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L’impartialité du juge

Actualités du droit - Gilles Devers, 23/07/2013

Pas malin : ma copine la Cour de cassation s’est faite tirer l’oreille...

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Pas malin : ma copine la Cour de cassation s’est faite tirer l’oreille par la CEDH pour un défaut d’impartialité, ce qui est bien fâcheux (Morice c. France, 11 juillet 2013, n° 29369/10). Cette décision s’inscrit dans les suites de l’instruction pénale relative au décès du juge Bernard Borrel à Djibouti. Mon excellent confrère Olivier Maurice avait été condamné pour diffamation envers les juges d’instruction, et il se trouve que l’un des membres de la Cour de cassation ayant statué sur le pourvoi avait antérieurement exprimé son soutien à une juge partie prenante de cette affaire. Vous trouverez ci-dessous l’arrêt qui vous raconte toute l’affaire par le menu, et qui explique aussi pourquoi la diffamation, malgré l’ampleur de la liberté d’expression, devait être retenue.

 

impartialité,cedh

Mais cet arrêt est l’occasion d’une bonne révision des principes permettant d’apprécier l’impartialité du juge, principes résumés par la Grande Chambre dans l’affaire Micallef c. Malte (n17056/06). Vous allez voir que l’exercice est complexe car on combine l’appréciation objective par une donnée subjective. C’est exigeant, mais c’est la condition du respect effectif de l’accès  un juge « impartial », au sens de l’article 6§1 de la Convention.

L’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris et peut s’apprécier de diverses manières.

Pour la CEDH, l’impartialité doit s’apprécier selon une double démarche :

La démarche objective consiste à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (Fey c. Autriche, série A no 255-A, et Wettstein c. Suisse, no 33958/96).

- La démarchesubjective prend en compte la conviction personnelle et  le comportement de tel juge, c’est-à-dire le point de savoir si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans tel cas. Un tribunal ou un juge doit être présumé exempt de préjugé ou de partialité (Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01), ce jusqu’à preuve du contraire (Wettstein c. Suisse, n° 33958/98). Quant au type de preuve exigé, la Cour s’est par exemple efforcée de vérifier si un juge avait témoigné d’hostilité ou de malveillance pour des raisons personnelles (De Cubber c. Belgique, série A no 86).

Dans la très grande majorité des affaires soulevant des questions relatives à l’impartialité, la Cour a eu recours à la démarche objective. La frontière entre l’impartialité subjective et l’impartialité objective n’est cependant pas hermétique car non seulement la conduite même d’un juge peut, du point de vue d’un observateur extérieur, entraîner des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité (démarche objective) mais elle peut également toucher à la question de sa conviction personnelle (démarche subjective) (Kyprianou). Ainsi, dans des cas où il peut être difficile de fournir des preuves permettant de réfuter la présomption d’impartialité subjective du juge, la condition d’impartialité objective fournit une garantie importante de plus (Pullar c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, Recueil 1996‑III).

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Pour ce qui est de l’appréciation objective, elle consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter d’un juge ou d’une juridiction collégiale un défaut d’impartialité, l’optique de la personne concernée entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées (Wettstein ; Ferrantelli et Santangelo c. Italie, 7 août 1996, Recueil 1996-III).

L’appréciation objective porte essentiellement sur les liens hiérarchiques ou autres entre le juge et d’autres acteurs de la procédure (Affaires de cours martiales : Miller et autres c. Royaume-Uni, n° 45825/99, 45826/99 et 45827/99, 26 octobre 2004 ; affaires ayant trait à la double fonction du juge : Mežnarić c. Croatie, no 71615/01, et Wettstein, où l’avocat qui avait représenté les adversaires du requérant a ensuite jugé l’intéressé dans le cadre respectivement d’une même procédure et de procédures concomitantes). Il faut en conséquence décider dans chaque cas d’espèce si la nature et le degré du lien en question sont tels qu’ils dénotent un manque d’impartialité de la part du tribunal (Pullar).

Doit se déporter tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d’impartialité (Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII). » Même les apparences peuvent revêtir de l’importance ou, comme le dit un adage anglais « justice must not only be done, it must also be seen to be done » (il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu’elle le soit au vu et au su de tous). Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables.

 

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