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Le Ayrault et l'infini

Justice au singulier - philippe.bilger, 9/11/2013

Le Ayrault et l'infini : qu'on ne voie pas dans cette référence discutable au livre d'Arthur Koestler une quelconque dérision à l'égard du Premier ministre. Parce que, et c'est le pire, je l'aime bien.

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Entre le Ayrault et l'infini, il y a mille possibilités offertes, beaucoup de place pour l'invention, la parole et l'action.

A "Choisissez votre camp" sur LCI, l'incomparable émission de débat animée par Valérie Expert - qui sait faire parler les uns et les autres dans une atmosphère de totales liberté et courtoisie - j'ai fait la connaissance de Raquel Garrido du Front de gauche, sympathique et stimulante, et revu Bruno Beschizza ainsi que Laurent Mauduit, fer de lance médiatique de Mediapart, rigoureux et entier.

Nos échanges ont été écourtés parce que nous attendions, pour notre empoignade civilisée, que Jean-Marc Ayrault ait terminé son discours à Marseille. A sa conclusion, nous avons pu tout de même durant vingt minutes dire ce que nous pensions de son intervention et la tonalité générale sur le plateau n'était guère positive...

Mon impression initiale, après avoir écouté attentivement cette longue mélopée verbale à la coulée monotone, a été de pitié face à l'évidente bonne volonté de l'orateur, presque de commisération devant la tâche que le Premier ministre s'était assigné et qu'il avait assumée sans brio aucun. Il ne cachait pas qu'il lisait et il lisait mal. Double handicap. La médiocrité la pire est celle qui résulte d'un exercice, quand on devine pourtant que celui qui s'y livre fait tout, avec amabilité, sérieux et conscience mais sans un zeste de talent, pour échapper justement à l'inéluctable qui, le dernier mot prononcé, va accabler les auditeurs. Il y avait trop d'écart entre ce que Jean-Marc Ayrault aurait souhaité faire passer comme message et la réalité qu'il nous faisait subir pour que son propos, fond et forme mêlés, aboutisse à autre chose qu'à un décevant constat.

Par ailleurs, je ne suis toujours pas persuadé que la manière la plus efficace de traiter les problèmes de Marseille sur tous les plans soit de faire un sort particulier à cette magnifique et pauvre cité comme si elle se trouvait en marge de la France alors qu'elle est un exemple, parmi une infinité d'autres, du délitement de notre pays. L'économie, la criminalité, la pauvreté et le chômage ne sont pas spécifiques à Marseille et rien ne serait plus risible, si l'information n'était pas triste, que d'être tenu informé par les médias du moindre crime et délit au prétexte qu'il a été commis dans cette ville. Loin de résoudre la crise marseillaise, la focalisation ostensible et sélective sur elle la monte en épingle, en une insurmontable vision qui désespère plus qu'elle ne secourt. Marseille est en France et la France malheureusement ne se résume pas à Marseille. Marseille va mal parce que la France va mal.

Le discours du Premier ministre techniquement sans flamme ni âme n'était pas, à vrai dire, un discours de Premier ministre. On se prend à craindre que la République dégringole. Avec Leonarda notamment, le président de la République n'était plus à son niveau et s'était laissé aspirer par une urgence qui n'aurait pas dû le concerner. Naturellement, le Premier ministre subit les effets de ce décalage et vient présenter à Marseille un étrange catalogue composé de chiffres et de promesses comme si nous étions encore en pleine campagne alors que depuis le mois de mai 2012, le pouvoir socialiste est aux manettes. Il faut l'écrire vite !

Jean-Marc Ayrault a formulé, sur un registre ennuyeux qui manifestait le peu de crédit qu'il attachait à son pensum, des espérances et des engagements parfois à moyen, voire à très long terme. La méthode la plus perverse pour se débarrasser d'une réalité qui importune est de n'évoquer que le futur. Ce n'était pas un homme de pouvoir qui s'imposait mais un bonimenteur de bonne volonté qui vantait l'article pour des temps indéterminés.

Quand le Premier ministre, au bout de quelques mois, était passé à "Des paroles et des actes" sur France 2, j'avais tweeté pour lui proposer gratuitement une formation pour la parole, son rythme, son élan nécessaire, ses ruptures bénéfiques, sa liberté et sa spontanéité. Je serais président de la République, je contraindrais le gouvernement et tout particulièrement le Premier ministre à ne plus lire les allocutions, à ne plus les apprendre par coeur mais à relever le défi d'une parole qui serait d'autant mieux perçue qu'elle surgirait à chaque seconde de l'être profond et, il faut le présumer, intelligent. On échapperait ainsi forcément à l'ennui et à la tiédeur fade et la classe politique, pouvoir et opposition confondus, y gagnerait en crédibilité et en qualité d'écoute.

Une conséquence bénéfique d'une telle démarche qui bouleverserait le mode de communication avec les citoyens et les militants consisterait à ne plus se réfugier derrière une pléthore de chiffres qui alourdissent une intervention en donnant l'illusion d'un contenu alors qu'ils sont à peine écoutés et frappés d'emblée de suspicion. De nos jours, il n'est plus personne qui serait capable sans aucune note de présenter le budget de la France comme Valéry Giscard d'Estaing, ministre, ne manquait pas de le faire devant les parlementaires.

Le Ayrault et l'infini : qu'on ne voie pas dans cette référence discutable au livre d'Arthur Koestler une quelconque dérision à l'égard du Premier ministre.

Parce que, et c'est le pire, je l'aime bien.


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