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Au procès Heaulme, un chagrin de trente ans

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 12/05/2017

Aux assises de la Moselle, vendredi 12 mai, un chagrin de trente ans fait face à la cour, aux jurés et à l’accusé. Il sort à gros bouillons, il reflue, revient, se retire, coule et se répand encore puis retourne … Continuer la lecture

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Aux assises de la Moselle, vendredi 12 mai, un chagrin de trente ans fait face à la cour, aux jurés et à l’accusé. Il sort à gros bouillons, il reflue, revient, se retire, coule et se répand encore puis retourne se tapir. On ne se console pas de la mort d’un enfant. Assassiné. A huit ans. Mais on vit. Chantal Beining vit.

« Monsieur le président, vous pourriez mettre la photo de mon petit Cyril ? Il m’appelait Bibiche, son père m’appelait comme ça, il faisait pareil. Ce dimanche-là, il m’a dit : « Bon, Bibiche, je vais faire du vélo. » Il est revenu. « Oh Bibiche, j’ai faim. Donne-moi un Coca. » Il est reparti. Il m’a dit : « Ce soir, je voudrais des pâtes au gratin. » Les pâtes au gratin, elles sont restées dans le four.

Quand j’allais au Cora, il me disait : « Je t’attends aux livres. » Il savait que Bibiche lui achèterait toujours quelque chose. Et puis aussi il aimait pas trop l’école. Il disait toujours : « C’est quand les vacances ? » Il avait même été renvoyé de la piscine. « Votre fils, il va toujours dans le grand bassin. » Ben oui, sa sœur et son frère étaient plus grands, ils savaient nager, alors lui au bout d’un moment, il allait dans le grand bassin. Et puis, tiens, à propos de l’eau aussi, un jour il m’a dit : « Bibiche, j’suis allé au bord de l’eau, y’avait une barque, j’suis monté dedans. – Mais tu aurais pu te noyer ! » Je lui ai dit ça, tu aurais pu te noyer. Et puis, où j’en étais déjà, ah oui, un jour il est allé dans un jardin. Il m’a cueilli des fleurs, des tulipes.

Le 28 septembre, ça sonne à la porte. Il y a un monsieur qui me parle [le père d’Alexandre Bekrich qui s’inquiétait de ne pas voir revenir son fils]. J’ouvre la fenêtre. Je le connaissais pas. Enfin, je connaissais un peu la grand-mère. Nos enfants ils étaient pas  vraiment copains, ils étaient pas dans la même école. « Votre fils est là ? ». Non, Cyril était pas là. J’ai pris la voiture, je suis allée au bord de l’eau et je l’ai appelé : « Cyril, Cyril ! ». Et d’un coup, je vois des pompiers, qui prennent la rue Venizelos, ils la prennent en sens interdit. Mon gosse ! mon gosse ! J’ai pensé aux voies de chemin de fer. Il y a un pompier qui est venu vers moi, il m’a dit : « Vous avez un médecin traitant ? » J’ai dit oui. Il m’a demandé son numéro. « Je vais l’appeler, il a dit. – Mais pourquoi c’est pas moi qui l’appelle ? » Il a pas répondu.

Le médecin est venu, il m’a fait trois piqûres. On m’a emmenée dans ma chambre, j’ai attendu, attendu. Mon mari est arrivé. Il a rien dit. Et puis, il y a un policier qui est venu. Je lui ai dit : « Il est mort, mon gosse ? » Il a regardé mon mari, il m’a regardée, mon mari a fait non de la tête. »

« Cette photo, je ne peux plus la voir »

Elle ouvre la chemise en carton bleu qu’elle avait posée sur le pupitre. Elle en sort la « une » du Républicain lorrain, daté du 29 septembre 1986, la déplie, et vient la crier et la hurler face à la cour. Deux photos de gosses et sur six colonnes, un titre « Deux enfants assassinés à Montigny-les-Metz ».

« Et voilà ! Voilà comment j’ai appris comment il était mort, mon gosse ! Cette photo, je peux plus la voir. C’est pour ça que j’en ai amenée une autre. Elle date d’août 1986, l’autre elle est de février. Voyez, ça fait pas beaucoup de différence. Et après ça, ben, y’a eu un divorce. Oui. c’est comme ça.

Et alors, où j’en étais, ah oui, le juge Montfort [Thierry Montfort a rendu un non-lieu en faveur de Francis Heaulme en 2007, il a été entendu la semaine précédente devant la cour]. Quand il est venu ici, il a dit que j’avais été agressive. Ah ben je vais vous raconter comment il m’a reçue ! Ça faisait des mois que mon avocate lui demandait de me recevoir. Il m’a laissée fumer une cigarette. « Je vous reçois parce que votre avocate me l’a demandé. » Ça faisait des mois qu’elle lui demandait ! Et puis, il m’a dit : « Madame, je n’ai rien à vous dire ! ». Voilà, ça fait trente ans que moi, Bibiche, je pleure mon Cyril. Voilà. »

Chantal Beining replie le journal, le glisse dans la chemise en carton bleu, ferme le rabat à élastiques. Clic. Clac. Et elle reste là, debout, avec ses bouillons de chagrin qui roulent dans le micro, puis elle les range aussi, parce qu’elle doit continuer à vivre.


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