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Ayrault pas pour tout le monde !

Justice au singulier - philippe.bilger, 20/10/2012

C'est une faute plus psychologique que politique de l'avoir nommé à Matignon. Mais que François Hollande, au moins, ne laisse plus ce compagnon loyal et discipliné aux prises avec le complexe de supériorité de certains et l'obligation d'avoir chaque jour, tout seul, à inventer son chemin !

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Le titre est un mauvais calembour. Il ne se veut pas irrespectueux mais n'exprime pas trop mal, après tout, l'impression que me donne ce gouvernement, sous l'égide de ce Premier ministre et le regard tutélaire ou agaçé, c'est selon, du président de la République.

Il me semble que trop souvent le psychologique est négligé au profit du politique comme si celui-ci était seul digne d'expliquer dérives, dysfonctionnements et faiblesses. Alors qu'au contraire, une fois décrites les carences et dénoncés les cafouillages, on s'aperçoit que derrière la technique, c'est l'humain et les rapports qu'il induit, bons, passables ou mauvais, qui en définitive sont la clé de tout.

Depuis que Jean-Marc Ayrault a été nommé Premier ministre - il paraît que le président a hésité jusqu'au dernier moment -, il ne se passe pas de jour qui ne soit l'occasion d'une mise en cause du chef du gouvernement. Pour défendre les médias, je ne crois pas qu'il y ait là un "lynchage" prémédité, une sorte de destruction programmée de quelqu'un qu'on souhaiterait voir disparaître de l'univers du Pouvoir (Le Monde, Le Figaro).

Ce qui ressort de ces quelques mois représente objectivement une accumulation de "gaffes", de contradictions, d'approximations et de flottements qui, gangrenant le coeur même du gouvernement et quel que soit le ministre concerné, conduisent à douter de la fiabilité et de la compétence, pour ce poste, de JMA.

Cette personnalité très estimable, dont l'honnêteté et la simplicité sont à la fois une garantie et une chance pour la France, est confrontée à un écueil grave qui est précisément d'avoir été choisie, par François Hollande, comme une copie affadie de ce dernier et d'être livrée à une liberté plus angoissante que bienvenue dans sa pratique quotidienne. En effet, et sans paradoxe, l'humiliation, pour François Fillon, d'avoir été traité de "collaborateur" et d'avoir dû supporter, par la suite, en dépit d'améliorations conquises de haute lutte, un impérialisme épuisant de la part de Nicolas Sarkozy a eu pour contrepartie positive que son Premier ministre n'a jamais éprouvé l'angoisse d'une autonomie et eu à supporter les affres de l'indépendance. Je ne doute pas que le caractère de François Fillon - il ne cesse de le démontrer depuis ces dernières semaines - aurait été à même de les assumer mais toujours est-il qu'il n'a pas eu à le faire durant cinq ans.

JMA, avec le président, est condamné à devoir beaucoup plus compter sur soi, sur son aptitude à diriger, sa capacité de s'exprimer et de convaincre et son talent pour animer une équipe. Cette responsabilité est certes exaltante mais, comme il s'agit, pour François Hollande et lui-même, d'un fond sur fond, d'une solidarité, mais sans contraste des tempéraments, JMA se voit contraint de se multiplier et d'agir sur tous les fronts avec des atouts et des limites guère adaptés à Matignon.

Plus significative et dangereuse la dégradation de la discipline gouvernementale, qui révèle bien au-delà d'elle-même. Il serait fastidieux d'énumérer les rappels, recadrages, manifestations d'autorité et protestations de compétence auxquels JMA a été contraint de se livrer puisque dès le premier jour sa légitimité a été discutée.

Il y a eu quelque chose de touchant, lors de l'émission Cartes sur table qui lui était consacrée sur France 2, à percevoir avec bonne foi mais inquiétude les efforts du Premier ministre pour montrer qui il était vraiment, faire passer ses messages sur la force de sa personnalité, sa cohérence intellectuelle et politique, sa détermination et sa parfaite compatibilité avec le rôle éminent qui lui avait été assigné par le président. C'était touchant - sans aucune condescendance de ma part - parce qu'il était sincère, convaincu mais en même temps plat, désespérément plat. La parole monocorde ennuie et la pensée banalement proférée ne persuade pas. Cette extrême difficulté à s'incarner dans le verbe rend pathétique l'écart entre un être qui se bat pour être et une expression qui ne parvient pas à faire surgir l'existence. C'est la raison pour laquelle, par un tweet à peine humoristique, j'avais proposé au Premier ministre le concours gratuit de l'Institut de la parole.

Cette maladresse, d'autant plus perceptible que JMA, clairement, cherchait et cherche sans cesse à y remédier, est la cause et amplifie la conséquence négative d'une disposition singulière et collective au sein de son gouvernement.

Qu'on me pardonne ce souvenir immodeste : toutes proportions gardées, quand durant trois ans j'avais travaillé au cabinet du président du Sénat René Monory, je m'étais senti mal à l'aise en percevant au quotidien comme certains conseillers auraient été meilleurs et plus fiables que le directeur du cabinet.

Je suis persuadé qu'il y a plusieurs ministres - je ne songe pas seulement aux plus emblématiques - qui in petto se savent ou se pensent très largement supérieurs à JMA et vivent alors sans doute comme une revanche les avanies qu'il subit. Pour peu qu'on se penche avec attention et intuition sur beaucoup d'attitudes et de propos ministériels depuis la nomination du Premier ministre, il est patent que quelques-uns sont plus contents d'eux-mêmes qu'ils ne le sont de JMA. Le président a beau tenter de colmater les brèches et de stériliser les ambitions, rien n'y fait. Le Premier ministre ne jouit pas de cette distance et de cette aura qui suscitent naturellement la dépendance de ceux qui reconnaissent la supériorité de la personnalité choisie par le président pour les diriger. En quelque sorte, JMA est trop près, trop dedans : ancien président du groupe parlementaire socialiste, il est encore un collègue. Pas assez respecté, trop humain pour être craint.

C'est une faute plus psychologique que politique de l'avoir nommé à Matignon. Mais que François Hollande, au moins, ne laisse plus ce compagnon loyal et discipliné aux prises avec le complexe de supériorité de certains et l'obligation d'avoir chaque jour, tout seul, à inventer son chemin !


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