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Procès du Carlton : Jade, « ces messieurs » et le « pain garni »

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 3/02/2015

Au président qui vient de lui demander, avec beaucoup de délicatesse, comment elle a fait "le premier pas" vers la prostitution, Jade répond tout à trac: "J'ai ouvert le frigo, je savais que j'allais avoir une enquête sociale pour la … Continuer la lecture

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Au deuxième jour du procès du Carlton, le témoignage de "Jade" (Dessin François Boucq pour Le Monde).

Au président qui vient de lui demander, avec beaucoup de délicatesse, comment elle a fait "le premier pas" vers la prostitution, Jade répond tout à trac: "J'ai ouvert le frigo, je savais que j'allais avoir une enquête sociale pour la garde de mes enfants et j'ai vu que le frigo était vide". 

Derrière celle qui s'exprime à la barre du tribunal correctionnel de Lille, mardi 3 février, une brochette de prévenus assis baissent la tête et fixent la pointe de leurs souliers.  Il en manque plusieurs, dont Dominique Strauss-Kahn, qui ne reviendra que la semaine prochaine pour être interrogé. Jade - le prénom qu'elle s'était choisi pour exercer - est l'une des femmes recrutées par Dodo La Saumure et René Kojfer pour satisfaire les envies sexuelles de leurs clients.

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Au deuxième jour du procès du Carlton, le témoignage de "Jade" (Dessin François Boucq pour Le Monde).

Mère de deux très jeunes enfants - le dernier avait sept mois quand elle s'est séparée de son compagnon - elle a répondu un jour à une annonce qui recherchait des "hôtesses".  "Je devais beaucoup d'argent à l'avocat pour la séparation et je n'avais pas de moyens de garde pour mes enfants", dit-elle. Elle ajoute: "On ne choisit pas cette vie là, je ne me suis jamais achetée de sac ou une paire de bottes. Et dès que je pouvais, je retrouvais un boulot dans l'intérim". 

C'est dans l'un des bars à hôtesses de Dodo la Saumure à la frontière franco-belge qu'elle a rencontré René Kojfer. Elle l'appelle par son prénom, raconte qu'il était "jovial", qu'elle l'est aussi et que du coup, ils étaient tous deux "un peu les gais lurons de la bande", elle dit ça d'une voix si triste qu'elle vrille le coeur.

Quand René Kojfer lui propose de l'accompagner pour des rendez-vous tarifés avec des hommes à Lille, elle dit oui parce que, explique-t-elle, "dans les clubs, il y a plusieurs filles, on ne sait jamais si on sera choisie et donc payée, alors que là, en allant à Lille, on était sûres de revenir avec de l'argent."

A l'heure du déjeuner, avec d'autres filles, elles se présentaient à la porte d'un immeuble qui permettait d'accéder à un appartement dépendant de l'hôtel Carlton.

- Tout était déjà prêt. Il y avait un grand pain garni et une bouteille de champagne.

Les hommes venaient en général à trois. Il y avait là le propriétaire des murs de l'hôtel, Hervé Franchois, aujourd'hui âgé de 75 ans, le gérant, Francis Henrion et René Kojfer.

- En arrivant avec les filles, ces messieurs faisaient leur choix. Ils avaient déjeuné. Nous, on était peut-être leur dessert. C'était le plus âgé [Hervé Franchois] qui choisissait en premier et il prenait toujours la plus jeune. Après, c'était chacun son partenaire. Un dans le salon, un dans la chambre et un dans les toilettes.

La passe était rémunérée 200 euros. Parfois moins. Un jour, René Kojfer ne lui donne que 120 euros, "les temps sont durs", il lui dit. "Une autre fois, il m'a offert un peignoir blanc".

Au deuxième jour du procès du Carlton, le témoignage de "Jade" (Dessin François Boucq pour Le Monde).

- Quel est votre sentiment aujourd'hui à l'égard de ces trois personnes ? lui demande le président.

- Il est mitigé. Parce que c'était classe. Ces gens étaient courtois. Ils ne nous rabaissaient pas. C'était pas de la grosse boucherie.

- Ce sentiment est-il le même pour les autres prévenus?  poursuit le président en évoquant implicitement l'ancien directeur du FMI et ses deux co-prévenus, David Roquet et Fabrice Paszkowski.

Elle réfléchit quelques secondes et répond.

- Disons que je leur en veux parce qu'ils m'ont présentée à quelqu'un de public. Moi, je ne le connaissais pas cet homme-là...

La voix de Jade se brise de chagrin et de rage.

- Hier, avec les autres filles, on a eu l'impression d'être beaucoup plus petites que les autres. On a du mal à trouver notre place aussi. Ce matin, on a vu nos vrais prénoms et nos noms dans le journal. Mais est-ce que ceux qui font ça réalisent? Ils savent, les journalistes, que ça pourrait être leur sœur ou leur cousine? Là, je suis à des kilomètres de chez moi. J'ai un travail normal aujourd'hui, j'ai été aidée par le Nid [une association d'aide aux prostituées, qui est toujours à ses côtés sur les bancs des parties civiles] mais comment ça va se passer quand je vais rentrer ?

Elle dit encore, c'est presque un cri.

- Je vous promets que je vous tiendrai au courant des dégâts collatéraux ! 


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