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Pour la police, Emmanuel Macron oublie le "en même temps" !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 8/06/2020

Je fais confiance au Premier ministre pour prendre à bras-le-corps cette nouvelle et périlleuse mission qui lui a été transmise par le président. Mais on peut prévoir d'emblée qu'elle sera vouée à l'échec si on persiste, comme le président qui a fauté, à oublier le "en même temps".

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Il y avait plusieurs manières de répondre à la manifestation interdite du 2 juin - majoritairement haineuse - contre la police, réduite aux violences illégitimes qu'elle peut commettre dans ses actions si difficiles au quotidien.

Emmanuel Macron a choisi la pire.

Dans la droite ligne de celle de son ministre de l'Intérieur qui opte pour la faiblesse là où il aurait fallu de la rigueur ; et pour la brutalité quand une forme de mesure aurait été souhaitable.

Christophe Castaner est impitoyable avec les propos racistes de policiers sur Facebook et il a raison. Mais il a laissé la police être offensée par Camélia Jordana l'accusant d'avoir "massacré à cause de la couleur de peau". En ajoutant une compréhension surprenante pour les péripéties du 2 juin !

Ces fluctuations ont mis à mal sa crédibilité ministérielle déjà entamée.

Ce pouvoir ne sait fonctionner que par alternance.

Qu'on se souvienne des Gilets jaunes. J'ai défendu la police tout au long de ces samedis qui la mettaient aux prises avec des groupes excités et violents mais il est clair que de multiples conséquences dramatiques pour certains manifestants ne pouvaient pas résulter que de leur propre extrémisme : il y eut des blessures inexcusables et des violences illégitimes.

Mais l'angoisse suscitée par les Gilets jaunes apparemment dissipée, on est revenu à cette bonne vieille démagogie qui croit étouffer les désordres en les approuvant.

En effet comment analyser autrement ces étranges réactions ministérielle et présidentielle à la suite d'un rassemblement dangereux sur le plan sanitaire et guère rassurant pour une démocratie de moins en moins apaisée et rassemblée ? une promesse de plus aux oubliettes !

Comment justifier cette implication de l'ensemble des ministres dans cette cause et l'ordre donné au Premier d'entre eux de "proposer des mesures pour répondre aux revendications des manifestants" (Le Point) "et pour améliorer la déontologie des forces de l'ordre" (Le Monde).

Christophe Castaner a déjà indiqué que la méthode de l'étranglement ne sera plus enseignée dans les écoles de police et gendarmerie et que "tout soupçon avéré de racisme" entraînera une suspension. J'espère que les délinquants sauront adopter la même modération.

Cette conception hémiplégique de la politique, de l'équité publique et de la tranquillité sociale aboutit au moins à un Canossa partiel.

Car la plus élémentaire justice aurait dû conduire à l'organisation d'un débat et au désir de transformations concernant en même temps les vrais problèmes de la police, notamment dans ses rapports avec les citoyens (de sa faute et de la leur), et les réclamations acceptables de ceux qui la pourfendent parce que, paraît-il, ils sont trop souvent contrôlés ou trop durement confrontés et interpellés.

Rien de pire en tout cas à nouveau que ce deux poids deux mesures qui par lâcheté résiste à ce que l'honnêteté républicaine aurait dû imposer !

Ce qui domine aujourd'hui entre le président et Edouard Philippe n'est plus une répartition des rôles selon la Ve République mais une discrimination des tâches totalement léonine au détriment du Premier ministre.

Emmanuel Macron joue à être une Antigone intermittente, se love dans un confort mi-people mi-jupitérien pour confier exclusivement le sale boulot à Edouard Philippe qui apparemment ne bronche pas. Pourtant, si une Antigone intermittente préside, lui est voué à être un Créon à plein temps. Les Français le perçoivent qui font monter ce dernier dans les sondages quand le majestueux détachement du réel paie moins !

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Le Premier ministre, je l'espère, ne réunira pas une commission de plus qui ne servira à rien et ne s'engagera pas dans des problématiques seulement inspirées par ses adversaires.

Il est évident que la France n'a pas une police raciste. Mais que certains policiers ont des pratiques racistes. Que la police la plupart du temps dispose d'une force légitime dont elle use comme il convient. Mais que des policiers commettent, rarement, des violences illégitimes qui doivent être poursuivies et sanctionnées. Il m'est toujours apparu malhonnête et biaisé de mettre sur le même plan les transgressions de la police à laquelle généralement on résiste ou qu'on fuit et la multitude des atteintes qu'on lui cause.

C'est à partir de ces données incontestables et basiques qu'il convient de réfléchir. Il me semble que le Premier ministre devra toujours tenir les deux bouts de la chaîne - ce qu'on doit à la police et ce qu'elle doit - et focaliser sur ce qui est trop peu mis en évidence. D'une part les obligations des fonctionnaires de police et d'autre part la correction civique de la population. A appréhender dans le même mouvement.

On peut déposer plainte contre la police sans aucune entrave et les doléances vont de l'infiniment dérisoire, voire inexistant, au plausible, voire gravissime. Les réclamations ont d'ailleurs fortement augmenté en 2019. Les enquêtes diligentées par l'IGPN sont traitées par les parquets qui requièrent très peu de renvois devant les tribunaux correctionnels.

Il n'est pas nécessaire de suspecter la bonne foi de l'IGPN - qui a aussi un rôle administratif et disciplinaire - pour estimer que la saisine systématique de celle-ci, telle qu'elle fonctionne actuellement, ne garantit pas ce qui est fondamental pour la démocratie : l'apparence de l'équité et de l'impartialité. Je le dis d'autant plus volontiers que je n'ai jamais aimé ces instances corporatistes où les uns contrôlent les autres dans un même corps. Le citoyen même le plus éclairé est forcément dubitatif face à un tel processus.

Il est d'autant plus mis en cause que la magistrature et en l'occurrence le ministère public ont sans doute une interprétation trop restrictive des délits susceptibles d'être reprochés à certains policiers - l'action ou la réaction de ceux-ci est souvent décrétée légitime - et peut-être une solidarité naturelle, que je peux comprendre, malgré la perversion d'un syndicalisme judiciaire d'extrême gauche, avec les forces de l'ordre républicain contre ceux qui fuient, n'obtempèrent pas ou prétendent, souvent à tort, avoir été blessées par elles.

Reste qu'un grand pas doit être accompli pour obtenir un pourcentage plus acceptable entre le nombre important des plaintes et leur faible concrétisation judiciaire. Avec l'obligation d'une publicité et d'une rapidité sans lesquelles, enlisées dans le temps, les procédures seront soupçonnées de n'être jamais opératoires, pire : étouffées.

Prenons l'exemple de ce mineur de 14 ans, Gabriel, blessé sérieusement, s'il dit vrai, à Epinay-sur-Seine par quatre policiers. Il ne serait pas normal que cette affaire simple traîne au point de disparaître et de nourrir la constante aigreur citoyenne, amplifiant un sentiment d'injustice pas toujours infondé. Ce qui va d'abord causer du retard est l'enquête confiée à l'IGPN. On devrait pouvoir saisir directement la justice sans passer par ce filtre interne.

Je fais confiance au Premier ministre pour prendre à bras-le-corps cette nouvelle et périlleuse mission qui lui a été transmise par le président. Pour mettre je ne sais quel devoir en plus dans un domaine qui n'en avait pas besoin : tout ce qui existe en l'état aurait été suffisant si on savait tirer les conclusions des pratiques imparfaites et traiter leurs auteurs comme il convenait.

Mais on peut prévoir d'emblée qu'elle sera vouée à l'échec si on persiste, comme le président qui a fauté, à oublier le "en même temps".


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