux, imprudent et difficile de favoriser la rectitude et, très modestement, de sauver la République à chaque fois qu'on échappe au réflexe et au préjugé au bénéfice de l'esprit critique. Et libre. Pour JMLP ou pour qui que ce soit d'autre

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On n'en a jamais fini avec Jean-Marie Le Pen (JMLP).

Quand on a quitté le registre du ressentiment politique et de l'obscure jalousie paternelle, une fois admise sa volonté de demeurer à toute force sur une scène dont il ne parvient pas à tolérer qu'elle soit dorénavant dévolue à d'autres, on n'est pas à court. Il met toujours à notre disposition une ou deux provocations qui, entre droit et liberté d'expression, nous obligent à condamner sans nuance ou, ce que je préfère, à réfléchir sur ce qu'une société doit accepter au nom de la démocratie ou refuser.

JMLP a éprouvé le besoin de réitérer des propos qui avaient déjà fait scandale. Au mois d'avril de cette année, il a répété, face à Jean-Jacques Bourdin qui a décidément l'art de faire surgir le sulfureux de la bouche de certains de ses invités, que "les chambres à gaz étaient un détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale" (BFMTV-RMC, Le Figaro).

A la suite d'une enquête, JMLP a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour contestation de crime contre l'humanité.

On aurait pu considérer que c'était faire beaucoup d'honneur à l'entêtement sénile que d'en tirer des conclusions à charge. Je suis persuadé qu'à partir d'un certain niveau d'incohérence et d'âge, l'indifférence, de la part des institutions, n'est pas la pire méthode. Pour des personnalités comme celle de JMLP, la sanction serait déjà inscrite dans le désintérêt apparent.

Mais, puisque le parquet de Paris a adopté une démarche plus classique, il ne me semble pas inutile d'analyser exactement, en droit comme en liberté, ce que signifie ce "détail de la Seconde Guerre mondiale".

La contestation du crime contre l'humanité, qui lui est reprochée, ne paraît pas caractérisée car JMLP, à ma connaissance, n'a jamais mis en cause, explicitement et immédiatement, la réalité et l'ampleur de l'extermination des Juifs. Les délires de Faurisson n'ont jamais été les siens même si on a vite fait de qualifier de négationnistes ceux qui s'attachent seulement à défendre la liberté de la recherche historique sur n'importe quel sujet.

Pourquoi JMLP est-il alors, à cause de ce "détail", tout de même incriminé pour ce délit ? "Les chambres à gaz, détail de la Seconde Guerre mondiale" - cette affirmation réduisant cette terrifiante modalité technique d'extermination consubstantielle au crime contre l'humanité à une simple péripétie de la guerre aurait-elle été, pour lui, une manière perverse et masquée de nier l'existence de la Shoah ?

Strictement, cette interprétation prêtant aux pensées ou aux provocations des intentions implicites, des desseins secrets est infiniment dangereuse pour la liberté d'expression.

Ce qui est insupportable pour l'humanisme est de n'avoir pas toujours le secours, le recours du droit pour étayer son indignation. Le scandale suscité par le caractère choquant d'un écrit ou d'une parole se sentirait désarmé et orphelin si une poursuite et, plus tard, une condamnation ne venaient pas le légitimer pénalement.

Pourtant, à bien appréhender cette obsession renouvelée par JMLP, elle est en effet coupable mais seulement - et ce n'est pas mince - parce qu'elle constitue un crime contre la lucidité intellectuelle, la pertinence historique et, plus globalement, le bon sens. Faut-il pour autant, à cause de ces offenses à la rationalité et à la justesse, les enserrer obligatoirement dans un corset répressif, surtout à partir du moment où le droit, pour s'adapter à ce que moralement on accable, doit être forcé ?

Je ne me fais aucune illusion.

JMLP sera condamné pour contestation de crime contre l'humanité au lieu de l'être, par la conscience publique, pour bêtise et constance dans l'absurde. Ce ne sera pas un drame. Cela ajoutera à son tableau déjà chargé et aggravera sa propension suicidaire, sur les plans politique, intellectuel et historique, à préférer l'affirmation désespérée de soi à la vérité et à l'effacement bienvenu.

On voit bien, à partir de cet exemple, pourquoi la liberté d'expression est mise en péril.

Parce que, pour une institution, le pouvoir ou la justice, il est tellement facile, évident, confortable, gratifiant, rapide d'aller vers la qualification pénale et la sanction. Alors qu'il est épuisant, dangereux, imprudent et difficile de favoriser la rectitude et, très modestement, de sauver la République à chaque fois qu'on échappe au réflexe et au préjugé au bénéfice de l'esprit critique.

Et libre.

Pour JMLP ou pour qui que ce soit d'autre.


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