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Attaque de l’Hôpital de Kunduz : Appel à MSF pour une plainte devant la CPI

Actualités du droit - Gilles Devers, 7/10/2015

L’humanitaire a été si souvent critiqué, il est vrai pollué par bien des...

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L’humanitaire a été si souvent critiqué, il est vrai pollué par bien des ambiguïtés, qu’il faut savoir le défendre quand il s’inscrit dans la plus noble des traditions, et qu’il paye cash pour avoir défendu les principes les plus établis du droit international : soigner quiconque a besoin de soin. Pour avoir respecté cette ligne douze membres du personnel de MSF en Afghanistan et 10 patients, dont trois enfants, ont été tués ; 37 ont été blessées parmi lesquelles 19 membres de l’équipe MSF. Ça s’est passé dans la nuit du 3 ou 4 octobre à Kunduz, et pour travailler là-bas, il fallait de solides convictions pour y aller. Ces héros ont notre admiration.

L’affaire, c’est l’attaque de l’hôpital de Kunduz, un crime de guerre commis par les États-Unis au cœur de l’Afghanistan.

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Kunduz

La ville de Kunduz, 300 000 habitants, la 4° ville du pays, est un carrefour sur la route reliant Kaboul au Tadjikistan. C’est la porte vers le grand dans le grand nord-est du territoire.

Lundi dernier, le 28 septembre, après une attaque de quelques heures, Kunduz est tombée sous le contrôle des Talibans. Depuis la chute de leur régime en 2001, jamais ils n’avaient connu une victoire de cette importance. Une conquête qui montre les faiblesses endémiques de l’armée afghane, après 14 ans de leadership étasunien, et 60 milliards € de dépenses militaires… La chute de Kunduz est un échec cinglant pour le pro-occidental président Ashraf Ghani, et elle signe le désastre des États-Unis dans une terre qui ne sera jamais pour eux, et vis-à-vis d’un peuple qu’ils n’ont jamais compris, et auquel ils ont fait tant de mal. La coalition occidentale souhaitait entretenir le mythe de Talibans réfugiés dans les montagnes près de la frontière pakistanaise. C’est raté : ils ont pris le contrôle de la quatrième de ville du pays, mettant l’armée en déroute.

Jeudi, l’armée afghane a entrepris la reconquête… mais impossible d’agir seule. Sur le territoire afghan, il reste 13 000 soldats de l’OTAN, dont 10 000 étasuniens. Ils assurent l’administration et le renseignement, soi-disant conseillent et forment l’armée afghane... Bien peu de capacité opérationnelle. Mais il reste l’aviation US…

A Kunduz, et loin au-delà, tout le monde connait le centre de traumatologie de Médecins Sans Frontières, la seule structure hospitalière capable d’offrir des soins médicaux et chirurgicaux essentiels. En quatre ans d’activité, des dizaines de milliers de patients y ont été soignés. La semaine dernière, alors que les combats secouaient la ville, l’hôpital a traité 400 patients. Seul critère pour être admis : nécessiter des soins.

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L’attaque de l’hôpital de MSF

L’attaque a eu lieu dans la nuit du 3 au 4. L’alerte est venue avec un avion étasunien, un AC-130 – au top de la technologie – qui après plusieurs survols, a bombardé le bâtiment central de l’hôpital : soins intensifs, salles d’urgence et service de physiothérapie. A cet instant, 105 patients et 80 membres du personnel, des Afghans et des étrangers, étaient présents.

MSF explique que l’hôpital a été pris pour cible entre 2 h 08 et 3 h 15, avec des frappes menées à intervalle de 15 minutes. Chaque raid visait de manière précise le bâtiment principal.

Au premier tir, MSF a alerté les commandements militaires afghan et de la Coalition, avec qui les contacts sont directs. La ville était calme, il n’y avait aucun combat à proximité de l’hôpital, et les coordonnées GPS de l’hôpital étaient parfaitement connues des états-majors. Mais malgré ces alertes circonstanciées, effectuées par les responsables légitimes de MSF et adressées aux autorités militaires légitimes, les attaques aériennes ont continué. Seul le centre hospitalier a été bombardé.

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Le caractère intentionnel reconnu

Les explications données, d’abord embrouillées, ont finalement reconnu la réalité d’une attaque intentionnelle.

Première version : il ne s’est rien passé. Voici le colonel Brian Tribus, porte-parole de la mission de l’OTAN en Afghanistan, confirmant que dans la nuit, les forces US avaient mené une attaque aérienne à 2 h 15. La frappe avait « peut-être provoqué un dommage collatéral sur un bâtiment médical situé non loin » de la cible visée. Une heure et quart de bombardements, et 22 morts…

Deuxième version : ce bombardement a été mené pour protéger des soldats étasuniens. Dimanche, ce gros menteur Ashton Carter, le secrétaire à la défense US, est venu expliquer que « des forces américaines (étasuniennes) se trouvaient à proximité de l’hôpital et sous le feu ennemi », ajoutant que si « un avion américain a effectivement ouvert le feu, cela ne signifie pas pour autant que cette frappe a conduit à la destruction de l’hôpital ». Problème : aucun soldat US n’était au sol, ça ne tient pas deux minutes.

 

Troisième version : c’est l’armée afghane qui a requis ce soutien pour une attaque ciblée sur l’hôpital, et on doit cette franchise au gouverneur de Kunduz, Hamdullah Danishi, affirmant que « l’hôpital était occupé à 100 % par les talibans, ce qui a justifié ces frappes ». Le ministère de l’intérieur afghan a ajouté que dix à quinze talibans avaient été tués, ce qui est faux. Deux versions concordantes, ça, c’est une preuve. « Justifiant ces frappes » : l’ordre était de viser l’hôpital, et d'ailleurs, comment oser soutenir autre chose ? Devant la commission des forces armées du Sénat, le général Campbell a expliqué hier que l’attaque a été demandée par les Afghans mais décidée par la chaîne de commandement US.

Le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a estimé que si cette frappe est reconnue comme délibérée, elle constituerait un crime de guerre : « Les stratèges militaires internationaux et afghans ont une obligation de respecter et protéger les populations civiles à tout moment, et les établissements médicaux et leur personnel font l’objet d’une protection spéciale. Ces obligations s’appliquent quelle que soit la force aérienne.

C’est dire qu’il y a eu clairement intention de détruire cet hôpital, au motif que, respectant le droit international, il soignait tout le monde. Joanne Liu, présidente internationale de MSF, est très nette dans sa déclaration du 6 octobre 2015 : « Les forces afghanes et américaines qui coopéraient ont décidé de raser un hôpital complètement fonctionnel, ce qui constitue l’aveu d’un crime de guerre ».

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Trois enquêtes,… rien de sérieux

Trois enquêtes ont été annoncées : par les Afghans et les Etasuniens, de la plaisanterie assurée, et par l’ONU, sans moyen d’investigation, rendez-vous dans quelques années...

MSF dénonce juste titre ces enquêtes dont l’inefficacité est garantie, et l’ONG demande une enquête internationale… Oki, excellente idée, mais vu les enjeux de cette affaire, car il y a eu 22 morts par l’attaque délibérée contre un hôpital et parce que le but de réel est de combattre une médecine humanitaire indépendante, il faut tourner la page de ces procédés d’enquête qui ne conduisent à rien car, quel que soit la bonne volonté de leurs auteurs, ils ne s’inscrivent dans aucune procédure. C'est de la procédure qu'il faut ! 

La CPI est compétente

La réponse à donner est claire : Médecins Sans Frontières doit déposer une plainte devant la Cour Pénale Internationale, en application de l’article 15.1 du statut qui permet à toute personne de dénoncer au procureur des faits relevant de la compétence de la cour.

En effet, l’Afghanistan a ratifié le Statut de Rome le 10 février 2003. La Cour pénale internationale est par conséquent compétente à l’égard des crimes visés par le Statut commis sur le territoire afghan ou par des ressortissants de ce pays à compter du 1er mai 2003. Le bureau du procureur a reçu de nombreuses plaintes, mais cela patauge pour le double motif que le gouvernement afghan ne veut pas gêner les États-Unis, et que les États-Unis ont fait signer au gouvernement afghan un accord, totalement illégal, aux termes duquel les États-Unis restent en Afghanistan à condition que jamais le pouvoir afghan ne fasse quoi que ce soit pour reconnaître leur responsabilité. Les États-Unis savent que s’ils restent en Afghanistan, ils commettront des crimes et, au nom des « valeurs de l’Amérique », ils achètent leur impunité.

L’attaque de l’hôpital est tellement nette qu’elle peut permettre d’inverser le cours des choses, et donner au procureur la matière à ouvrir une enquête.

L’attaque d’un hôpital est depuis toujours une violation grave du droit international, et la sanction est explicitement prévue par l’article 8, 2, b, ix) du statut de la CPI : « Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés, à condition qu’ils ne soient pas des objectifs militaires ». C’est net et précis.

Si l’on ne réagit pas, toute structure de soin qui accueillera tous les malades pourra être attaquée. Les États-Unis refusent l'application du droit international pour défendre leurs intérêts impérialistes. Ils détruisent les Etats avec des discours sur la démocratie. C’est l’occasion de les placer devant le juge, et de faire juger leur responsabilité internationale. 

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Un p'tit voyage à La Haye, rien de mieux pour restructurer le sur-moi


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