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Mieux vaut Qatar que jamais !

Justice au singulier - philippe.bilger, 2/12/2014

Pour Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin, mieux vaut Qatar que jamais et, pour Alain Juppé, il n'est nul besoin de machiavélisme pour avoir le sarkozysme mesuré et vigilant !

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On prend les Français pour des imbéciles.

L'antisarkozysme serait le machiavélisme du pauvre, selon Thomas Guénolé. Mais alors un machiavélisme bien maladroit car en pleine lumière et dévoilant sans gêne son argumentation !

En revanche, je me demande si le sarkozysme ne serait pas lui-même un machiavélisme de piètre qualité, affichant ses coutures et ses visées.

Quand j'ai entendu l'ancien président de la République questionné sur TF1 par une Claire Chazal fidèle à elle-même pour la conduite des entretiens politiques, c'est-à-dire insipide et mollassonne, je l'ai trouvé à peu près aussi crédible dans sa façade sereine et pleine d'équanimité que François Hollande dans le rôle du "bon gros" qu'il affectionne pour tromper son monde.

Son intention de créer un Comité des anciens Premiers ministres, derrière l'apparente concertation qui semble l'inspirer, est en réalité un piège redoutable et cynique.

On est bien obligé d'évoquer les étranges sinuosités de Dominique de Villepin dans ses relations avec Nicolas Sarkozy. Pendant près de quinze ans, ils ont été à couteaux tirés, avec une violence et une démesure qu'ils ne tentaient jamais de dissimuler tant elles révélaient l'authenticité d'une haine à la fois personnelle et politique. Depuis juin 2014, c'est un risible et singulier retournement. On entend quasiment Dominique de Villepin s'écrier "Embrassons-nous, Sarkozy !" Celui-ci, paraît-il, a miraculeusement changé, "il a tiré les leçons de l'expérience du pouvoir" (JDD, Le Parisien, Le Figaro).

Qui peut croire une seconde au surgissement sincère de cet univers irénique, à l'accord subit de ces belles âmes seulement préoccupées de la France et de son avenir, quand la candeur n'est pas leur fort ?

Les Français sont-ils assez naïfs pour ne pas soupçonner derrière ces voltes douteuses et ces arrangements opportunistes des coulisses dans lesquelles on ne souhaite pas qu'ils entrent ? Sont-ils assez crédules, eux qui ont déjà l'obsession complotiste même devant des événements limpides, pour ne pas deviner du malsain sous la superficie convenable ?

Il faut dire que les citoyens commencent à en avoir l'habitude. L'enthousiasme frénétique de Bernadette Chirac pour Nicolas Sarkozy, contre son couple et sa famille, n'était-il pas déjà infiniment suspect, lié à des connivences et à des bienveillances financières ? Sans l'ombre, en tout cas, d'une bienveillance politique puisque Nicolas Sarkozy n'aura cessé de s'opposer effrontément à Jacques Chirac.

Pour cette "magnifique" réconciliation entre l'ex-président et l'ancien Premier ministre, d'aucuns, qui ont le tempérament trop sec et l'esprit trop vif pour l'applaudir, évoquent "un pacte de non-agression entre deux hommes ayant chacun des liens très étroits avec le Qatar et des relations communes, notamment le riche homme d'affaires Alexandre Djouhri" (Le Monde).

Y aurait-il eu par ailleurs une volonté de damer le pion à son ancien directeur de cabinet Bruno Le Maire, qui ne s'est pas contenté de se présenter à la présidence de l'UMP mais a obtenu un score estimable qui lui ouvre peut-être d'autres perspectives ? Celui-ci en tout cas a fait le mystérieux, laissant entendre qu'il avait la clé du rapprochement incongru entre ces deux susceptibilités longtemps à vif. Mais en nous laissant sur notre faim.

Machiavélisme, s'il existe, qui manque son effet pour d'évidents motifs psychologiques. Pour qu'une entente apparaisse comme vraiment cordiale et des retrouvailles de bonne foi au bout d'une aussi longue période d'antagonismes personnels, judiciaires et politiques, il convient qu'elles s'accordent avec les tempéraments, qu'elles soient rendues plausibles par les caractères. En l'occurrence, la nature de chacun est aux antipodes de l'oubli des offenses sauf si leurs intérêts secrets exigeaient l'inconcevable.

Nicolas Sarkozy va recycler Dominique de Villepin dans ce Comité et je ne doute pas que ce dernier retrouvera avec satisfaction un rôle qui le changera de sa lassante vision internationale partout et toujours : il faut du compromis, de la négociation et du dialogue mais jamais il ne nous donne la solution pour les créer, les susciter !

François Fillon a d'emblée refusé de participer à ce cénacle que des grossiers ont qualifié de "comité de vieux cons". Il a eu raison d'autant plus que lui, malheureusement, peut se permettre l'audace du rejet. Depuis la polémique l'ayant opposé à Jean-Pierre Jouyet et ayant ruiné sa cause pour la primaire de 2016, il n'a au sens propre plus rien à perdre en s'affranchissant de toute prudence. Puisqu'il n'a plus l'espérance de gagner.

Alain Juppé n'a pas encore donné sa réponse définitive, dans l'attente de précisions. A mon sens - mais je ne suis qu'un minuscule Fabrice del Dongo témoin de cette bataille partisane - il devrait s'abstenir.

Il est clair que son implication dans ce Comité n'aurait pour but que de le banaliser, d'étouffer ce qu'il a de singulier et d'intègre et de le mettre, avec cette inévitable promiscuité, sur le même plan, notamment éthique et judiciaire, que d'autres plus contestés.

Il suffit de se rappeler Nicolas Sarkozy osant évoquer le passé judiciaire d'Alain Juppé. Il s'est attiré une réponse cinglante soulignant qu'il n'y avait pas "photo" entre eux, puisque Nicolas Sarkozy est nommé et visé dans onze procédures au moins. Toutefois, cette apparente maladresse de l'ex-président montre à quel point tout ce qui sera de nature à ruiner la réputation de son adversaire dans un domaine qui est son énorme point faible à lui, sera bienvenu et exploité.

Il est absurde de juger les suites immédiates de l'élection du 29 novembre comme la lutte finale alors que celle-ci ne fait que commencer ; qualifier Alain Juppé ou François Fillon de "mauvais perdant" n'a rigoureusement aucun sens.

A l'intérieur de ce Comité, aux côtés de Sarkozy, Villepin et Raffarin, Alain Juppé apparaîtra forcément comme l'un des leurs. En demeurant à l'extérieur, il parviendra à mieux respirer. L'air pur ne lui fera pas défaut et il n'arrivera pas à la primaire exsangue, dépouillé de ce qui faisait peur à Nicolas Sarkozy et, donc, évidemment déjà battu.

Pour Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin, mieux vaut Qatar que jamais et, pour Alain Juppé, il n'est nul besoin de machiavélisme pour avoir le sarkozysme mesuré et vigilant!


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