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Montigny-les-Metz, tentative d’épuisement d’un lieu de crime

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 3/05/2017

Derrière le talus de la rue Venizelos, à Montigny-les-Metz, était un royaume. Juste assez loin du regard des parents, juste assez près pour rentrer goûter et ne pas rater Bourvil à la télé. On y accédait par un chemin escarpé … Continuer la lecture

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Derrière le talus de la rue Venizelos, à Montigny-les-Metz, était un royaume. Juste assez loin du regard des parents, juste assez près pour rentrer goûter et ne pas rater Bourvil à la télé. On y accédait par un chemin escarpé au milieu des arbustes qui griffaient les jambes sous les shorts.

Les adolescents boutonneux venaient y fumer leurs premières cigarettes et se hissaient dans les poubelles de l’imprimeur voisin pour y piocher des autocollants fluo, des timbres et des étiquettes qu’ils s’échangeaient le lendemain à la bourse au trésor de la cour du collège.

Les petits, eux, s’appropriaient les voies ferrées désaffectées, leurs wagons rouillés et leurs aiguillages. Ils avaient 8 ans, ils étaient explorateurs, aventuriers, ils jouaient à se faire peur. « Viens, on va dans notre endroit secret », a dit Alexandre Bekrich à son copain Cyril Beining, dimanche 28 septembre 1986.

La suite est racontée par le major Thierry Perchat, mardi 2 mai devant la cour d’assises de la Moselle. En 2001, le gendarme a été chargé de reconstituer presque minute par minute ce dimanche après-midi qui s’est achevé par la découverte des corps des deux gamins tués à coups de pierre le long des rails. Patrick Dils, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par la cour d’assises des mineurs en 1989 pour le double meurtre, venait d’obtenir la révision de son procès.

Thierry Perchat a repris et recoupé tous les témoignages, il en a tiré la conclusion que le gamin de 16 ans qui, ce jour-là, en rentrant de sa maison de campagne, est allé chercher des timbres dans les bennes pour nourrir sa collection, n’a pas pu commettre les meurtres dont il s’était un temps accusé. Patrick Dils sera acquitté un an plus tard.

Le major Perchat présente son « diaporama dynamique », il appelle ça comme ça. On est rue Venizelos, tout commence dans l’infiniment banal d’un après-midi d’automne, «ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon des voitures, des nuages, du temps et des gens» dirait Georges Perec. Il est 17 heures, Alexandre et Cyril descendent de leurs vélos et grimpent sur le talus. Tentative d’épuisement d’un lieu de crime.

Rires d’enfants

Lumière chaude. Un promeneur. Il voit deux vélos. Un autre aussi. Il cueille des mûres. Un couple marche dans la rue, ils entendent des rires d’enfants.

17 h 15, ils perçoivent le bruit d’un projectile « qui semble atteindre quelque chose de métallique ». Passe un cycliste. « Il porte un short et un maillot coloré. »

17 h 20, « c’est l’heure du Metz-Dijon », le témoin est formel, il est cheminot. Un cyclomoteur double un piéton. Roule un véhicule blanc de modèle Panda. Les deux vélos sont toujours là. Une jeune fille emprunte la rue, elle se rend chez sa grand-mère. Elle voit un troisième vélo.

18 heures, deux femmes marchent, « rien n’attire leur attention ». Un homme sort son chien. Il voit les vélos. Deux, dit-il. Il croise une famille, « avec une petite fille et un chien ».

18 h 25, la mère d’Alexandre Bekrich s’inquiète de ne pas voir revenir son fils.

18 h 30, le jour commence à baisser, c’est le passage à l’heure d’hiver.

18 h 35, les parents d’Alexandre montent dans leur voiture de marque Volvo et de couleur orange. Ils commencent les recherches.

18 h 40, le grand-père d’Alexandre frappe à la porte des parents de Cyril. Alexandre n’est pas là, Cyril n’est pas rentré non plusRue Venizelos, une dame avec son chien : « La nuit est tombée. »

La famille Dils rentre de sa maison de campagne, la voisine entend leur voiture. Patrick Dils ressort de chez lui pour aller chercher des timbres dans la benne. La Volvo orange des parents d’Alexandre s’arrête près des vélos, ils descendent.

18 h 50, le père d’Alexandre monte sur le talus. Il fait trop noir dans la benne, Patrick Dils renonce et décide de rentrer.

« Alexandre ! Alexandre ? », crie la voix de la mère d’Alexandre. « Tais-toi ! », lui dit son mari. Un chien court. « Il marque l’arrêt sur le talus », dit son propriétaire. « Alexandre ! Alexandre ? », crie plus fort la mère. Un homme s’arrête, il pisse.

19 h 25, la mère d’Alexandre appelle la police.

19 h 30, une voiture du commissariat se gare à côté des vélos. Les policiers montent sur le talus. Ils ont des lampes. Le père d’Alexandre les suit.

19 h 50, les policiers éloignent le père. Sur l’écran s’affichent en gros plan les visages défigurés des deux enfants.

 

[Note : l’original de Georges Perec est à lire là : Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, la place Saint Sulpice. ]

 


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