Actions sur le document

Motivation de la lettre de licenciement : le droit à l’erreur

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Stéphane Bloch, Fabien Crosnier, 4/07/2017

Si la lettre de licenciement fixe les limites du litige, un certain courant jurisprudentiel reconnaît néanmoins, jusqu’à un certain point, un « droit à l’erreur » à l’employeur qui commet des maladresses dans la rédaction du courrier de rupture.
1. la motivation de la lettre de licenciement
Tout a été dit ou presque sur la motivation de la lettre de licenciement : cette dernière circonscrit les termes du débat au(x) seul(s) motif(s) qui y sont mentionnés, de sorte que l’employeur ne peut pas faire valoir ultérieurement un motif qu’il aurait oublié d’y faire figurer. L’on sait en revanche que, de façon parfaitement asymétrique, la lettre par laquelle le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur, ne fixe pas les limites du litige, de sorte que l’intéressé reste libre de faire valoir ultérieurement des griefs qui n’y étaient pas mentionnés (1), pourvu qu’il en ait eu connaissance avant la prise d’acte (2). La règle n’est donc pas la même selon la partie au contrat de travail qui prend l’initiative de la rupture.

C’est oublier un certain courant jurisprudentiel, parfois méconnu, qui, sans remettre en cause la portée de la lettre de licenciement, fait preuve d’un certain pragmatisme en reconnaissant à l’employeur ce qui, parfois, pourrait s’apparenter à un véritable « droit à l’erreur » dans la rédaction de la lettre de licenciement.

(1) Cass. soc. 24 janvier 2007 n° 05-41670
(2) Cass. soc. 9 octobre 2013 n° 11-24457

2. le juge, interprète de la lettre de licenciement
La lettre de licenciement est, en effet, un acte unilatéral de droit privé. Il n’y a donc aucune raison pour qu’elle échappe, à ce titre, aux dispositions de l’ancien article 1156 du Code civil, reprises à l’article 11881188 dudit Code (« Le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes »), règle dont on admet traditionnellement qu’elle s’applique non seulement aux contrats proprement dits mais également aux actes unilatéraux et, plus généralement, à tout type d’écrit . (3)

C’est donc fort logiquement que, pour la Cour de cassation, il appartient au juge « d’interpréter la lettre de licenciement et d’en apprécier la portée à la lumière de tous les éléments produits dans le débat », en se fondant à cette fin sur des éléments extrinsèques au courrier de rupture tels que, par exemple, les termes de la convocation à entretien préalable ou encore l’attestation Pôle Emploi . (4)


(3) En ce sens : Ph. SIMLER, J.-Cl. Civil Code, art. 1156 à 11644, Fasc. 10 : Contrats et obligations. – Interprétation des contrats. – L’instrument : notion, normes, champ d’application, date de fraîcheur : 10 juin 2015, n° 70 et ss
(4) Cass. soc. 4 avril 2001, n° 99-40766

3. des licenciements ont été jugés à plusieurs reprises fondés sur une cause réelle et sérieuse alors même que l’employeur s’était trompé dans la relation des faits visés dans la lettre de licenciement
, notamment quant à leur date.

A titre d’illustration, dans une affaire dans laquelle un « aide lamineur » avait été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement, il a été jugé que le fait pour l’employeur de présenter inexactement dans la lettre de licenciement comme étant la seconde visite de reprise ce qui n’était en fait que la première visite, et de s’abstenir de faire état de la seconde, n’avait pas pour effet de rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse. En effet, « les erreurs de date contenues dans la lettre de licenciement concernant les visites médicales, erreurs purement matérielles, [sont] sans conséquence » et « la rectification des erreurs affectant non pas le grief mais les éléments permettant de le vérifier, ne peut être considérée comme l’allégation de nouveaux griefs ») . (5)

Un licenciement pour motif économique fondé sur la cessation d’activité de l’entreprise a encore été jugé justifié alors même que le mandataire-liquidateur s’était trompé dans la lettre de licenciement sur la date de la cessation totale d’activité . (6)

Dans une autre affaire dans laquelle un salarié avait été licencié pour faute grave pour avoir refusé de porter ses chaussures de sécurité, il a été jugé que l’erreur commise par l’employeur dans la date des faits reprochés ne privait pas pour autant le licenciement subséquent de cause réelle et sérieuse dès lors que « la circonstance que les faits soient fixés à une date plutôt qu’à une autre ne modifie en rien l’appréciation qu’on peut en avoir ». Il faut et il suffit que « la matérialité des faits [soit] acquise » . (7)

Dans un autre arrêt, un salarié avait été licencié pour avoir estimé en bon état des pièces de machines qui ne l’étaient pas. S’en était suivi un « mécontentement extrême du client qui n’a pas été livré à temps ». L’employeur avait commis une erreur de date dans la lettre de licenciement. Pour la Cour d’appel qui a eu à connaître de cette affaire, le licenciement n’en est pas moins fondé sur une cause réelle et sérieuse « sans que l’erreur matérielle sur une seule des dates visées par la lettre de licenciement puisse interdire le bien fondé de ce licenciement » . (8)

(5) CA AMIENS, 8 septembre 2004, JurisData n° 2004-257101
(6) CA PARIS 5 juin 2002, JurisData n° 2002-193752
(7) CA ANGERS, 29 février 2000, JurisData n° 2000-125918
(8) CA ORLEANS, 11 décembre 1997, JurisData n° 1997-056471

4. Il arrive parfois que la jurisprudence fasse preuve d’encore davantage d’audace
En effet, si l’on devait appliquer restrictivement la règle selon laquelle la lettre de licenciement fixe les limites du litige, la « ligne rouge » à ne pas franchir devrait être la nature du motif énoncé dans la lettre de licenciement. Autrement dit, si l’employeur reste, en principe, libre d’étayer le motif sur lequel il se fonde pour prononcer le licenciement par des faits qui n’y sont pas mentionnés mais qui permettent néanmoins d’établir la pertinence du motif invoqué (9) , il ne devrait pas, en revanche, avoir la possibilité de faire ultérieurement état d’un motif différent (par exemple en invoquant une insubordination alors que la lettre de licenciement ne vise que des faits de vol) pas plus qu’il ne devrait pouvoir s’affranchir de la qualification qu’il a entendu lui donner (licenciement pour motif économique/pour un motif inhérent à la personne ; disciplinaire/non-disciplinaire).

A plusieurs reprises cependant, il a été jugé que le Juge pouvait et même devait reformuler les termes de la lettre de licenciement lorsque ceux-ci étaient maladroitement formulés ou mal libellés.

Le pouvoir voire le devoir d’interprétation du juge lui permet ainsi de disposer d’une certaine malléabilité dans l’application du principe selon lequel la lettre de licenciement fixe les termes du litige.

Ainsi, dans une affaire dans laquelle un employeur avait adressé au salarié une lettre de licenciement dit pour « motif économique » alors qu’il lui reprochait une insubordination (consistant dans le fait d’avoir refusé, à son retour de congé sabbatique, des postes comparables à celui qu’il occupait précédemment), les Juges ont accepté de rectifier la maladresse de rédaction commise par l’employeur et ont déclaré le licenciement fondé sur une cause réelle sérieuse. En effet, « même si la société a utilisé, par erreur, l’expression ‘licenciement pour motif économique’ à la troisième ligne de la lettre de licenciement, il appartient aux juridictions de restituer la nature véritable du licenciement qui doit s’analyser ici comme un licenciement pour cause réelle et sérieuse » .
(10)

Dans une autre affaire où une lettre de licenciement indiquait que le salarié était licencié pour « insuffisance professionnelle » tout en qualifiant maladroitement de « fautes » plusieurs des manquements qui lui étaient reprochés, la Cour d’appel de Rennes a jugé que malgré l’utilisation du mot « faute », le licenciement n’était pas un licenciement disciplinaire mais un licenciement pour insuffisance professionnelle, l’usage des mots « faute » ou « fautif » n’étant selon elle qu’une « commodité linguistique » et non pas le signe quelconque d’une volonté de l’employeur « de se ranger sous une terminologie juridique précise ». Cette précision étant faite, le motif ainsi circonscrit à la seule insuffisance professionnelle a été jugé suffisamment étayé . (11)

*

La sagesse invite évidemment à faire preuve de la plus grande circonspection dans le choix des termes utilisés pour la rédaction de la lettre de licenciement et quant à l’exactitude des faits et des dates qui y sont mentionnés. Rappelons à cet égard que la règle selon laquelle une lettre de licenciement mal motivée rend le licenciement subséquent sans cause réelle et sérieuse, pourrait bien connaître prochainement un assouplissement. Le Projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures pour le renforcement du dialogue social, présenté le 28 juin 2017, prévoit en effet d’adapter « les règles de procédure et de motivation applicables aux décisions de licenciement ainsi que les conséquences à tirer du manquement éventuel de celles-ci, en amont ou lors du recours contentieux ».


(9) Cass. soc. 15 oct. 2013, n° 11-18977 (« si la lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables, l'employeur est en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier ce motif »)
(10) CA ORLEANS, 15 septembre 2005, JurisData n° 2005-286935
(11) CA RENNES, 6 novembre 2008, n° 07/01126


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...