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De nouvelles règles pour la Légion d'honneur : l'aurais-je eue ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 4/11/2017

Peut-être y a-t-il moins d'orgueil dans son acceptation que dans son dédain ? En tout cas, prosaïquement, je l'ai et je la garde.

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Pour la Légion d'honneur je peux témoigner sur l'honneur qu'on peut l'obtenir sans l'avoir demandée, donc sans s'y attendre du tout et en l'apprenant dans le journal, pour moi en 2000, et que par censure présidentielle la promotion comme officier peut vous être refusée, pour moi au début de cette année.

Cependant je n'aborde ma situation personnelle en l'occurrence que pour montrer que je ne suis pas le plus mal placé pour approuver le président de la République qui a décidé "de réduire drastiquement le nombre de décorations et de revenir au critère du seul mérite pour établir les prochaines promotions" (Le Figaro)

Pour le premier point ce sera aisé. Emmanuel Macron d'ailleurs a déjà commencé à le faire pour la promotion du 14 juillet. Il me semble qu'au regard des doléances générales sur la dilapidation de cette distinction, éminente à l'origine en 1802 lors de sa création, un consensus sera facile à dégager puisqu'elle ne devait consacrer que "le mérite".

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Cette démarche restrictive sera d'autant plus nécessaire qu'une multitude de Légions d'honneur était octroyée de manière quasiment automatique - ou alors il fallait vraiment avoir fauté ! - à tous les officiels de la République, par exemple anciens ministres, ex-ambassadeurs et académiciens. Ceux qui s'en sont vraiment donné à tout-va, pour gratifier, sont par ordre décroissant les présidents Giscard d'Estaing, Sarkozy et Pompidou. Des lucides qui connaissaient le pouvoir des "hochets", selon Napoléon, sur beaucoup d'humains !

Le second point, incontestable dans son principe de compétence et de mérite, sera extrêmement difficile à instaurer ou à restaurer.

D'abord il a été infiniment mis à mal par une infinité de prébendes honorifiques qui n'ont pas eu d'autre finalité que de permettre au Prince et à ses ministres l'exercice d'une générosité confortable et la plupart du temps vide de sens par rapport aux exigences des origines. Artistes, comédiens, célébrités de toutes sortes, journalistes, producteurs français ou étrangers, un immense vivier était ainsi mis à disposition pour l'octroi d'une Légion d'honneur dévoyée, ridiculisée, peopolisée. Harvey Weinstein sur ce plan également a servi de révélateur.

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Je ne fuis pas, si on élimine les Légions d'honneur de commodité et d'opportunité, le débat sur celles qui apparemment paraissent avoir validé le mérite. Mais lequel ? L'inscription durable, même excellente, dans un cursus professionnel ou un parcours à ce point remarquable qu'il se distinguerait de beaucoup d'autres et appellerait en effet la reconnaissance de l'Etat ?

Pour justifier les nouvelles règles, on nous indique "qu'on n'a pas la Légion d'honneur à l'usure ou par copinage mais qu'il convient de conditionner son octroi au respect des grands principes". Soit.

Quand je l'obtiens en 2000, je suis magistrat depuis vingt-huit ans et, malgré une envie stupide de faire le dégoûté et l'anarchiste, j'accueille cette distinction avec reconnaissance. Le copinage n'y a été pour rien et l'usure encore moins puisqu'elle m'est offerte comme une miraculeuse surprise. Donc mon mérite ? Je dois me résoudre à considérer qu'il a été jugé suffisant pour que la Légion d'honneur m'échoie. L'aurais-je encore aujourd'hui ? Encore plus ou encore moins, je ne sais.

Il est en tout cas sain d'éprouver, quand on vous distingue, ce léger malaise tenant à la conscience qu'on a de ses vertus modestes par rapport au courage des soldats et à l'audace de ces héros du quotidien qui honorent la condition humaine. C'est mieux que de s'abandonner à ce constat trop classique : le contingentement mais pour les autres !

Je ne peux pas m'empêcher de songer à mon irritation perplexe face au lustre dont certaines personnalités étaient créditées. Tel avocat sans morale était distingué, tel autre en bénéficiait comme honoraire, des magistrats, eux, l'avaient reçue à l'usure et parfois, formidable embellie, un remarquable avocat, Jean-Yves Le Borgne, qui n'en refusait pas l'honneur et le méritait, voyait son souhait exaucé. Depuis, élevé au rang d'Officier, il s'est fait remettre les insignes par Nicolas Sarkozy.

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J'imagine les débats qui surgiront sur une définition appropriée et acceptable du mérite. Chacun a la sienne mais il me semble que la plus pertinente s'attachera à l'intuition, l'impression, la certitude qu'il serait scandaleux de ne pas promouvoir celui-ci ou celle-là ou, au contraire, de placer sur un pavois honorifique cet homme ou cette femme.

Je préfère pour terminer demeurer sur cette part très infime de citoyens qui est indifférente ou hostile à la Légion d'honneur tout en la méritant plus que beaucoup d'autres. Mon ami Thierry Lévy que je ne cesse de regretter aurait considéré cette distinction avec un mépris grave et inflexible. Eric Dupond-Moretti n'en voudra jamais et pourtant il n'en serait pas indigne.

Peut-être y a-t-il moins d'orgueil dans son acceptation que dans son dédain ?

En tout cas, prosaïquement, je l'ai et je la garde.


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