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Quoi après le désenchantement ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 4/12/2019

J'aime cette exigence qui ne nous autoriserait pas la moindre tranquillité, pas la moindre faiblesse après le désastre. Ce dernier alors non plus comme une défaite mais tel un coup de pied du destin nous projetant vers le haut.

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Lisant Causeur dont une large part est consacrée à Philippe Muray, je relève chez ce dernier cette observation profonde : "Il y a en effet deux espèces, deux catégories, ceux pour qui il n'existe rien après le désenchantement et ceux pour qui tout commence. Toute mon entreprise est de faire sentir la richesse et la joie de l'au-delà du désenchantement".

Il me semble que cette analyse pourrait ne pas s'appliquer seulement aux destinées intimes, personnelles, aux choix d'existence singuliers mais offrir sa lumière pour éclairer la vie politique et sociale.

En effet, que le désenchantement ait suivi une forme sinon d'enchantement du moins d'espérance tellement intense qu'elle paraissait y mener tout droit est une évidence. Depuis 2017, la présidence d'Emmanuel Macron, avec les crises et les tragédies qui l'ont bouleversée, les illusions déçues, la morosité installée culminant avec la journée du 5 décembre, représente une illustration parfaite d'un désenchantement qui trouve son exutoire dans la violence, la rage, le rejet de tout.

Il serait juste sans doute de faire partir ce désenchantement depuis plus longtemps comme si ce n'était pas d'aujourd'hui que le monde avait perdu ses couleurs, la France son aura et la société ses repères. Depuis quand la poésie démocratique a-t-elle été remplacée par l'appareil lourd de la prose républicaine avec ses conflits, ses invectives, ses récupérations ?

Je rejoins Philippe Muray quand il énonce pour son propre compte qu'on ne saurait s'arrêter à un constat de pure négativité, de ressentiment contre ce qu'on aurait désiré mais qui ne sera pas, d'abandon et de fatalisme. Mais qu'il conviendrait au contraire de s'inventer une morale, des règles pour satisfaire une lucidité d'après le désenchantement. On sait tout, on n'a plus d'illusions, le réel n'a plus aucun secret, le pire menace à chaque seconde et pourtant il faut tenir, durer et se montrer à la hauteur. Mais de quoi ?

Philippe-Murray

Je fais ce rêve. Pourquoi ce qui n'a pas été possible hier ne le deviendrait-il pas dorénavant par une sorte de miracle ? Quand l'enchantement, la normalité, le cours des choses, les rapports entre les êtres, le souci de la paix, l'aspiration à une humanité réconciliée constituaient d'honorables visées, que celles-ci étaient encore plausibles, qu'il y avait de l'enchantement et qu'on n'était pas confronté à une table rase mais à un univers empli de promesses, on a subi le pire.

Pourquoi serait-il impossible, la défaite consommée, la coupe amère bue, la chienlit admise, la colère et la haine appréhendées, de s'élaborer des préceptes qui, pour être d'une infinie banalité, n'étaient plus considérés comme plausibles depuis des lustres, trop ridicules pour un temps trop cynique ?

Pourquoi, après le désenchantement, ne tenterait-on pas de découvrir ce qu'on aurait dû savoir par coeur et connaître sur le bout de l'esprit ?

Il y aurait par exemple le retour de cette provocation qu'aucune fin ne justifie les moyens et que Karl Marx avait raison qui soulignait que des moyens dévoyés dégradaient la fin elle-même.

Il y aurait la détestation absolue de toute violence que rien, jamais, ne justifierait.

Il y aurait un culte authentique de la liberté d'expression aussi éloigné de la haine du contradicteur que de la complaisance servile.

Il y aurait une volonté d'égalité concrète entre les sexes sans que cette lutte prenne un tour grotesque et quasiment arithmétique.

Il y aurait des pouvoirs respectés parce que respectables et où le légal ne pèserait pas lourd face au légitime et au décent.

Il y aurait, après le désenchantement et grâce à lui qui ouvre les yeux, les coeurs et les esprits, l'esquisse d'une restauration de tout ce que la modernité arrogante a détruit.

Puisque l'éthique a été violée quand le monde nous souriait, avec lui devenu sombre, baudelairien, elle deviendrait peut-être notre seul recours, un horizon tout neuf ?

J'aime cette exigence qui ne nous autoriserait pas la moindre tranquillité, pas la moindre faiblesse après le désastre.

Ce dernier alors non plus comme une défaite mais tel un coup de pied du destin nous projetant vers le haut.

Chacun a le droit d'user de Philippe Muray comme il l'entend.


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