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Le dur métier de vivre ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 11/03/2020

Même si Hugues Lagrange peut voir résumer son livre par "la revanche des gènes", je ne souhaite pas au fond que pour "ce dur métier de vivre", on cherche un autre ressort que lui-même. Seulement la misérable et splendide condition de l'homme. A perpétuité.

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Ce titre, sous forme interrogative, est une citation du grand écrivain italien Cesare Pavese pour lequel le "métier de vivre était si dur" qu'il ne l'a pas supporté et a mis fin à ses jours.

Le livre du sociologue Hugues Lagrange "Les Maladies du bonheur" analyse les pathologies de la modernité en mettant en évidence notamment l'explosion des dépressions et la consommation de psychotropes (Le Point).

Plaidant par ailleurs "pour une prise en compte de la génétique pour comprendre les inégalités scolaires", il nous replonge dans un débat fameux et controversé qui avait opposé lors de la campagne présidentielle de 2007 Nicolas Sarkozy à Michel Onfray et à l'issue duquel le premier s'était vu reprocher d'avoir évoqué la génétique pour des tout petits enfants dont certaines prédispositions néfastes auraient pu être ainsi pressenties.

La constatation de ce sociologue sur "l'explosion d'anxiété et de dépressions qui semble liée à la difficulté de vivre sans guide" a attiré mon attention.

Je n'aurais pas la présomption de discuter son approche alors qu'Hugues Lagrange est réputé pour sa rigueur et son aptitude précisément à sortir des poncifs de la sociologie pour proposer des chemins nouveaux.

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Mais l'existence est-elle difficile, le quotidien est-il de plus en plus lourd à assumer à cause de cette "absence de guide" ou d'abord parce que vivre est "un dur métier" et que les temps d'aujourd'hui nous confrontent de plus en plus douloureusement à la nudité de cette épreuve ?

On pourrait même aller jusqu'à soutenir que cette absence de guide, à la supposer certaine dans tous les domaines et capitale pour la conduite de nos existences, est sans doute plus une chance qu'une nuisance. Elle nous contraint, au fil des jours, dans les domaines intellectuel et démocratique, à ne nous encombrer que de nous-mêmes pour constituer, tel un honneur, l'obligation de notre autarcie.

J'entends bien que, pour certains, être dépouillés de l'espoir de trouver en dehors d'eux des certitudes et des vérités commodes et prémâchées pourra représenter une calamité. Mais l'évolution ira dans un autre sens qui nous laissera sans le secours d'autres instances pour nous consoler.

Sans doute suis-je d'autant plus enclin à me méfier de ces aperçus nous concevant comme infirmes que je trouve intrusives ces immixtions dans notre for intérieur, dans notre responsabilité et notre liberté. Elles prétendent nous apprendre à vivre, à aimer, à souffrir, à être heureux et à mourir. Je n'en peux plus qu'on nous convie à faire l'économie de ce que nous sommes. Pour le meilleur comme pour le pire.

Même si Hugues Lagrange peut voir résumer son livre par "la revanche des gènes", je ne souhaite pas au fond que pour "ce dur métier de vivre", on cherche un autre ressort que soi-même.

Seulement la misérable et splendide condition de l'homme.

À perpétuité.


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