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Démocratie du mépris, mépris de la démocratie...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 7/12/2015

Qu'on le déteste ou non, qu'on vote pour lui ou non, qu'il angoisse ou qu'on l'espère, le FN est d'une certaine manière la revanche du réel et la réplique multiple d'une France oubliée et exaspérée. Comme on refusait de l'entendre, elle s'est exprimée. Que va-t-on faire de sa parole à la fois claire et furieuse ?

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Le FN, contrairement à ce qu'a dit Jean-Christophe Cambadélis, n'était pas surcoté mais sous-coté.

Les scores que ce parti a faits dès le premier tour dans les treize régions ne devraient plus permettre les illusions ni les dénonciations, qui ont eu l'effet contre-productif de le faire progresser encore plus. Dans ce registre, difficile de faire plus indécent que la déclaration de Pierre de Saintignon assimilant «les extrémistes» aux «salafistes».

Le FN est le premier parti de France devant LR et même si le parti socialiste sauve les meubles au regard de sa déroute annoncée et espère quelques régions au second tour, il est indiscutablement le perdant du premier.

Un certain nombre de constats peuvent d'emblée être faits qui devraient conduire à une révision lucide de la manière dont la lutte contre le FN est menée puisque la démonstration est éclatante : tout ce qui a prétendu l'accabler l'a servi.

La participation est en hausse. Grâce à la création de ces treize régions qui vont offrir des pouvoirs considérables à leur président. Grâce au fait qu'étant les dernières élections avant l'échéance présidentielle, les régionales ont été liées à elle. Et bien évidemment, les terribles événements du 13 novembre, précédés par un relatif immobilisme depuis le mois de janvier, ont pesé.

La remontée dans les sondages du président de la République n'a eu rigoureusement aucun impact sur le premier tour des régionales. Ce qui montre à quel point les interventions de François Hollande, aussi remarquables qu'elles ont été ces derniers jours, sont radicalement déconnectées des mouvements profonds du pays, de ses angoisses et de ses attentes. Il n'a plus de prise sur lui et sa trajectoire personnelle ne gratifie plus que lui-même.

A l'encontre du FN, il n'est plus possible de se goberger avec les mots «République, valeurs, principes, démocratie, honte, nauséabond, Vichy…». Il faut impérativement se pencher sur les ressorts qui détournent des partis classiques et incitent un grand nombre de citoyens à voter en faveur de cette force trop facilement qualifiée de non républicaine et d'extrémiste.

Il n'est plus concevable, comme récemment je l'ai lu dans un éditorial du Monde, à la fois de mépriser les électeurs du FN et de n'inviter à résister que par des pétitions de principe qui se gardent bien de démontrer ce qu'on énonce comme irréfutable.

Le président de la République est le premier responsable de cet aveuglement. En effet, on ne peut en même temps s'afficher en chef de guerre à l'extérieur et à l'intérieur contre le terrorisme mais maintenir la garde des Sceaux et donc sa politique pénale calamiteuse qui sont directement au cœur de la protestation majoritaire, cohérente et aussi éruptive contre le pouvoir socialiste.

Continuer à ressasser contre le FN le discours habituel serait d'autant plus préjudiciable à la cause démocratique qu'on ne peut traiter avec cette désinvolture et cette arrogance un parti qui non seulement n'est plus le groupuscule de l'extrême droite qu'on aurait rêvé qu'il demeurât mais qu'il est devenu le premier parti français avec des millions d'électeurs.

Les avancées du FN sont d'autant plus à considérer que, puisque jamais la proportionnelle promise ne sera adoptée, les régions constitueront des médiations pour 2017. Et, en effet, des laboratoires. Pour le pire, clament tous ses adversaires. Dans tous les cas, l'ultime moyen et moment, pour le FN, de se prouver crédible ou catastrophique. Intolérant ou pragmatique.

Je n'ai pas l'habitude de l'approuver mais les propos de Nicolas Sarkozy m'ont semblé dessiner une voie juste et équilibrée, dans le rapport politique à entretenir avec le FN, puisque, par projection du premier tour des municipales sur les présidentielles de 2017, se retrouveraient face à face Marine Le Pen et le vainqueur de la primaire LR de 2016.

Ni retrait ni fusion pour le second tour des régionales (Le Monde).

La défaite de la gauche - je regrette que Stéphane Le Foll, d'habitude mieux avisé, parle d'elle et de ses composantes réunies comme du premier parti de France ! - est la conséquence principale du fait que la République, son autorité et le respect qu'on lui doit sont perçus comme de plus en plus menacés, voire contredits.

Nicolas Sarkozy a traité avec la courtoisie démocratique qui convient tous ces citoyens qui ont permis, pour le FN, ce premier tour qui dépasse ses espérances : il est en effet possible que le 13 décembre trois régions tombent dans son escarcelle politique.

Ni insultes ni slogans ni abstractions généreuses, creuses et inefficaces mais la démonstration claire que le FN ne représentera jamais, aujourd'hui et demain, une chance opératoire pour les régions comme pour la France. Qu'il ne faut pas le récuser parce qu'il ne serait pas dans notre espace républicain alors qu'il y est en plein mais au motif prépondérant que ses propositions aggraveraient le sort de notre pays. L'opprobre éthique n'a aucun sens ni la moindre justification - quel parti peut prétendre avoir été et être dépositaire de la morale ? - car seule la contradiction politique, sur les registres où le FN est à l'évidence un péril non pour la démocratie en tant que telle mais pour la santé et la survie de la France, est à assurer vigoureusement. C'est plus difficile parce que ce qui contraint à sortir de l'incantation exige une intelligence et une lucidité à la fois inlassables, pédagogiques et honnêtes. Pourfendre en effet un adversaire quand son succès est la preuve de votre échec n'est pas simple !

On n'a pas à traîner dans la boue politiquement et médiatiquement un parti que beaucoup de nos concitoyens ont décidé de placer en tête, parce qu'ils en ont assez de tout ou du socialisme, ou parce que certains y croient.

Mais à expliquer pourquoi il ne serait pas l'avenir et que ce qu'il porte de positif sur le plan de l'ordre, de la sécurité, de la justice, de la rigueur de l'Etat, LR sera le seul parti à pouvoir le mettre en œuvre.

Voter pour le FN est un cri, une rage.

La politique de LR, si j'ai bien saisi Nicolas Sarkozy, ce sera d'en faire, sur un certain plan, des actions.

Quelle mélancolie républicaine de devoir constater que le PS n'apprend jamais rien. Pourtant, il a des yeux et des oreilles pour observer et écouter. A force de sonner un tocsin tactique pour gêner la droite, de prévoir des désastres fantasmés, de présenter la démocratie comme une menace, de mépriser cette part de plus en plus importante du peuple avec "son immense colère" selon l'expression de NKM, de traiter par-dessus la jambe, la République, ce "vent de colère" (Le Figaro), la gauche se retrouve honteuse et désarmée.

Le paradoxe est que, contre les combines que les directives de Jean-Christophe Cambadélis valident, contre la confusion qu'elles vont légitimer, de même d'ailleurs que la dénonciation, par le FN, de ces magouilles qui prétendent sauver la démocratie au moment même où elles la ridiculisent, un front politiquement contrasté se dresse qui réunit LR et la démarche incarnée à gauche par Jean-Pierre Masseret contre le Premier secrétaire du PS qui n'a cessé de se tromper sur le FN.

On se maintient, la politique et ses choix l'imposent, on ne joue pas à faire peur pour se suicider avec bonne conscience. Par exemple dans la région dont Pierre Mauroy a été une figure emblématique et respectée, on ne se liquide pas, on tient !

Il serait sans doute opportun aussi de cesser ces contorsions consistant à distinguer soigneusement l'électorat du FN de ses responsables comme si le premier ne faisait pas corps avec les seconds !

Le premier tour des régionales a fait payer lourdement aux socialistes et à ceux qui gravitent autour d'eux leur mépris de la démocratie.

Veulent-ils vraiment que le second tour mette à bas leur démocratie du mépris ?

Qu'on le déteste ou non, qu'on vote pour lui ou non, qu'il angoisse ou qu'on l'espère, le FN est d'une certaine manière la revanche du réel et la réplique multiple d'une France oubliée et exaspérée. Comme on refusait de l'entendre, elle s'est exprimée.

Que va-t-on faire de sa parole à la fois claire et furieuse ?

Ce texte aujourd'hui complété a été publié initialement le 6 au soir sur le Figaro Vox.


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