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Une seconde chance pour les victimes...

Justice au singulier - philippe.bilger, 3/02/2014

L'appel criminel, en 2000, n'avait pour but que de donner une seconde chance aux condamnés. Et si on l'octroyait aux victimes et si l'état de droit les concernait, après tout, elles aussi ? Sous cette présidence, cette cause est désespérée mais elle est belle.

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Quel bonheur : on parle enfin des victimes.

Jacques Maire, quelle histoire et que de péripéties judiciaires.

Initialement, on lui reproche d'avoir commis deux meurtres de femmes.

Premier procès en novembre 2004 : il est condamné pour l'un et acquitté pour celui de Nelly Haderer commis en 1987. Sanction, quinze ans de réclusion criminelle.

En octobre 2006, en appel, vingt années, pour les deux crimes, lui sont infligées.

La Cour de cassation, parce qu'une greffière a oublié de parapher trente-deux pages de procès-verbal, casse l'arrêt précédent pour ce détail en effet capital ! et renvoie devant une autre cour d'assises qui statue à nouveau en appel.

En octobre 2008, Jacques Maire est acquitté.

Grâce à l'intelligence combative de l'avocat de la famille Haderer, Me Babel, une réouverture du dossier est ordonnée en 2009 car une tache de sang retrouvée dans la poche du pantalon de la victime (Le Parisien, Le Figaro) correspond à l'ADN de Jacques Maire.

En dépit des dénégations de Jacques Maire lors d'une conférence de presse - quel culot médiatique ! - et de l'inévitable argument de son défenseur sur "une éventuelle pollution", il est acquis qu'un coupable a été acquitté pour le meurtre de Nelly Haderer.

Je sais bien que la conception traditionnelle de l'état de droit permet à un accusé condamné de se pourvoir en cassation puis de "tenter" la révision si, sincèrement ou non, il proteste de son innocence. Il sera assuré de trouver à ses côtés tout ce qu'il faut d'intellectuels et de journalistes pour soutenir par principe une cause qu'ils ne connaissent pas ou mal.

En revanche, l'acquittement est définitif, consacré par une autorité de la chose jugée qu'on ne pourra pas remettre en question.

Plusieurs interrogations.

Il me semble évident et nécessaire de ne pas s'arrêter à cette impossibilité qui heurte la vérité, le sens civique et la justice. Il est inconcevable que la certitude d'une culpabilité ne vienne pas, dès lors qu'elle ne souffre pas la moindre contradiction, rétroactivement projeter sa lumière sur une décision criminelle de mansuétude parce qu'elle a manqué techniquement d'un élément décisif.

Un jury a condamné un accusé : cela ne lui interdit pas, et de plus en plus, de s'engager dans un processus de révision. Un jury acquittant un mis en cause, cela ne devrait pas empêcher la société en quelque sorte de faire valoir ses droits. La justice et la vérité d'aujourd'hui contre l'injustice d'hier.

Cette inégalité à réparer, par une modification législative - mais Me Babel n'a pas tort d'envisager, on ne sait jamais, l'opportunité d'une question prioritaire de constitutionnalité - restaurera un équilibre mais seulement, à mon sens, dans les cas infiniment rares où évidemment l'acquittement sera techniquement et judiciairement démontré faux dans un délai indéterminé après avoir été édicté.

Il ne s'agit pas de porter atteinte à tous les acquittements fondés sur le doute et qui probablement portent en eux un pourcentage non négligeable d'erreurs au détriment de l'accusation et des parties civiles.

L'affaire Maire offre le mérite de focaliser aussi l'attention sur la justice criminelle dont la facette est double, voire contradictoire. Je n'ai jamais cru à la thèse des innocents condamnés à foison par les cours d'assises mais il y a eu quelques cas où on n'a pu que se féliciter de la Cour de cassation et de la révision possible. De l'autre côté de la justice, il y a aussi des coupables acquittés à tort et les données techniques recueillies nous le confirment.

Je ne suis pas partisan par ailleurs de modifier les principes de l'audience criminelle et de bouleverser, en les allongeant démesurément, les délais de prescription. Ce qui m'importe tient seulement dans cette anomalie d'incontestables erreurs judiciaires face auxquelles nous resterions impuissants.

L'angélisme étant dominant au sujet de la chose criminelle, le citoyen que je suis et l'ancien avocat général ne peuvent qu'accueillir avec satisfaction cette volte qui fait migrer le scandale et la commisération des criminels vers leurs victimes. Surtout dans un climat où la politique pénale projetée nous prépare un enfer social à force d'indulgence dogmatique et où la mission d'information sur la procédure de révision va la faciliter "au moindre doute". Ce qui est extrêmement grave, va multiplier les recours et laisser penser, par ce laxisme en aval qu'on prépare, à l'existence de beaucoup de fragilité en amont.

Il est assez paradoxal de la part d'un Georges Fenech à la fois d'avoir été le rapporteur dans cette mission - apparemment sans dissidence - et d'annoncer un amendement pour autoriser la remise en cause des acquittements injustifiés. Il y a là comme une contradiction (JDD). Pour ma part, j'ai tendance à croire qu'il y a plus de victimes sacrifiées et déniées qu'il n'y a d'accusés incompris.

Dans tous les cas, je souhaite bien du plaisir à ce député UMP avec une majorité parlementaire aux antipodes de cette sollicitude pour les victimes, tout occupée à magnifier la forme de Christiane Taubira pour n'avoir pas à déplorer l'absence de fond. Et des avocats qui vont hurler à l'humanisme.

J'ose rêver sur un sujet aussi grave. Quand un avocat fait acquitter un coupable, il le sent, il le sait, et confusément ou ostensiblement il en est fier. Les médias et lui évoqueront une victoire de la défense. Comme c'est beau, noble et généreux !

Mais revenir sur un acquittement scandaleux, ce serait une honte parce que cette impossibilité serait une conquête de la démocratie ! Ce ne serait pas républicain !

Ce n'est pas sérieux.

L'appel criminel, en 2000, n'avait pour but que de donner une seconde chance aux condamnés.

Et si on l'octroyait aux victimes et si l'état de droit les concernait, après tout, elles aussi ?

Sous cette présidence, cette cause est désespérée mais elle est belle.


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