Actions sur le document

La France sans juste milieu

Justice au singulier - philippe.bilger, 24/06/2012

L'esprit de combat, la passion de la compétition, l'orgueil du maillot, l'honneur d'être soutenu, sur le plan sportif, par beaucoup de citoyens passionnés, les privilèges et les primes devraient susciter d'autres dispositions. Le sort ayant été favorable, modestie, concentration et mesure, acharnement, énergie, ambition et volonté pour vaincre à tout prix, lucidité, amertume, culpabilisation et rage la défaite survenue. A cause d'abord de soi. De la France à la recherche d'un juste milieu.

Lire l'article...

On n'a pas eu longtemps à espérer. Au championnat d'Europe de football, la France a été éliminée, dès son quart de finale, par l'Espagne que les spécialistes considèrent comme la meilleure équipe d'Europe et peut-être du monde même s'il convient de ne pas oublier la machine allemande qui est redoutable et séduisante.
La défaite de la France, par 2 à 0, en elle-même, n'a donc rien de scandaleux.
Ce sur quoi je voudrais attirer l'attention relève d'une faiblesse consubstantielle à notre manière d'appréhender le sport, nos victoires, nos échecs. Sportif en chambre, je n'ai évidemment pas la prétention de me prendre pour Laurent Blanc avec la lucidité que donnent les analyses d'après-coup.
Sans paradoxe, il me semble que l'équipe de France a forcément commencé à décliner le lendemain de sa victoire contre l'Ukraine. Certes, il s'est agi de son match le plus abouti même si son jeu était encore très perfectible. Cependant, qu'on se souvienne de l'unanimisme enthousiaste qui a suivi médiatiquement cette embellie pour mesurer à quel point non seulement nos hyperboles sont ridicules par rapport au réel mais infiniment dangereuses pour ceux qu'elles prétendent combler. L'outrance des lendemains prépare les défaites à venir. Cela n'a pas manqué avec la Suède même si la qualification pour les quarts de finale nous a été assurée de justesse.
La France se voit trop belle trop tôt et une victoire est portée aux nues comme si elle contenait en elle, miraculeusement, un avenir radieux fait de chevauchées fantastiques et tricolores. Comment des personnalités, même très douées dans leur art et leur technique mais vite éperdues de confiance, pourraient-elles résister à un tel encens qui donne l'impression fausse que tout est joué quand rien ne l'est puisque tout demeure à conquérir ? Le pire d'une telle méprise quasiment systématique est qu'elle entraîne à rebours des attitudes et des propos inadaptés quand soudain le voile se déchire et que les illusions s'effondrent sur le terrain. L'aveuglement qui surestime est suivi par une résignation qui minimise.
Ayant lu à peu près tout ce qui a été publié sur le match perdu par la France, j'ai été frappé de voir confirmée à ce point une tendance inscrite dans notre esprit national et si désespérante pour qui attendrait des sentiments forts, de révolte, de rage, de contrition, après des humiliations comme celle d'hier soir.
On peut même remonter en amont lorsque l'inénarrable Arsène Wenger, sur TF1, flanqué de l'excellent Lizarazu et de l'exalté Jeanpierre, ne cessait de répéter, avec une affligeante pauvreté de vocabulaire que "l'Espagne n'était pas au mieux" quand elle faisait courir dans le vide ses adversaires.
Les réactions, la défaite consommée, de l'entraîneur, des dirigeants et des joueurs français manifestaient toutes qu'avant même le début de l'affrontement avait été tristement intégrée l'idée de la supériorité hispanique. La France se pensait inférieure et partait battue d'emblée de sorte qu'on peut légitimement soutenir que la technique et la fierté espagnoles étaient déjà victorieuses avant leur déploiement.
Ecouter Laurent Blanc expliquer la défaite revient à donner toute sa part à l'inéluctable : "Il faut être réaliste. Ils sont meilleurs que nous". Hugo LLoris, de très loin le plus intelligent du lot et d'ailleurs le capitaine de l'équipe :"...C'est la meilleure équipe actuelle, je pense. Il n'y a pas grand-chose à se reprocher" (La Provence). Karim Benzema: "C'est bien, on progresse"! Olivier Giroud, grand buteur, excellent joueur de tête qu'à mon sens Blanc aurait dû beaucoup plus utiliser : "Je pense que notre équipe a de belles journées à vivre devant elle". Noël Le Graët, pourtant président de la Fédération française de football (FFF), ose déclarer qu'il s'agit "d'un Euro acceptable".
Je n'ai même pas besoin d'évoquer le comportement à nouveau grossier de Samir Nasri à l'encontre d'un journaliste de l'AFP.
Tout cela est tristement révélateur d'une France qui après s'être vue trop brillante ne se voit pas assez médiocre et fait bonne figure en cherchant et trouvant des motifs de satisfaction par rapport au passé.
Il est tout de même incroyable de constater que la victoire n'est pas le seul objectif.
Même pas un mouvement de susceptibilité devant les propos condescendants de l'entraîneur espagnol nous renvoyant à notre faible prestation !
On n'aura pas toujours un Domenech à se mettre sous l'esprit pour se glorifier d'un piètre Euro par comparaison. A cause des médias, la France, une fois gagnante, joue les "gros bras" puis les "petits bras" quand elle a été dominée sans offrir une belle résistance.
L'esprit de combat, la passion de la compétition, l'orgueil du maillot, l'honneur d'être soutenu, sur le plan sportif, par beaucoup de citoyens passionnés, les privilèges et les primes devraient susciter d'autres dispositions. Le sort ayant été favorable, modestie, concentration et mesure, acharnement, énergie, ambition et volonté pour vaincre à tout prix, lucidité, amertume, culpabilisation et rage la défaite survenue.
A cause d'abord de soi. De la France à la recherche d'un juste milieu.



Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...