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Combattre le terrorisme avec les armes du droit

Actualités du droit - Gilles Devers, 21/11/2015

Si l'on veut éteindre le feu terroriste, il faut apporter une réponse...

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Si l'on veut éteindre le feu terroriste, il faut apporter une réponse conforme au droit international. Voici un excellent texte de Marcelo Kohen, professeur de droit international à l'Institut de hautes études internationales et du développement (Genève) – un peu plus sérieux que les fameux experts défraichis de nos plateaux-télés – publié dans Le Temps d’hier. Gloire et honneur à ceux qui refusent la société de la violence et de la domination, et qui savent défendre ce qui nous permet un avenir : organiser la justice sociale, et résoudre les conflits par le droit, sous le contrôle du juge. On n’a jamais rien inventé de mieux. Merci Marcelo ! Reviens quand tu veux...

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Il y a presque une quinzaine d’années, six jours après les attentats du 11 septembre, j’ai publié un article d’opinion dans ces mêmes colonnes sous le titre «L’arme de la civilisation, c’est le droit». Entre-temps, il y a eu les guerres d’Afghanistan, d’Irak, de la Libye, du Mali et d’autres régions d’Afrique. Le conflit israélo-palestinien s’enlise dans sa spirale quotidienne de violence sans que la communauté internationale ne fasse quoi que ce soit pour le régler une fois pour toutes. Depuis lors, non seulement le terrorisme n’a pas été vaincu, mais il s’est développé de façon exponentielle. A Al-Qaïda s’ajoute maintenant les Daech et autres Boko Aram. Le terrorisme contrôle désormais une partie du territoire de deux Etats au Moyen-Orient et des Européens sont embrigadés par centaines, voire par milliers.

Mon article dans «Le Temps» du 17 septembre 2001 était un plaidoyer pour combattre le terrorisme avec les armes du droit, tant sur le plan interne qu’international. Malheureusement, le droit a été sans cesse laissé de côté. Recours à la force et renversement des régimes sans autorisation du Conseil de sécurité ou détournant cette autorisation; maintien du camp de détention de Guantánamo, lequel jette l’opprobre sur l’état de droit et les droits humains sans pour autant renforcer d’un pouce la sécurité des Etats-Unis. Echanges d’hypocrisies entre Russes, qui ont enlevé un morceau de territoire à l’Ukraine, en Crimée, et Occidentaux, qui avaient auparavant enlevé un morceau de territoire à la Serbie, au Kosovo. Les uns et les autres se rappelant l’existence de certains principes fondamentaux de droit international, tel celui du respect de l’intégrité territoriale, uniquement quand cela les arrange. Retour à une politique de demi guerre froide qui peut être utile pour satisfaire certaines exigences de politique interne, mais qui néglige qu’il existe un ennemi commun farouche et fanatique aux portes de l’Europe et en son sein même déjà. Peuples européens se laissant tromper par les chants des sirènes xénophobes qui poussent à combattre le tchador ou la construction de nouveaux -et impossibles- minarets, au lieu de se concentrer sur l’essentiel, accentuant le clivage même que les terroristes appellent de tous leurs vœux.

L’unilatéralisme militaire ne mène nulle part

Presqu’une quinzaine d’années après le 11-Septembre, les réflexes ataviques se manifestent à l’identique. François Hollande a tenu, presque mot par mot, le même discours que George W. Bush. Son maître mot a été «la guerre». Certes, la situation aujourd’hui n’est pas la même qu’en 2001. Il faut se battre aujourd’hui contre un ennemi ayant désormais une assise territoriale. Or, bombarder massivement la vile syrienne faisant office de fief de Daech en raison de l’attentat terroriste n’est pas précisément la démonstration d’une politique raisonnée. Assimiler la lutte contre le terrorisme à la «guerre» est un chemin semé d’embuches. Cette qualification ne rend pas en soi la lutte plus efficace. Le terroriste est un criminel, pas un combattant. L’unilatéralisme militaire ne mène nulle part.

Les conditions sont réunies depuis un bon moment pour que les grandes puissances utilisent une fois pour toutes les moyens de la sécurité collective décrits par la Charte des Nations unies. Pour ce qui est de la situation en Syrie et en Irak, il semble qu’il ait fallu le 13 novembre pour que certains dirigeants s’aperçoivent qu’il fallait travailler d’entente avec la Russie. Il est temps de se concentrer sur l’ennemi à abattre, Daech, plutôt que de spéculer sur la démocratisation de la Syrie. Churchill n’a pas hésité à s’allier avec Staline pour combattre Hitler. S’il avait tenu le même discours que certains dirigeants français à propos du régime dictatorial de Bachar al-Assad, peut-être que le drapeau à croix gammée flotterait encore sur Paris. Le mot d’ordre devrait, d’abord, être celui d’en finir avec le contrôle territorial de Daech ; ensuite pourra-t-on parler de la nécessaire démocratisation de la Syrie. Cela exige une action concertée au sein du Conseil de sécurité, dans le cadre du Chapitre VII de la Charte, qui vise non seulement l’indispensable volet militaire, mais aussi les volets économique et politique. Car il n’est un secret pour personne que certains Etats de la région favorisent, ou à tout le moins laissent agir, Daech.

Une situation due aux errements des grandes puissances

Que personne ne se trompe. La situation actuelle n’est pas le résultat des «imperfections» du droit international ou du prétendu angélisme de ceux et celles qui prônent son respect. L’afflux des réfugiés qui fuient ceux-là même qui commettent les attentats est le résultat des errements des grandes puissances en Irak, en Libye et en Syrie depuis des années. Les moyens de la sécurité collective sont là à la disposition des Etats depuis belle lurette. L’arsenal des instruments internationaux de lutte contre le terrorisme aussi. Que certains gouvernements décident d’agir seuls ou dans une coalition organisée autour du commandement exclusif et incontesté d’une seule puissance est un choix politique dont les conséquences se font durement sentir aujourd’hui. Ce n’est pas parce que l’on doit faire face à un ennemi qui ne respecte même pas la plus insignifiante règle du droit humanitaire, ou la dignité humaine tout court, que l’on doit répondre en s’abaissant à son niveau.

Lorsqu’on laisse de côté le droit pour combattre le terrorisme, c’est parce que le terrorisme a imposé sa vision des choses.

Certes, tout système juridique est perfectible. Il n’est toutefois pas besoin d’adapter le droit humanitaire aux conditions de la lutte anti-terroriste pour mener celle-ci efficacement. Le terroriste qui se trouve en Europe est un criminel de droit commun qui doit être arrêté, jugé et condamné. Les terroristes qui font partie des forces combattantes en Syrie et en Iraq et qui commettent les pires exactions imaginables contre les populations civiles et les forces armées qui les combattent commettent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qui méritent d’être traités comme tels. Les outils sont là. Il ne manque que la volonté politique pour les utiliser. Lorsqu’on laisse de côté le droit pour combattre le terrorisme, c’est parce que le terrorisme a imposé sa vision des choses.

Le drame de Paris du 13 novembre devrait au moins servir à asseoir une réponse collective de la communauté internationale. Une réponse qui servira à fortifier l’Etat de droit dans son ensemble, à résoudre les conflits qui servent d’argument aux groupes terroristes pour recruter de nouveaux adeptes. Une réponse qui permettra, enfin, de créer de meilleures conditions pour lutter contre ce fléau qui ne fait pas de différence entre ses victimes, qu’elles soient chrétiennes, juives, musulmanes ou encore non-croyantes.


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