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Interdiction de tweeter pour les politiques ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 9/08/2015

Surtout, l'immense chance de pouvoir ajouter à l'arc démocratique de la liberté d'expression une corde essentielle. Grâce à Twitter.

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Il y a de grands esprits dont les opinions doivent être, tout au plus, discutées mais avec délicatesse et mesure.

Etienne Klein fait partie de ceux-là d'autant plus que j'éprouve une immense admiration pour ceux qui me font prendre conscience des considérables lacunes d'une vie qui ne s'est passionnée que pour les lettres.

Lors d'un entretien, ce physicien et philosophe donnant des cours à Centrale (Le Point) a déclaré : "Si seulement les politiques pouvaient cesser de tweeter ! Leur mission n'est ni de nous distraire ni de dilater l'actualité".

Le souhait ainsi exprimé mérite d'autant plus de retenir l'attention qu'il envoie une pierre rare, ni démagogique ni méprisante, dans le jardin des politiques. Pourtant, je ne suis pas persuadé que cette exigence soit forcément pertinente sauf à considérer - ce qui serait absurde - que pour ces personnages publics, Twitter soit leur seule source d'information.

Pour ma part, j'ai attaché un vif intérêt aux interventions de certains politiques, par exemple Alexis Bachelay sur la disqualification de la conduite sans permis de délit en contravention, et je n'ai trouvé que des avantages à voir éclairés ou même contredits mes 139 signes.

Il est facile de deviner par quoi est inspirée la méfiance d'Etienne Klein. De l'extérieur, et même parfois, dans le système, au regard de telle ou telle réaction, tweeter n'apparaît pas comme une occupation sérieuse mais comme un divertissement d'oisif, l'insistance suspecte de personnes qui se croient nécessaires au débat.

Ce reproche implicite me paraît infondé dès lors que cette affirmation inévitable de soi est amendée par la contradiction légitime et souvent stimulante que les tweets vont susciter. A supposer la vanité d'un côté, elle sera vite battue en brèche de l'autre.

Etienne Klein, d'ailleurs, prend la précaution de préciser la nature de ses griefs : les politiques n'ont "ni à distraire ni à dilater l'actualité". Je le rejoins absolument sur ce plan. Mais, outre la distraction et la dilatation, leurs tweets peuvent servir une instantanéité ne se poussant pas du col mais utile, qu'elle survienne spontanément ou en réplique.

Si le recours à Twitter échappe à des desseins vulgaires et demeure résiduel par rapport aux mille tâches approfondies et dignes d'estime des politiques, il est alors sinon nécessaire, du moins parfaitement acceptable. Contrairement aux selfies où les politiques font seulement acte de présence tandis que sur Twitter ils partagent ce qu'ils pensent avec nous.

A vrai dire, les forces et les faiblesses de Twitter ne sont pas spécifiques à cette catégorie professionnelle, elles se rapportent à l'ensemble des usagers de cette formidable caisse de résonance, de communication et de promotion. Mais, pour que la richesse des échanges - j'en ai connu de passionnants sur les migrants, le football, Nicolas Sarkozy ou Marine Le Pen par exemple - l'emporte sur le passif, il faut que quelques conditions soient réunies.

D'abord lire, regarder et écouter au-delà de Twitter. Faute de quoi, on ne sera capable d'opposer à un tweet nourri et irrigué qu'une réaction forcément mutilée. Rien n'est plus exaspérant, sur ce plan, que l'hiatus entre ce qu'on exprime et qui est fondé sur une infinité de sources et l'ignorance fragmentaire, voire pauvre, de la réponse.

Le hasard a bien ou mal fait les choses puisque j'ai connu une parfaite illustration d'un tweet où la fausseté se mêle à la partialité. Un certain Arthur Dreyfuss se présentant comme ayant été porte-parole adjoint à la Chancellerie a proféré cette bouleversante imbécillité, qu'il a voulu partager avec Me Klugman à qui je ne suis pas inconnu, que j'aurais "tout tenté pour être procureur gėnėral jusqu'en 2011". Cette affirmation ferait bien rire tous ceux, adversaires ou amis, politiques, magistrats, avocats et journalistes, qui ont une idée de mon parcours. Si j'avais aspirė à ce poste, je m'y serais franchement mal pris ou j'aurais dû prendre des conseils ! Cette ineptie va sans doute glisser dans des têtes à proportion même de son ampleur ! C'est ce que Twitter peut apporter de pire !

Ensuite, ne pas se contenter de reproduire les mêmes affirmations lassantes et fausses. Combien de fois ai-je dû subir ma prétendue "haine" de Sarkozy ou de Taubira ou ma responsabilité pour avoir fait élire François Hollande ! On finit par être épuisé devant les répétitions qu'on vous impose !

Par ailleurs, même en 139 signes, on peut émettre une opinion, affirmer une conviction, formuler un paradoxe, jouer sur divers registres, grave, ironique, délibérément outrancier, provocateur, indigné, sincère ou ludique mais, à chaque fois, c'est ce contenu multiforme, cette substance aussi variée soit-elle, qui doivent être approuvés, discutés ou récusés.

Il est clair que sur Twitter, une minorité n'a pour vocation que de mordre les mollets, de pourfendre la personne et jamais le fond du message qu'elle serait bien incapable de battre en brèche. D'abord parce que ce n'est absolument pas son souci, ensuite à cause de sa propre infirmité intellectuelle.

Celle-ci est dévastatrice quand un certain niveau d'incompréhension, voire de bêtise fait que littéralement des tweets, pourtant limpides, ne sont pas appréhendés lucidement. Je me souviens, notamment au sujet de Christiane Taubira et de la conduite sans permis, d'échanges hallucinants durant toute une journée avec une personne obstinément, stupidement, à côté de l'interprétation de bon sens.

Enfin, parfois avec le même groupe cumulant ces désagréments, la grossièreté, l'obscène et le cloaque sont cultivés avec une délectation infiniment dangereuse, moins pour soi que pour la réputation de Twitter dont une telle saleté, absolument pas fatale, altère l'image.

De ce bilan globalement positif et dont je persiste à affirmer - Etienne Klein ne m'en voudra pas - que les politiques ont vocation à y être partie prenante, je tire une double conclusion.

L'obligation du silence, de l'abstention quand, délibérément, l'acrimonie ne sait pas penser ni comprendre ni lire ni échanger mais seulement, systématiquement, ricaner, mordiller. Je n'ai eu à mettre en oeuvre cette bienfaisante passivité que pour deux de mes "followers".

Surtout, l'immense chance de pouvoir ajouter à l'arc démocratique de la liberté d'expression une corde essentielle.

Grâce à Twitter.


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