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Ah, si Emmanuel Macron était Georges Pompidou...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 19/11/2018

Ah, si Emmanuel Macron était Georges Pompidou, il aurait réfléchi en intégrant le fait que 60% des Français ont besoin de leur voiture pour une quotidienneté laborieuse et il se serait interrogé sur ce point capital, et son Premier ministre avec lui : une politique n'est-elle glorieuse que si elle est punitive, que si elle divise, que si elle propose un futur pour les privilégiés, inconcevable pour les modestes, en ne se colletant pas d'abord à l'insupportable et lancinante charge du présent pour tant de gens ?

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Le pouvoir actuel ne comprend rien à ce qui se passe. Un pouvoir qui vient à la radio ou à la télévision pour ne rien dire n'est rien de plus qu'un pouvoir qui ne dit rien. Nulle aura derrière ce vide et cette affectation de cohérence et de rigidité (France 2).

Et le présidentiel "j'y répondrai en temps voulu" n'est pas non plus un modèle de déférence démocratique. Un peu de patience, braves gens ! Les citoyens aboient, le pouvoir passe ! (BFMTV).

Pour qui suit, depuis longtemps, Emmanuel Macron à la trace avec un mélange d'estime, voire d'admiration, et d'inquiétude, voire d'angoisse, et qui espère sa réussite puisque ce serait celle de la France, on ne peut manquer d'être frappé par un certain nombre d'éléments qui, intégrant la protestation collective et spontanée des Gilets jaunes avant qu'elle tente de se structurer, éclairent sur les difficultés de sa pratique du pouvoir et expliquent les doutes sur la philosophie qui l'inspire.

Ce n'est pas se renier que de faire preuve, comme citoyen, d'une lucidité qui s'enrichit au fil du temps et vient au moins partiellement contrebattre l'enthousiasme initial, l'espérance originelle. J'ajoute qu'il y a des déceptions ou des critiques qui ne relèvent pas de la politique du pire, le pire de la politique, mais d'une volonté sincère de voir réapparaître l'élan premier qui a permis le vote de deux réformes fondamentales.

Mais depuis, quelle dégradation !

Je ne sais pourquoi mais le caractère singulier et si rapide de celle-ci m'a fait songer avec une sorte de nostalgie à Georges Pompidou dont le fait que le septennat a été tragiquement écourté a représenté un désastre pour notre pays. On a beaucoup comparé Emmanuel Macron à Valéry Giscard d'Estaing. Ce n'est pas faux.

Mais je songe au contraire : ah, s'il avait pu être Georges Pompidou...

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Celui-ci, d'abord, aurait détesté le salmigondis ayant porté notre président au pouvoir même si j'ai scrupule à me moquer de ce dépassement de la droite et de la gauche puisqu'il a été le ressort principal de la victoire de 2017. Aujourd'hui nous constatons les effets pervers d'une politique qui en cherchant à tout prendre en compte semble s'être perdue dans ses méandres.

Ensuite je continue d'être stupéfié non par la contestation même virulente qui s'est toujours manifestée en France dès qu'on prétendait réformer ici ou là mais par la détestation dont Emmanuel Macron fait l'objet de la part de beaucoup. L'homme est abhorré et ses comportements dénoncés.

Comme si, derrière la surface des controverses républicaines, s'était glissée une fureur anti-régalienne contre ce président trop à part, trop loin ou quelquefois trop près : il a beau faire et beau dire, rien ne semble pouvoir arrêter cette impression d'une humiliation citoyenne, d'un mépris d'en haut. Quelque chose qui probablement nourrissait la rage populaire contre Marie-Antoinette bien plus que contre Louis XVI, brave homme impuissant, tragiquement, injustement décapité.

L'injustice absolue dont pâtit le président est que tous ses prédécesseurs, dans leur for intérieur ou dans leur cercle politique proche, ne devaient pas se gêner pour formuler parfois la piètre opinion qu'ils avaient des Français et de leur résistance au mouvement. Faut-il rappeler les "veaux" du général de Gaulle ! Mais ils avaient tous l'habileté ou l'hypocrisie de ne jamais exprimer dans le débat public ou les pérégrinations provinciales leurs convictions intimes de sorte qu'au moins en surface le lien entre eux et la communauté nationale n'était jamais rompu, quelle que soit par ailleurs l'ampleur des antagonismes propres à notre démocratie naturellement effervescente. Il faut dire que les nouveaux moyens de communication, portables, réseaux sociaux, Internet, n'existaient pas.

Alors qu'Emmanuel Macron, avec courage, aussi avec imprudence mais le plus souvent avec une familiarité dénuée de vulgarité, a placé sur la table républicaine, ouvertement, ostensiblement, sa distance critique, voire sévère avec une France qui ne répondait pas à ses attentes. C'est à partir de ce pouvoir qui n'a jamais dissimulé ce qu'il pensait des Français que s'est ajoutée, à une classique défiance du pouvoir en lui-même, l'amère constatation qu'en plus il les traitait de haut, qu'ils étaient "des gueux" et que cette monarchie républicaine leur offrait de plus en plus un roi avec de moins en moins de République.

Sur ce plan je me permets de renvoyer à mon billet du 9 avril 2018 : Emmanuel Macron: Nouveau Monde ou Ancien Régime ?

On a beaucoup cité la saillie de Georges Pompidou insistant pour qu'on cesse "d'emmerder les Français". Ce n'est pas seulement un trait mais l'expression d'une politique qui se trouve radicalement aux antipodes de la conception présidentielle d'Emmanuel Macron dont il faut noter qu'il est lesté en profondeur d'une droite entreprenante mais très parisienne et d'une gauche miséricordieuse mais très bobo. Georges Pompidou n'exigeait rien des Français alors qu'Emmanuel Macron attend tout d'eux en s'illusionnant sur leur compte. Georges Pompidou les considérait avec une empathie réaliste quand Emmanuel Macron aspire à les bousculer avec ce qui peut ressembler à la morgue que la modernité éprouve à l'égard de la tradition. Pour l'un, c'était au pouvoir de ménager les Français. Pour l'autre, c'est au pouvoir, au contraire, de les bousculer.

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Rien ne me paraît plus symptomatique de cette dérive, d'abord que cette obsession du changement pour le changement qui n'est qu'une poudre aux yeux pour masquer une impuissance enclose dans la gestion du réel, ensuite que cette phrase ressassée par la langue de bois macronienne selon laquelle la France serait à réparer, ce qui est une parfaite absurdité.

Je comprends bien ce qu'il y a d'hostilité systématique et classique à l'égard des présidences d'avant dans cette affirmation mais je crains que derrière ce rituel Emmanuel Macron et ses soutiens les plus proches croient véritablement que notre pays doit être placé sur un établi et métamorphosé de fond en comble au point de ne plus savoir fonctionner, la réparation faite et le peuple dans la rue avec des Gilets Jaunes ou non. Cette manière de laisser croire qu'on a reçu une France en loques et qu'elle mériterait davantage que les aménagements intelligents et modérés d'un pragmatisme non idéologique est dévastatrice car elle laisse l'ensemble des électeurs macroniens et de leurs représentants dans un état de saisissement indigné.

Quoi, ces Français ne sont pas contents de l'avenir radieux qu'on leur prépare mais préfèrent leur imparfait présent, quoi, ces citoyens sont plus attentifs à leur pouvoir d'achat et à leur manière d'aller au travail qu'à l'écologie et à son triomphe ou non quand ils seront tous morts !

Ah, si Emmanuel Macron était Georges Pompidou, il aurait réfléchi en intégrant le fait que 60% des Français ont besoin de leur voiture pour une quotidienneté laborieuse et il se serait interrogé sur ce point capital, et son Premier ministre avec lui : une politique n'est-elle glorieuse que si elle est punitive, que si elle divise, que si elle propose un futur pour les privilégiés, inconcevable pour les modestes, en ne se colletant pas d'abord à l'insupportable et lancinante charge du présent pour tant de gens ?

Ah, si Emmanuel Macron pouvait se souvenir de Georges Pompidou...


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