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Manuel Valls, ministre de l'Intérieur ou de la morale ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 28/12/2013

On ne lui demande pas d'être ministre de la morale. Mais ministre de l'Intérieur. Cela suffit largement à ses devoirs.

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La gauche - elle l'a assez asséné à la droite ! - se voulait, se rêvait consubstantiellement liée aux libertés au point d'en être le défenseur naturel. Pas une atteinte, pas une offense à la liberté ne devait lui demeurer étrangère et toute transgression par rapport à ce principe démocratique allait la trouver en émoi, en révolte.

Ce n'est plus vrai du tout si cela l'a jamais été.

La double face de Manuel Valls : ministre écartelé entre, d'une part, sa mission d'assurer la sécurité et l'intégrité de ses concitoyens et, d'autre part, ses démangeaisons éthiques. Un travail dur, harassant et mal récompensé d'un côté et, de l'autre, la certitude d'encouragements et d'applaudissements démagogiques.

Rétablir le matricule pour les policiers et les gendarmes est une excellente initiative. Pour une fois, je me trouve en désaccord avec les syndicats. En aucun cas, permettre à un citoyen d'identifier le fonctionnaire qui l'aura interpellé, contrôlé, bien ou mal traité ne peut être assimilé à une démarche de défiance et de stigmatisation à l'encontre des forces de l'ordre, sauf à considérer que rien, jamais, ne devrait les régir sur le plan de leur comportement quotidien (20 minutes).

Le matricule, qui n'imposera aucun effort supplémentaire aux policiers et aux gendarmes puisque, sur eux, le matricule n'aura qu'à être relevé par la personne qui l'estimera nécessaire, n'a rien à voir avec le projet précédent heureusement abandonné qui lui, de fait, accentuait la charge du fonctionnaire, n'était pas loin de présumer sa faute et amplifiait un sentiment d'humiliation au sein d'un corps déjà fortement fragilisé. Continuer à protester contre le retour du matricule risquerait de démontrer, de la part de la police et de la gendarmerie, un refus par principe de la moindre vigilance démocratique.

Manuel Valls, ministre de l'Intérieur.

Mais Manuel Valls, aussi ministre de la morale.

Pourquoi, soudain, Dieudonné, toutes affaires cessantes, au coeur de l'appareil d'Etat comme si la lutte contre le racisme et l'antisémitisme justifiait tout, et d'abord une démarche d'interdiction dangereuse pour la République (Libération)?

Pourquoi un ministre en général compétent et clairvoyant qui se permet de définir qui est humoriste et qui ne l'est plus ?

Pourquoi un ministre qui, pour défendre la cause de journalistes et en présumant un climat de haine partout où Dieudonné tiendrait des réunions publiques, oublie qu'il faut caractériser les infractions pour les poursuivre mais que qualifiées, elles le seront ?

Quel étrange dessein, chez ce ministre, que de vouloir interdire des réunions publiques en présumant que des délits y seront perpétrés et qu'elles troubleraient davantage l'ordre public que certaines manifestations qui se déroulent avec la bénédiction du pouvoir ?

Au risque de favoriser l'aura perverse de tout ce qu'une injonction d'Etat non nécessaire a décidé de supprimer ?

L'état de droit, je l'admets, est épuisant avec la tension, le scrupule, les choix et les embarras de conscience qu'il suscite mais, sans lui qui exige qu'on ne prohibe pas par avance ce qu'on n'aura pas le courage ni la lucidité ni la sévérité d'examiner après, la démocratie sera mutilée.

Apparemment on n'attendait que Manuel Valls pour mettre fin "à l'impunité à la complaisance" dont aurait bénéficié Dieudonné. Puis-je rappeler avec déférence au ministre qu'entre le rien et l'interdiction projetée, il y a eu des décisions judiciaires ? L'outrance d'aujourd'hui n'occultera pas que Dieudonné n'a jamais été laissé tranquille pour ses provocations, ses insanités ou ses spectacles. Il y a eu des réactions avant Manuel Valls, ne lui en déplaise.

Et je n'ai même pas besoin de me justifier en déclarant que Dieudonné n'est pas mon comique ni mon militant préféré.

Manuel Valls met le doigt, l'esprit, la politique dans un engrenage dangereux. Pour se "payer" Dieudonné, pour obtenir à bon compte un succès facile et confortable, il annonce que ses équipes travaillent - tant le péril est imminent ! - sur les possibilités juridiques d'interdire les réunions publiques de Dieudonné. Il n'a pas d'autres chats plus impérieux, plus urgents, plus quotidiens à fouetter ?

Mais Manuel Valls a raison sur ce point : la gauche se tait, approuve par inconscience ou distraction. Toute dénonciation politique - et celle de Valls moins que toute autre - est rarement exclusivement morale. En l'occurrence, le ton soudainement comminatoire du ministre n'est qu'un procédé trop usité pour parer d'oripeaux éthiques une opération néfaste pour la République et de diversion pour le pouvoir.

Manuel Valls qui est un homme honnête aurait dû se rappeler l'avertissement du nouveau président du Crif regrettant que la "quenelle", à la supposer de tonalité nazie, ne puisse sans doute pas être réprimée juridiquement. Le ministre lui-même répondant à une question "sur la liberté de création et d'expression susceptibles d'être invoquées ou non" n'avance pas de manière péremptoire : "Non, je ne crois pas" (Le Parisien).

Comment si prudent dans sa formulation, peut-il cependant, avec plus d'autoritarisme que de fermeté, mettre en branle un processus dévastateur à terme pour nos libertés, Dieudonné ou pas ?

On ne lui demande pas d'être ministre de la morale.

Mais ministre de l'Intérieur.

Cela suffit largement à ses devoirs.


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