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Bonnemaison : du signalement à l’emballement, dans le huis clos de l’hôpital

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 16/10/2015

En août 2011, deux infirmières et une aide-soignante de l'hôpital de Bayonne demandent à rencontrer leur supérieure hiérarchique, Christine Solano. Elles ont, lui disent-elles, quelque chose d'important à lui signaler. Elles souhaitent que l'entretien se passe ailleurs que dans leur … Continuer la lecture

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En août 2011, deux infirmières et une aide-soignante de l'hôpital de Bayonne demandent à rencontrer leur supérieure hiérarchique, Christine Solano. Elles ont, lui disent-elles, quelque chose d'important à lui signaler. Elles souhaitent que l'entretien se passe ailleurs que dans leur bureau vitré situé au beau milieu de l'unité d'hospitalisation de courte durée. A l'abri des regards indiscrets, elles lui annoncent qu'il y a des décès "suspects" dans le service. Au moins quatre, assurent-elles, et le dernier date de la veille.

C'est celui-là qui les a décidées à parler. Elles ont vu le docteur Nicolas Bonnemaison ouvrir l'armoire à pharmacie, briser le contenu de deux ampoules dans une seringue, glisser la seringue dans la poche de sa blouse, entrer puis ressortir de la chambre de la patiente. La vieille dame est morte peu après. L'une des infirmières est allée récupérer dans la poubelle les deux ampoules vides. Elle les montre à Christine Solano. Le produit utilisé est du Norcuron, un curare.

Dans le petit monde de l'hôpital de Bayonne, tout se sait, se murmure et s'emmêle : la liaison du médecin avec une cadre infirmière du service, la détresse d'une rupture qui l'a conduit à faire deux séjours en hôpital psychiatrique en 2008, suivis de six mois d'arrêt maladie. La rumeur d'une tentative de suicide qu'il a pourtant toujours démentie. Les soupçons jamais prouvés de toxicomanie médicamenteuse. Un puzzle de souvenirs sur la "fragilité" du médecin urgentiste, de ragots de couloirs et d'observations professionnelles se met en place et construit la conviction que Nicolas Bonnemaison procède à des euthanasies actives dans son service.  Christine Solano ne met pas un instant en doute les convictions de ses collègues. Elle rédige un rapport, vite. Le transmet à son supérieur hiérarchique, un médecin. Qui décide, tout aussi vite, d'alerter le directeur de l'hôpital. Qui décide, encore plus vite, de faire un signalement au parquet sans prendre le temps d'entendre l'urgentiste mis en cause. Le lendemain matin, lorsqu'il arrive à l'hôpital, Nicolas Bonnemaison est prié de se rendre dans le bureau du directeur. Deux policiers l'y attendent. Quelques heures plus tard, il est placé en garde à vue: l'affaire Bonnemaison est lancée.

Christine Solano est venue raconter tout cela, jeudi 15 octobre, devant la cour d'assises du Maine-et-Loire à Angers qui juge en appel Nicolas Bonnemaison. Elle est à vif, tendue, prête à griffer. Quand elle parle, elle ne dit pas "je", mais "on", au nom de ses collègues infirmières : " On a compris qu’on nous reprochait d’avoir fait le signalement. Après la garde à vue, on s'est retrouvées accusées de tout, de trahison, de complot, de cabale, on a été insultées, on s'est retrouvées isolées au sein de notre métier, de notre institution." En septembre 2011, poursuit-elle, le directeur de l'hôpital les a convoquées et leur a intimé l'ordre de se taire. "Il nous a dit qu'il fallait maintenir la cohésion de la communauté hospitalière."

Quatre années ont passé, la plaie est toujours aussi vive. A l'instruction, le cas qui a déclenché toute l'affaire s'est conclu par un non-lieu. La patiente est décédée de mort naturelle, elle n'a subi aucune injection de Norcuron. Sept autres cas de morts suspectes sont reprochés au médecin, mais seules deux familles se sont constituées partie civile contre lui. Lors du premier procès à Pau, les témoignages des infirmières et de l'aide-soignante ont été mis en doute et le médecin a été acquitté. Au printemps 2015, Nicolas Bonnemaison, radié par ses pairs du conseil de l'ordre, est revenu travailler quelques mois à l'hôpital de Bayonne où il a été chargé d'une mission administrative. "On l'a vécu comme un désaveu", dit Christine Solano.

Il y a tout dans ce mot. La rage de voir sa bonne foi bafouée, l'humiliation de l'infirmière face à la solidarité des médecins pour leur collègue accusé. Le praticien auquel elle s'était confiée ne sait lui-même plus quoi penser du rapport qui a tout déclenché. "Il y avait pour moi quelque chose d”irrationnel mais c’était présenté de manière extrêmement structurée", dit-il.

- "Vous avez l’air rétrospectivement un peu mal à l’aise devant la rapidité des choses", lui fait observer Me Benoît Ducos-Ader, l'un des avocats de la défense.

- Depuis quatre ans et demi, je me pose la question. ll est clair qu'aujourd'hui, des éléments de doute surviennent".

Deux mondes qui s'opposent. Urgentistes, réanimateurs, spécialistes de soins palliatifs, ces médecins racontent un autre Nicolas Bonnemaison avec "des qualités humaines exceptionnelles", "une capacité d'écoute hors norme", "très investi, attentif, soucieux de la souffrance du patient". Tous ceux qui ont travaillé au plus près de lui affirment, comme Thierry Saint-Val, que lorsque Nicolas Bonnemaison est revenu de son arrêt maladie, il était "tout à fait remis. Un médecin qui commence à déraper, qui n’est pas bien, on va le voir dans sa prise en charge, sa tenue des dossiers. Jamais les familles, le personnel soignant ne sont venus me trouver en disant “ça ne va pas”. Nicolas Bonnemaison a toujours été dans le soin et dans le prendre soin. En son âme et conscience, il a voulu faire le bien", dit-il.

Thierry Saint-Val témoigne aussi des jours et des mois qui ont suivi l'emballement de l'affaire. "Moi, j'ai réanimé pendant quarante minutes un patient qui était déjà mort, parce que je ne savais plus ce qu'il fallait faire." Un autre médecin confie: "Il y avait une telle peur de se retrouver dans la situation de Nicolas Bonnemaison qu'on redoutait d'effectuer tout geste thérapeutique". Avant eux, la fille d'une patiente hospitalisée avait raconté que sa mère était décédée au terme d'une trop longue agonie "parce que, dans le service des soins palliatifs de l'hôpital de Bayonne, tout le monde était tétanisé par l'affaire Bonnemaison".


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