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Le sabreur Murat contre l'icône Goldman : une rareté

Justice au Singulier - philippe.bilger, 19/04/2020

Apparemment ils ne sont pas faits pour s'entendre. Quel dommage ! Le monde de la variété française est trop pauvre pour qu'on ne regrette pas la bande à part de ces deux atypiques. Du sabreur Murat et de l'icône Goldman.

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Une double rareté.

D'abord parce qu'il faut savoir gré à Paris Match qui abuse parfois, dans les domaines artistique et culturel, de promotions de routine, d'avoir donné la parole au chanteur Jean-Louis Murat (JLM), talentueux, tellement solitaire, délibérément si peu médiatique. Un entretien avec lui est toujours un événement.

Mais une rareté surtout parce que, si on le connaît et qu'on sait que la langue de bois n'est pas son fort, il est très exceptionnel, voire unique qu'on s'en prenne à Jean-Jacques Goldman (JJG). C'est ce que JLM fait pourtant à titre principal et je néglige les quelques acidités qu'accessoirement il adresse à la chanteuse belge Angèle.

C'est le combat à fleuret non moucheté du sabreur contre l'icône.

Et je ressens le malaise, dans quelque domaine que ce soit, d'être accordé à des points de vue apparemment contradictoires, d'épouser, sans la moindre hypocrisie, les comportements de personnalités, aussi dissemblables qu'elles soient, et de trop bien comprendre les critiques de l'une et l'impériale réserve de l'autre. Pour être un inconditionnel de JJG, je ne suis pas contraint de me scandaliser du propos acerbe de JLM.

Il reproche à JJG d'avoir refusé qu'Alain Souchon qui a "cafté" reprenne l'une de ses chansons aux Enfoirés. La raison donnée par Goldman étant la position de JLM sur le régime des intermittents, divergente de la sienne. J'avoue que celle de Murat, craignant que leur statut crée des "apparatchiks de la culture", me semble iconoclaste mais lucide.

JL-MURAT-web

L'essentiel de la charge ne réside toutefois pas dans cette brouille mais dans une conception radicalement différente de l'artiste, de la chanson et de la solidarité. Alors qu'on loue généralement JJG pour ses quelques interventions millimétrées et son retrait global de la scène publique, JLM objecte que "s'il est vraiment citoyen, s'il a vraiment le coeur à gauche, eh bien il fait deux tournées par an. Moi je le fais devant 80 personnes, lui il le ferait devant beaucoup plus de monde. Et pourrait même redistribuer tous ses cachets".

Il argumente en prenant l'exemple de Bob Dylan : "T'imagines Dylan dire "Bon, bah, j'arrête". Quand tu es musicien tu continues. Ou alors ça veut dire que ce n'était pas ta passion..."

Au fond, JLM souhaiterait que Goldman ne soit plus Goldman et que cette exemplaire singularité, la sienne depuis toujours, même en pleine gloire où il ne s'abandonnait pas comme tant d'autres à une vulgarité et à une lumière indécente, soit battue en brèche. Il l'exigerait traditionnel et ordinaire alors qu'il ne l'est pas.

Chez lui l'authenticité domine. A un certain moment j'avais été tenté de qualifier sa simplicité de fabriquée, d'ostensible mais à l'évidence elle ne l'était pas : cette retenue, cette discrétion, cette pudeur, c'est lui, vraiment.

J'aurais été enclin à accueillir dans mon jardin quelques petites pierres dérisoires venues de JLM mais pour des épisodes strictement personnels. Ils n'auraient eu d'intérêt que pour mon humeur.

Apport capital : il y a chez le sabreur Murat dégradant l'icône Goldman, quoi qu'on pense de l'injustice de l'attaque, l'affirmation d'une valeur positive, démocratique, qui est la caractéristique la plus intéressante de cet artiste aussi singulier dans son genre que JJG l'est dans un autre absolument contrasté: Murat souligne l'apport irremplaçable de "la joute... elle fait partie du fonctionnement démocratique et c'est pour ça que l'on fait des disques, des livres, des articles. Elle ne doit pas être vue comme quelque chose de négatif venant d'une mauvaise personne."

JLM sur ce plan a raison et rejoint ce qui a été à l'origine de la création de ce blog. La liberté d'expression est une denrée trop précieuse pour être économisée. J'admire le silence de Goldman mais je me sens plus proche des interventions fulgurantes et audacieusement spontanées d'un Murat.

Apparemment ils ne sont pas faits pour s'entendre. Quel dommage ! Le monde de la variété française est trop pauvre pour qu'on ne regrette pas la bande à part de ces deux atypiques.

Du sabreur Murat et de l'icône Goldman.


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