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Francis Cabrel ou le désengagement militant...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 22/04/2015

Cet engagement dévastateur anonyme et ce désengagement ciblé, je les analyse comme un tiraillement qui écartèle l'artiste entre une volonté d'en être et un désir d'effacement. Il n'élimine pas plus l'une que l'autre. D'où cette distorsion signifiante qui manifeste que cet homme n'est pas tout d'une pièce. Peut-être a-t-il inventé le désengagement militant...

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Francis Cabrel ne laisse pas indifférent.

Sa personnalité, ce qu'il chante et ce qu'il dit permettent à tous ceux que la variété noble intéresse d'éprouver du plaisir ou de l'intérêt. Il prend des positions qui suscitent le débat, appellent la contradiction ou l'adhésion, notamment sur des faits de société.

Ce n'est pas un artiste limité comme il y en a. C'est moins leur faute que celle des médias qui s'obstinent à les faire penser et s'exprimer quand leurs chansons nous suffiraient. Dans ce milieu, les Goldman, Julien Clerc ou Maxime Le Forestier ne pullulent pas.

Le 27 avril, sortira un nouvel album de Francis Cabrel : In Extremis.

A cette occasion, il s'est livré de manière assez libre pour l'être pudique et réservé que généralement il est. Comme chez beaucoup de créateurs, au petit ou au grand pied, les confidences sont plus dans les oeuvres que dans la vie (Journal du Dimanche).

Ce que je voudrais d'abord mettre en lumière est la beauté et la justesse de son opinion sur la chanson, à la fois modeste et fière :"A défaut de changer le monde, une chanson peut soulager une conscience".

Cette lucidité me convient qui fait de cet art mineur - selon Serge Gainsbourg - l'affirmation personnelle d'une dénonciation, d'une révolte ou d'un soutien. Un besoin, en tout cas, de se libérer d'un poids ou d'une urgence non pas tant pour les autres que pour sa propre sauvegarde.

Pour pouvoir continuer à se supporter parce qu'on aura exprimé ce à quoi on tenait. Cela fait du bien à soi mais outrecuidante serait l'illusion, à partir de cette opération de salubrité intime, de prétendre à une incidence sur la marche du monde.

En revanche, je suis beaucoup plus critique sur la vision pessimiste qu'a Francis Cabrel du monde politique en général puisqu'il va jusqu'à affirmer que "le théâtre politique ressemble à un vaudeville qui ne fait plus rire personne" et qu'il ajoute - il faut tout citer :" Pas la peine de caricaturer les politiques, ils le font très bien tout seuls. Ils ont des postures, s'organisent en castes surprotégées avec des moeurs qui ne correspondent pas forcément aux idées qu'ils défendent..."

Ce procès global, sans nuance, cette manière commode et facile de mettre tous les politiques dans le même sac d'opprobre me semble relever d'un populisme dangereux et injuste.

Etonnant de la part d'un citoyen qui se veut responsable. Quelle surprenante démarche intellectuelle, en effet, que celle qui ne discrimine pas, ne distingue pas la règle et les exceptions, se soucie peu de ce qui quotidiennement vient contredire cette charge unilatérale et participe ainsi à un préjudiciable abaissement de la démocratie !

Cet engagement tout de partialité, ce populisme en fin de compte plus chic que raisonné est d'autant plus paradoxal que Francis Cabrel termine cet assaut univoque par "Je ne veux pas donner d'exemple précis" et que, "sur la politique social-démocrate de François Hollande", il se retient :"J'ai bien un avis mais je le garde pour moi. Certains artistes le donnent sans faire avancer le schmilblick. Après chacun peut s'exprimer dans l'isoloir, et cela me convient parfaitement".

Ce dernier avis me paraît de bon sens et surtout maintient le chanteur dans un rôle spécifique qui ne donne pas plus de lumière ni de savoir au citoyen. Celui-ci dans la discrétion et l'artiste dans l'éclat tentent d'adopter une attitude qui, pour Francis Cabrel, est clairement identifiable. Un progressisme plus de morale que d'idéologie. Moins agaçant que chez certains donneurs de leçons professionnels.

Cet engagement dévastateur anonyme et ce désengagement ciblé, je les analyse comme un tiraillement qui écartèle l'artiste entre une volonté d'en être et un désir d'effacement. Il n'élimine pas plus l'une que l'autre. D'où cette distorsion signifiante qui manifeste que cet homme n'est pas tout d'une pièce.

Peut-être a-t-il inventé le désengagement militant...


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