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Faut-il plaindre Gad Elmaleh ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 12/02/2015

Au fond, si j'ai bien saisi le propos des contempteurs de ces révélations, il y a des êtres pour lesquels leur gloire, pour le meilleur, imposerait l'anonymat pour le pire. Ils gagneraient sur tous les tableaux.

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Je n'attache rigoureusement aucune importance à la dénonciation de Pierre Bergé, actionnaire du Monde, ni aux réserves de Matthieu Pigasse, à la suite de la révélation, par Le Monde et une soixantaine d'autres journaux, de cette immense fraude fiscale organisée par HSBC-Suisse qui a bénéficié à des particuliers, à des sociétés, à des groupes mafieux et à des structures terroristes.

Une vaste entreprise qui unissait, dans une même immoralité et transgression, l'établissement bancaire et tous ceux qui en connaissance de cause l'avaient acceptée.

On n'a pas besoin, en effet, de Pierre Bergé pour s'interroger sur la validité d'une telle démarche médiatique ciblée bizarrement quasiment sur le seul nom de Gad Elmaleh qui, a-t-on appris, avait régularisé sa situation. On a moins parlé de Christophe Dugarry et de quelques autres personnes plus ou moins célèbres. L'ombre portée sur elles, j'en suis persuadé, n'aura aucun effet sur leur carrière : tout glisse.

Je ne doute pas une seconde que les journalistes du Monde aient réfléchi avant de participer à cette opération de transparence, notamment en diffusant des noms.

D'abord, l'information ne tient parfois qu'au nom lui-même et une fausse pudeur serait de le dissimuler quand la personnalisation est l'essentiel.

Surtout, il me semble qu'on ne peut pas vouloir les droits sans les devoirs, la lumière, l'aura et les facilités du privilège, de l'argent et de la réputation sans les exigences de rectitude et d'intégrité qui devraient leur être naturellement associées. Au fond, si j'ai bien saisi le propos des contempteurs de ces révélations, il y a des êtres pour lesquels leur gloire, pour le meilleur, imposerait l'anonymat pour le pire. Ils gagneraient sur tous les tableaux.

Il n'y a donc rien de choquant à ce que le nom de Gad Elmaleh ait été divulgué alors qu'en revanche les dérisions, les sarcasmes et les moqueries qui ont suivi cette information sont, eux, tout à fait indécents. C'est une double peine dont la seconde est injustifiée.

Qu'on le déplore ou non, puisque force est de constater qu'à tous les niveaux et sur tous les registres, il y a un hiatus entre les pratiques et la morale, entre l'apparence convenable et la réalité douteuse, on n'a pas d'autre choix que de féliciter les médias honorables d'attirer l'attention sur ces distorsions, quel que soit leur secteur.

Le fait que cette fraude fiscale aux conséquences incalculables dépasse, et de très loin, le cas de Gad Elmaleh ne rend pas moins légitime la citation du nom de ce dernier qui, à ma connaissance, n'a pas réagi.

Contrairement à ce que prétend Pierre Bergé qui n'est pas mon exemple comme gardien de l'éthique, il ne s'agit pas de délation, sauf à considérer que tout ce qui porte atteinte à des personnalités insérées dans l'espace médiatique, politique et artistique devrait être nécessairement passé sous silence.

A partir du moment où la distinction est faite entre le sale voyeurisme suscité par l'envie et la jalousie et le processus démocratique imposant que soient communiquées aux citoyens les failles et les carences des puissants et des privilégiés, il n'y a aucune raison de jeter l'opprobre sur ces journalistes du Monde.

Mais à une seule condition. Que tous les titulaires de pouvoir, d'autorité, d'influence, que tous les acteurs en évidence dans l'espace public soient soumis au même régime. Y compris les journalistes.

Il ne faut pas plaindre Gad Elmaleh mais souhaiter que cette pureté, cette transparence, cette information qui se veut vertu plus que déviation et délation s'attachent à tous ceux pour lesquels la réussite doit avoir sa rançon.

Si ce n'était pas le cas, Gad Elmaleh pourrait alors vraiment se plaindre.


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