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L'outrage est mort, Henri Guaino l'a "tuer" !

Justice au singulier - philippe.bilger, 28/11/2014

Si, en appel, à condition que le parquet suive, cette décision n'est pas infirmée, on pourra considérer que le délit d'outrage sera enterré judiciairement. J'imagine mal demain, en effet, un parlementaire faire pire sur ce plan - ou mieux, si on l'écoute - qu'Henri Guaino. En tout cas, aujourd'hui, l'outrage est mort, Henri Guaino l'a "tuer".

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Henri Guaino a été relaxé le 27 novembre.

Ce jugement me réjouit pour l'ami mais, au bénéfice du député, me désole.

Il y a des décisions dont on perçoit qu'elles se sont abandonnées avec un grand bonheur à l'alternative confortable du Tout ou Rien, celle rendue à Paris par la chambre des libertés publiques en particulier.

Le député Guaino qui, il est vrai, souvent avec courage, n'a jamais fait dans la nuance s'était contenté, au sujet du juge Gentil, de trouver "indigne la manière dont il a fait son travail", de lui reprocher "d'avoir déshonoré un homme, les institutions, la justice" et, en synthèse, d'avoir causé "une salissure de la France et de la République elle-même". Rien que cela ! Il avait peu ou prou maintenu ses propos sur France 2 puis BFM-TV.

Elément secondaire certes mais qui aurait mérité d'être inclus dans l'argumentation : Henri Guaino ne connaissait rigoureusement rien au dossier en question, sinon par les compte rendus médiatiques, et la seule chose qui lui importait tenait à ce que son "champion", selon lui, avait été sali. L'ignorance a évidemment des avantages mais il ne faut pas en abuser !

L'alternative, en l'occurrence, ne se situait pas entre le souci du corporatisme ou la défense de la liberté d'expression (Le Monde).

Mais entre une liberté d'expression du parlementaire digne, vigoureuse, responsable et même acerbe et une liberté d'expression erratique, violente, globalisant une accusation à partir d'une polémique singulière et, en définitive, traitant de manière déshonorante l'honneur d'un magistrat.

Là où l'option entre le Tout ou Rien de la juridiction a été dangereuse, c'est qu'elle l'a conduite, à mon sens, à ne pas analyser avec finesse et nuance l'état intermédiaire, plus difficile à motiver certes mais en l'occurrence inévitable, d'une liberté d'expression largement dévolue au parlementaire mais pas absolue et pas en toutes circonstances. Sauf à admettre qu'il serait au-dessus de la loi commune.

S'il est de jurisprudence constante que le débat public - et admettons que nous y soyons même avec un point de vue tronqué, forcément approximatif de la part du député - autorise excès, outrances et passion, n'aurait-il pas été pertinent, pour ne pas faire sombrer le délit d'outrage en même temps qu'on sauvait Henri Guaino, de distinguer cette approche raisonnable et extensive de la polémique politique et judiciaire d'une vitupération dépassant son objet pour s'offrir le luxe malsain d'un procès délibérément humiliant et inapproprié ?

Au-delà du caractère surréaliste d'une décision, force est de s'interroger sur ses motivations profondes et les dégâts qu'elle est susceptible de causer dans l'espace public.

D'abord, le tribunal - crainte qui n'est pas honteuse - n'a-t-il pas eu peur d'encourir le suprême grief de corporatisme s'il avait considéré que l'un des siens, apparemment pas le plus aimé, avait été outragé, et sans discussion possible ?

Ensuite, il est paradoxal que la motion d'irrecevabilité déposée et soutenue par le député Guaino ait été rejetée par l'Assemblée nationale - elle prônait une liberté illimitée des parlementaires dans cette enceinte comme à l'extérieur - et que le jugement de relaxe, peu ou prou, s'en inspire .

Par ailleurs, je relève que les chambres de la presse si exigeantes à l'encontre des publications et des journalistes même les plus nécessaires à la démocratie au regard de "l'intérêt social dominant" semblent dorénavant faire bénéficier les politiques d'une étrange indulgence.

Doublement risquée.

Au lieu d'abuser de la licence, pour le député, de dépasser sa pensée et de laisser aller son langage, on aurait pu aussi, dans le même mouvement, rappeler sa responsabilité et ses devoirs. Le débat public n'a rien à voir avec une impunité personnelle qui justifierait n'importe quel débordement de la part d'un député au prétexte qu'il s'aventure, sans aucune prudence ni mesure, dans une mise en cause de l'état de droit et d'un magistrat qu'à l'évidence il exècre.

Cette facilité que la relaxe concède sera d'autant plus dévastatrice qu'un double populisme anti-juges se manifeste aussi bien de la France populaire que de la France des élites pour des motifs divers allant de leur prétendue mansuétude jusqu'à leur politisation alléguée sauf, bien sûr, pour Henri Guaino, quand ils rendent une ordonnance de non-lieu en faveur de Nicolas Sarkozy. En ce sens, Eric Zemmour et Henri Guaino se donnent l'esprit et la main !

Au soutien de cette relaxe, a aussi été invoqué le fait que 107 députés ont signé une motion se solidarisant avec Henri Guaino et demandant à être poursuivis comme lui (Mediapart). Avoir interprété cet acte politique de pure façade et sans le moindre risque pour ses auteurs comme ayant une quelconque validité juridique pour le fond de l'outrage n'est pas pertinent. Cela revenait à confondre l'esbroufe avec la loi.

Ce ne sont certainement pas les quelques députés UMP présents dans la salle d'audience qui ont pu créer une atmosphère, une pression ayant une incidence sur ce jugement.

Plus vraisemblablement, si on se reporte au compte-rendu des débats, le couple talentueux et impressionnant formé par Henri Guaino et son avocat Eric Dupond Moretti qui ont tenu le haut du pavé tout au long de l'audience du 22 octobre malgré la présence, en face d'eux, de Me Léon-Lef Forster, le conseil de Jean-Michel Gentil, qui a résumé avec élégance leur position :"Dans ce dossier, nous considérons que l'outragé était évident et qu'un parlementaire ne peut pas se permettre de dire tout de n'importe quelle façon".

Henri Guaino qui ne raffole pas de la magistrature et déteste le juge Gentil associé à Me Dupond-Moretti qui déteste la magistrature et à titre spécial le magistrat Gentil : cette attitude connue commune aurait dû inciter le tribunal à ne pas s'acharner, contre l'évidence du droit, à arracher à toute force le venin distillé. A en admettre l'existence mais à en exonérer le venimeux et l'insulteur.

Celui-ci qui est tout sauf un imbécile a ironiquement rendu hommage au tribunal en soulignant que "ce jugement honore la justice". Je ne peux m'empêcher de prendre cette remarque comme la provocation de l'illusionniste heureux de son tour de passe-passe : avoir fait prendre des outrages gravissimes pour une avancée démocratique.

Cette procédure initiée par l'Union syndicale des magistrats et ainsi conclue - on peut regretter que le pouvoir n'ait pas été suffisamment courageux et lucide, sûr de son équité, pour engager lui-même une poursuite à l'encontre d'Henri Guaino - a fait l'objet d'un appel de la part de Jean-Michel Gentil qui devrait être moins pharaonnique dans sa demande de dommages-intérêts.

Si, en appel, à condition que le parquet suive, cette décision n'est pas infirmée, on pourra considérer que le délit d'outrage sera enterré judiciairement. J'imagine mal demain, en effet, un parlementaire faire pire sur ce plan - ou mieux, si on l'écoute - qu'Henri Guaino.

En tout cas, aujourd'hui, l'outrage est mort, Henri Guaino l'a "tuer".


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