Actions sur le document

Une loi sur les oeuvres orphelines

Paralipomènes - Michèle Battisti, 23/01/2012

powered by Fotopedia C’est le titre d’un article publié après l’adoption, le 19 janvier 2012, par l’Assemblée  nationale d’une proposition de loi sur les livres indisponibles du XXe siècle. Dans les faits, l’Assemblée nationale a gommé dans le texte du Sénat pratiquement tout ce qui pouvait évoquer directement les œuvres orphelines. Ayant déjà écrit sur [...]

Lire l'article...

powered by Fotopedia

C’est le titre d’un article publié après l’adoption, le 19 janvier 2012, par l’Assemblée  nationale d’une proposition de loi sur les livres indisponibles du XXe siècle. Dans les faits, l’Assemblée nationale a gommé dans le texte du Sénat pratiquement tout ce qui pouvait évoquer directement les œuvres orphelines.

Ayant déjà écrit sur ces questions (le dernier billet sur la recherche dite diligente date du 18 janvier 2012), et puisque la version de la loi adoptée le 19 janvier ne serait pas définitive, une commission paritaire composée de sénateurs et de députés étant chargée de rapprocher, le 1er février 2012, les points divergents des deux assemblées, mes commentaires seront brefs.

Voir aussi : Œuvres indisponibles « une première en Europe, un article d’ActuaLitté qui présente plusieurs facettes de la proposition de loi.

Livres indisponibles ou orphelins ?

Bien que la loi ne semble porter que sur les livres indisponibles du XXe siècle, on peut effectivement considérer que le nombre de ceux qui sont orphelins, leurs ayants droit ne pouvant pas être contactés dans un proche avenir, voire à long terme, même par leurs éditeurs, seront majoritairement représentés dans les fonds appelés à être numérisés sous couvert de cette loi.

Utiliser gratuitement des œuvres reconnues orphelines ?

Dans la version adoptée par le Sénat le 9 décembre 2011, un article L 134-8  introduit dans le Code de la propriété intellectuelle aurait permis une utilisation gratuite des livres présumés orphelins, après une recherche infructueuse des ayants droits pendant dix ans. Cette autorisation aurait été encadrée par la société de gestion collective agréée pour gérer les droits des livres indisponibles.

Comme le regrettait l’IABD, un amendement déposé auprès de l’Assemblée nationale a remis en cause cette possibilité. L’amendement adopté, cette disposition, pourtant en phase avec une proposition de directive européenne sur certaines utilisations des œuvres orphelines,  a malheureusement disparu. Si la formulation définitive de cette directive n’est pas encore connue, celle-ci étant en cours de discussion au Parlement européen ainsi qu’au Conseil de l’Union, des interrogations subsistent sur l’articulation de la loi, dans sa version actuelle, et  la directive européenne, lorsque celle devra être transposée dans notre droit.

Pour la directive, l’utilisation gratuite des œuvres orphelines doit permettre à certains établissements – dont les bibliothèques accessibles au public – de remplir des missions d’intérêt public.  Les dispositions de la loi française semblent s’expliquer notamment par la crainte que des acteurs privés, tels que Google, ne puissent, via des contrats de partenariat  avec les bibliothèques, utiliser ces œuvres orphelines.

Loin d’être un  « mini-débat », c’est sans doute l’un des points essentiels qui sera débattu par la commission mixte paritaire.

Alimenter les fonds des irrépartissables ?

Les irrépartissables sont les droits collectés par la société de gestion collective auprès des utilisateurs des livres indisponibles qui ne pourront pas être reversés, notamment parce que les ayants droits, les auteurs bien plus souvent que les éditeurs, ne seront pas retrouvés.  Le Sénat avait déjà songé aux bibliothèques en préconisant d’utiliser ces sommes pour favoriser la lecture publique, ce qui était inédit, mais pas tout à fait satisfaisant.

Dans la version adoptée par l’Assemblée nationale, on retrouve les traditionnelles actions d’aide à la création [1], auxquelles on a ajouté « des actions en faveur de l’accès aux œuvres et de  la promotion de la création mise » en œuvre par les bibliothèques » (art. L 134-9 nouveau). Si cette disposition est maintenue, il faudra veiller à ce que la deuxième série d’actions soit effectivement financée pers les sommes non redistribuées et non uniquement les actions d’aide à la création (déjà financées par d’autres irrépartissables) déconnectées de l’objet de la loi.

N’oublions pas la recherche diligente

D’après le communiqué publié par l’AFP après l’adoption de la loi le 19 janvier, la Bibliothèque nationale de France, qui a une expertise indéniable en la matière  (on songe naturellement à la base de données Arrow [2]), jouerait un rôle majeur dans la création et l’alimentation du registre des livres indisponibles.

Mais ce registre n’est qu’une étape de la recherche diligente, cette recherche approfondie qui permet d’éviter de se trouver face à des œuvres orphelines. La proposition de loi souligne toujours que pour être agréée, il sera demandé à une société de gestion collective de faire état « des moyens qu’[elle] propose de mettre en œuvre afin d’identifier et de retrouver les titulaires de droits aux fins de répartir les sommes perçues ». Elle doit également « rendre compte des moyens mis en œuvre et des résultats obtenus dans la recherche des titulaires de droits, qu’ils soient ou non parties au contrat d’édition. »

Ce registre « en accès libre et gratuit » qui joue un rôle central dans la loi, étoffé au fur et à mesure du temps et largement promu, n’a-t-il  pas vocation, comme l’IABD l’avait suggéré, à servir de source unique pour affirmer qu’au bout de dix ans, un livre est ou non orphelin ?

Mais la loi ne permet plus d’utiliser gratuitement, selon certaines conditions, une œuvre reconnue ainsi comme étant orpheline.

Se pose ainsi non seulement la question du financement de la numérisation, mais aussi celui de la recherche diligente et des droits d’auteur à verser par les bibliothèques (et les autres établissements listés dans la directive européenne) pour valoriser les livres de leurs fonds, dont certains sont orphelins de droit. La notion d’intérêt public, mise en exergue dans la directive européenne, devrait peut-être être plus présente dans cette proposition de loi.

Illustr. Zebra crossing.Mirari Erdoiza. Fotopedia CC by-nc

Notes

[1] Art. L. 321-9 CPI.  Ces sociétés utilisent [les sommes non réparties] à des actions d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des artistes.

[2] Accessible Registries of Right Information and Orphan Works toward Europeana (Arrow)


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...