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Procès Heaulme, une pépite dans le fatras

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 11/05/2017

C’est toujours bien quand la vie, la vraie, déboule dans une salle d’audience. Surtout là, dans le fatras du procès Heaulme. Une pépite d’ordinaire dans la noirceur, on prend, on garde et on partage. En juillet 2001, dans une villa … Continuer la lecture

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C’est toujours bien quand la vie, la vraie, déboule dans une salle d’audience. Surtout là, dans le fatras du procès Heaulme. Une pépite d’ordinaire dans la noirceur, on prend, on garde et on partage.

En juillet 2001, dans une villa des environs de Metz, le menuisier Joachim Cadette pose un parquet. Le client, Michel Kratz, est sympa, il lui propose de prendre l’apéritif. La radio est allumée, c’est l’heure des infos. « L’affaire de Montigny-les-Metz… », les deux hommes s’interrompent et écoutent.

Quelques jours plus tôt, la cour d’assises de la Marne à Reims a déclaré Patrick Dils coupable du meurtre des deux enfants retrouvés les crânes fracassés le long des voies de chemin de fer le dimanche 28 septembre 1986 et l’a condamné à vingt-cinq ans de réclusion criminelle. Le verdict a pris tout le monde de court tant il semblait acquis que l’accusé, rejugé après une longue et exceptionnelle procédure de révision de sa première condamnation prononcée treize ans plus tôt, allait être acquitté. Ses avocats viennent d’annoncer qu’ils font appel.

Michel Kratz raconte la suite à la barre des témoins, mercredi 10 mai.  Il entend Joachim Cadette grommeler :

– De toute façon, c’est pas lui. C’est l’autre.

– Comment pouvez-vous dire ça ?

J’en suis certain.

Le menuisier lui confie alors une histoire. Ce fameux dimanche de septembre, il était à la pêche avec son beau-frère, Emile David. Alors qu’ils venaient de ranger leurs cannes dans le coffre de la 4L et s’apprêtaient à rentrer, ils avaient aperçu à quelques mètres un homme par terre qui avait l’air mal en point. « C’est Francis ! », avait dit Emile David qui connaissait Heaulme de vue. Il avait du sang sur le visage et il leur avait expliqué qu’il venait de tomber sur les cailloux. Emile David lui avait proposé de le raccompagner, Francis Heaulme était monté à l’arrière de la 4L et les deux pêcheurs l’avaient déposé devant la maison de sa grand-mère à quatre kilomètres de là.

« Vous en avez parlé à la police ? » avait demandé Michel Kratz. « – Ben non,  j’ai rien dit. » Michel Kratz est troublé, il trouve que, tout de même, c’est important, cette histoire. Parmi ses relations professionnelles de chef d’entreprise, il y a l’avocat Bertrand Becker, qui est justement celui de Patrick Dils. Il suggère à l’artisan de le rencontrer et de tout lui raconter. Joachim Cadette hésite. « Je lui ai mis la pression. Sans cela, il n’y serait jamais allé. Il m’a demandé à réfléchir. Et la semaine d’après, il m’a donné son accord,  on est allé ensemble chez Me Becker. » L’avocat prend soin de convier un huissier pour consigner ses propos. Quelques mois plus tard, les deux pêcheurs sont cités par la défense au procès en appel de Patrick Dils à Lyon. Le 24 avril 2002, il est acquitté.

« Il tremblait de partout »

Leur déposition figure aujourd’hui dans le dossier d’accusation contre Francis Heaulme, qui a d’abord démenti, puis reconnu avoir été pris en charge par les deux hommes et assure maintenant que c’était bien eux mais pas ce jour-là. Joachim Cadette et Emile David viennent tour à tour confirmer leur récit à la barre. « Avec le beau-frère, on était à la pêche… » « Ben j’étais avec mon beau-frère à la pêche… » L’un et l’autre sont certains que c’était bien le 28 septembre 1986. « Pourquoi en êtes-vous sûr ? », demande le président. « Parce que le lendemain, j’ai entendu parler de l’affaire des gosses à la télévision », dit Joachim.

Emile, qui vit avec sa sœur, s’était même fait reprocher d’arriver en retard pour le souper. Il avait expliqué à sa sœur qu’il avait dû faire un détour pour déposer Francis Heaulme et lui avait raconté qu’il l’avait trouvé bizarre – « Il tremblait de partout. Et le lendemain matin, elle m’a montré le journal et elle m’a demandé si le type qu’on avait ramené n’aurait pas un rapport avec tout ça. – Vous le connaissiez bien Francis Heaulme ? – Ben, on le voyait dans la rue, c’était un simplet, quoi, les enfants y s’foutaient de lui.

Et vous n’avez rien dit à personne ?

Ben je me suis dit, on va pas le mettre en cause dans une affaire de crime comme ça, y’aura une enquête, si y’a son nom, on verra bien et on n’a rien vu.

Le président pose la même question à Joachim Cadette. « Moi, j’avais ma vie de famille et puis à la télé, ils ont dit que quelqu’un d’autre était accusé dans cette affaire. Mais bon, aujourd’hui, je suis là. J’ai 60 ans, j’ai la tête sur les épaules et je sais bien que c’est ce monsieur que j’ai monté ce jour là dans ma voiture ! » Quand l’un des avocats de la défense s’étonne qu’il ait attendu si longtemps pour témoigner, le menuisier se rebiffe :

– J’ai pas de leçon de morale à recevoir! Je vous répondrai plus ! 

Et vous pêchiez quoi ?, lui demande tout à trac le président.

Le sandre.

– Ah c’est difficile à attraper le sandre. Ça se faufile…


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