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Le président ne doute pas : il fait semblant

Justice au singulier - philippe.bilger, 25/01/2012

Le président ne doute pas : le candidat fait semblant. Qu'on ne compte pas sur lui pour être atteint par la peur de gagner !

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Le président de la République, au cours d'une soirée en Guyane, paraît-il en off, a distillé des confidences à plusieurs journalistes. La réalité de cet épisode à l'initiative de Nicolas Sarkozy, n'a été connue que grâce à la volonté de transparence de Libération.

Immédiatement on a déduit de cette séquence que Nicolas Sarkozy envisagerait l'échec, serait en proie au doute et, si sa défaite advenait, ferait autre chose que s'occuper d'une quelconque section UMP (Le Monde).

Je ne parviens pas à analyser cette péripétie et ces propos comme l'expression d'une spontanéité s'offrant enfin le droit d'être débridée. J'y vois plutôt une tactique habile qui vise à faire d'une apparente sincérité une arme redoutable pour le début d'une campagne dont Nicolas Sarkozy perçoit les difficultés à venir mais qui ne l'effraie pas. Le candidat enfoui sous le président maladroit et décevant bout d'impatience et n'a probablement qu'une hâte, c'est de ressurgir dans sa plénitude. Les doutes de Nicolas Sarkozy relèvent à l'évidence de la même opération que ses allégations constantes sur le fait qu'il sera président de la République jusqu'au bout. Il est aussi peu incertain pour la joute présidentielle qu'il est clairement candidat depuis des mois.

Il est d'autant plus essentiel, pour lui, de laisser apparaître ces hésitations, ce trouble, ce vague pessimisme qu'ils ne feront que conforter, de l'autre côté, le sentiment d'avoir déjà gagné caractérisé notamment par les déclarations répétées de Pierre Moscovici qui s'obstine à marteler que Nicolas Sarkozy ne peut plus vaincre. Ce qui est, à la fois, inepte et, en profondeur, démobilisateur. Par ailleurs, en dépit de la prestation brillante de François Hollande au Bourget et des réactions faibles de l'UMP, il n'est pas sûr que l'inélégance avec laquelle le candidat socialiste a "zappé" politiquement et humainement Ségolène Royal, sans doute à cause de la présence de sa compagne aux côtés de Mazarine Pingeot, ne laisse pas une trace négative. Que le PS s'enfonce dangereusement dans cette impression d'une victoire avant l'heure, si elle est dévastatrice pour lui, est, en revanche, porteuse d'espérance pour Nicolas Sarkozy qui n'aspire qu'à être plus que jamais un "outsider", presque un virtuel vaincu qui appelle moins de ressentiment qu'une constatation apaisante.

Croit-on véritablement que c'est par hasard - avec une divulgation inévitable - que le président s'est abandonné, en ce moment précis, à la manifestation d'états d'âme qui dans tous les cas, à les supposer authentiques, surviennent trop tardivement pour imposer une alternative alors que, plus précoces, ils auraient risqué de susciter une exigence de primaire ? A nouveau, dans le constat, ce sont les lettrés qui voient juste et les spécialistes qui selon moi se trompent. Rien de plus faux, en effet, que de minimiser l'incident comme le fait Roland Cayrol qui y voit "juste une vérité du moment", que de le dramatiser comme Christian Salmon qui le nomme "le signe de la fin". Seul Patrick Rambaud devine le piège: "Si c'est une ruse, elle est idiote".

Peut-être pas si "idiote" que cela. Ce qui manque absolument au président, c'est d'être aimé. Davantage peut-être encore : qu'on désire l'aimer, qu'on ait envie, une seconde, d'éprouver à son égard une empathie qui, faisant fi de l'arrogance vulgaire qu'on lui prête, s'attacherait à ses faiblesses, ses failles, au possible désastre qui le guette. En ce sens, l'exercice auquel il s'est livré devant des journalistes trop heureux des confidences intimes pour les questionner politiquement, va plus loin que le "je suis le moins mauvais" qu'on entendra sans cesse lors de la campagne. Il signifie qu'il est, lui aussi, capable de "fendre l'armure", d'offrir ses blessures, son for intérieur, et de quémander un amour qui lui est si chichement octroyé, même par ses partisans inconditionnels, qui collent à lui mais comme à une bouée de sauvetage. On est bien obligé de feindre de choyer le capitaine pour éviter le naufrage !

Enfin, la scène guyanaise ressemble à un encouragement qu'il s'adresse à lui-même après avoir, un temps, déstabilisé ses troupes. Nicolas Sarkozy appartient à cette catégorie de "bêtes" politiques qui ont besoin de l'odeur, du souffle, de la proximité du pire prévisible pour bander leurs forces et remonter à la surface, vers la victoire. Il a heurté délibérément du pied le fond de la piscine et, dans l'élan, il se projette vers demain.

Le président ne doute pas : le candidat fait semblant. Qu'on ne compte pas sur lui pour être atteint par la peur de gagner !


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