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Un Président qui entraîne, un Premier ministre à la traîne !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 31/05/2017

Nous avons un Président qui recueille beaucoup de suffrages. Qu'en serait-il donc s'il bénéficiait d'un état de grâce ! Mais là où il entraîne, le Premier ministre est à la traîne. L'un nous change d'hier, -il nous le fait croire -, l'autre nous le répète. La moralisation de la vie publique n'était pas destinée qu'à être un projet de loi. Mais une réalité quotidienne. Une première déception.

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La politique est ironique et l'Histoire surprenante.

Dans le couple qui unit le président de la République au Premier ministre, nous avons eu des configurations différentes, contrastées. Pour le quinquennat de Nicolas Sarkozy, dans ses débuts, ce dernier n'a pas été à la hauteur de son Premier ministre. Avec François Hollande, l'égalité était parfaite, et pas pour le meilleur, entre Jean-Marc Ayrault et lui-même. Le président Macron, quant à lui, est impeccable sur les plans esthétique, politique et international mais le Premier ministre déçoit, du moins dans certaines de ses réactions.

L'enthousiasme, en effet, est tel pour le président Macron que les élections législatives, s'il ne s'agissait que de prendre en compte la perception qu'on a de lui, de son image et de son action, lui garantiraient à l'évidence une majorité absolue pour LREM.

Ce ne sont pas sa tenue et la place qu'il a prise lors du G7, avec notamment sa manière élégante de ne pas céder dans le rapport de force avec le président Trump, qui pourraient diminuer l'adhésion qu'il suscite.

Ce n'est pas davantage l'accueil à la fois royal mais sans concession qu'il a réservé au président Poutine qui diminuera notre sentiment d'être enfin représenté par quelqu'un qui porte haut la France et surtout nous rend fiers de l'avoir pour président. L'intrusion courtoise mais ferme du parler-vrai dans le langage diplomatique a été une révélation et à tort ou à raison - mais sans doute de manière trop précipitée - on a auguré, à partir de ces réunions emblématiques face aux "grands" de ce monde, une démarche novatrice alliant allure, politesse, sincérité et fermeté. Sans l'habituel sabir qui résume, si j'ose dire, les entretiens.

Ce n'est pas pour rien que j'évoque sabir et langue de bois. Parce qu'on avait la certitude, au nom de la cohérence, qu'une heureuse contagion passerait du président au Premier ministre et que celui-ci, occupé presqu'exclusivement par l'affaire Ferrand, à l'exception de quelques rendez-vous syndicaux, saurait apporter à la gestion de cette navrante périphérie la même originalité, la même invention que celles qui sont mises en évidence dans les domaines essentiels et prioritaires.

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C'est le contraire qui doit être constaté. L'argumentation d'Edouard Philippe au sujet de la situation et des "arrangements" multiples - intérêts privés mêlés aux affaires publiques - de Richard Ferrand, a sa place malheureusement dans le pire des justifications d'une droite et d'une gauche orthodoxes. Elle est d'un triste classicisme confondant quand on espérait, de la part de ce pouvoir, une fraîcheur et une réactivité éclatantes face à ces ombres qui auraient été dérisoires si elles avaient été dissipées de suite (Le Monde).

Le succès présidentiel d'Emmanuel Macron a été construit au moins partiellement sur la moralisation attendue de la vie publique. Lui-même, accordé avec les exigences formulées, légitimait ce projet au point de le confier à un François Bayrou plausible pour sa prise en charge. Richard Ferrand est arrivé si rapidement comme un trublion dans ce dispositif programmé pour l'intégrité et l'exemplarité politiques que la surprise passée, il aurait dû être incité à se retirer de lui-même.

En effet, le temps traînant, non seulement la promesse initiale est moquée, voire oubliée, mais le cynisme civique, aux antipodes de ce que le président souhaitait susciter et que pour la part qui lui revient il a su réduire à néant, se défoule dans le lamentable "tous pourris" et cultive la déplorable constatation qu'aucune autorité n'est plus digne de pouvoir donner des leçons de morale.

Le Premier ministre a d'abord défendu son ministre - qui par ailleurs a fait une prestation catastrophique d'hypocrisie et d'insincérité sur France Inter - en laissant à l'élection future le soin de trancher son cas puis il a repris l'antienne commode sur la mise en examen qui serait le seul motif d'une exclusion. A mon sens cette apologie si peu novatrice relève d'une fausse habileté d'autant plus qu'en même temps, Edouard Philippe a eu l'honnêteté de souligner qu'il avait "parfaitement conscience de l'exaspération des Français" (France 2). Etrange manière de l'apaiser !

Il est dommage que le président de la République se soit senti tenu, lors du Conseil des ministres, de renouveler sa confiance à Richard Ferrand, tout en réclamant "solidarité et exemplarité". Il dénonce "la presse se faisant juge" mais en l'occurrence elle n'a pas créé le terreau trouble qui fait pour le moins débat.

J'entends bien qu'aucune enquête n'a été ordonnée sur l'ensemble des "arrangements" de Richard Ferrand, en sa qualité de directeur général des Mutuelles du Mans - qu'elles l'aient soutenu n'est pas décisif ! - en faveur de sa compagne, de son ex-épouse et de ses proches et que donc une mise en examen est actuellement inconcevable. Cependant, pour qui connaît un peu la matière pénale, le parquet de Brest - le PNF n'étant pas compétent - n'a pas été très acharné dans la recherche d'une qualification qui aurait pu s'orienter vers des présomptions d'abus de confiance ou d'escroquerie. Et si précipité dans sa fin de non-recevoir !

(Le 1er juin, à 8h15, le Télégramme de Brest nous apprend que le parquet de Brest a tout de même décidé d'ouvrir une enquête sur les faits concernant Richard Ferrand).

Mais là n'est pas l'essentiel. Que les manoeuvres et les combines relativement anciennes de Richard Ferrand soient déclarées licites - avec un classement sans suite et sans instruction -, elles n'en demeurereraient pas moins, dans leur tonalité et leur esprit, indélicates, ambiguës et à la marge. Comme pour la femme de César qui ne devait même pas être soupçonnée, la révolution "Macron" avait pour obligation d'abandonner sur-le-champ Richard Ferrand à son seul sort législatif. Que ce dernier ait un travail ministériel à accomplir et s'affirme "honnête" ne devraient pas faire dévier de cette ligne : à cause de lui, un pan capital tenant à la parole présidentielle et à la crédibilité gouvernementale est à l'eau.

On attendait autre chose, pour le sauver, que ces banalités montrant que le changement c'est maintenant certes, mais pas partout !

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Je n'oublie pas le rôle capital de Richard Ferrand, premier soutien d'Emmanuel Macron. Je devine comme il doit être difficile sur le plan politique et humain de se séparer d'un ministre qui était de confiance avant le premier tour des élections législatives même si apparemment le discrédit est endigué. Ferrand sera probablement réélu député, redeviendra peut-être ministre ou président de l'Assemblée nationale mais peu importe. On sait dorénavant que le nouveau monde n'a pas étouffé tous les réflexes anciens et que c'est dommage. La fidélité pèse plus que la rectitude : un réflexe qui date.

Nous avons un Président qui recueille beaucoup de suffrages. Qu'en serait-il donc s'il bénéficiait d'un état de grâce ! Mais là où il entraîne, le Premier ministre est à la traîne. L'un nous change d'hier - il nous le fait croire -, l'autre nous le répète.

La moralisation de la vie publique n'était pas destinée qu'à être un projet de loi.

Mais une réalité quotidienne.

Une première déception.


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