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La France, Etat fédéré de l’Europe de la finance

Actualités du droit - Gilles Devers, 16/07/2015

Que c’est beau la démocratie... Toute la presse était hier soir...

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Que c’est beau la démocratie... Toute la presse était hier soir unanime : « C'est à une écrasante majorité de 412 voix contre 69 que l'Assemblée nationale a approuvé mercredi après-midi le troisième plan d'aide à la Grèce, pour permettre son maintien dans la zone euro » (Le Figaro) ; « Le Parlement français donne son feu vert à l'accord sur la Grèce » (Le Point) ; « Le Parlement français approuve l’accord sur la Grèce ».  (Le Monde).

Mes gènes démocratiques en étaient tout ragaillardis. Bien sûr, je ne crois pas une minute au succès de ce plan de folie, injouable, et qui a pour seul objet de mater toute idée de vote populaire indocile. Mais je voyais là enfin, après des semaines de tractations occultes de groupes informels, un vrai vote dans un Parlement. La représentation populaire s’est exprimé, à tort ou à raison, mais ce plan bénéficie du feu vert parlementaire, donc de l’autorisation de la nation.

Rien de plus normal, car tout le monde souligne l’importance de ce plan, qui sauve la Grèce, sauve l’euro et sauve l’Europe. Le Premier ministre était en transe : « Moment historique. La Grèce, c'est l'Europe ». Gouvernement ou Parlement, ils étaient tous là – quasi-lyrique – pour dire le caractère exceptionnel de cet accord.

Mais, l’esprit à la fête, le juriste reste un juriste, et j’ai soulevé le capot de belle auto pour admirer la mécanique. Et là, boum badaboum : ce vote est de l’enfumage total, qui s’incrit dans un naufrage démocratique. Que reste-t-il de la souveraineté des peuples ? 

Ce vote du Parlement est purement décoratif !

Le vote est intervenu en application de l’article 50-1 de la Constitution :« Le gouvernement peut faire, sur un sujet déterminé, une déclaration qui donne lieu à débat et peut, s’il le décide, faire l’objet d’un vote sans engager sa responsabilité ». Ce qui signifie en clair que c’est un vote pour rien, sans aucun contenu juridique. Il ne s’agit pas d’une autorisation, ni d’une décision, ni d’une approbation d’un accord. D’ailleurs, si les parlementaires avaient voté non, cela n’aurait rien changé, la responsabilité du gouvernement n’étant pas engagée. Même salade au Sénat.

Gros coup de blues pour mes gènes démocratiques… Patron, une autre, please…

J’en étais resté à l’article 53 de la Constitution, aux si puissantes vertus démocratiques : « Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'Etat, ceux qui modifient les dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi ». 

Je suis allé boire un coup avec mes potes bac plus 10 en droit constitutionnel, avec option bac plus 10 en droit européen, qui m’ont dit keep cool… Tu parles… Pas cool du tout !

Le mécanisme européen de stabilité (MES)

Le truc, c’est le mécanisme européen de stabilité (MES). Le MES a pour but de « mobiliser des ressources financières et de fournir, sous une stricte conditionnalité adaptée à l'instrument d'assistance financière choisi, un soutien à la stabilité de ses membres qui connaissent ou risquent de connaître de graves problèmes de financement ».

En pratique :

- le but est la stabilité financière de la zone euro et des États membres ;

- lorsqu’un État dans la mouise ne peut plus emprunter à des taux corrects, il fera appel au MES qui empruntera à sa place, en levant des fonds garantis par les dépôts des Etats, 700 milliards d’euros, par des accords passés avec ses membres, des institutions financières ou d'autres tiers, dont le FMI.

- la demande est d’abord analysée par la troïka : FMI, BCE et Commission européenne. Notez que le parlement européen est passé à la trappe.

Un CA gère les affaires courantes, mais les décisions sont prises par le « Conseil des Gouverneurs », qui regroupe les ministres des finances des États membres. Et comme patron, c’est l’Eurogroupe, soit la réunion informelle des ministres des finances, ou des chefs d’Etats de la zone euro.

Cet Eurogroupe met son poids dans la balance pour assurer une coordination des politiques économiques entre des États de la zone euro. Ben oui, pas de monnaie commune si l’on ne conduit pas les mêmes politiques… C’est tout le problème. En mai 2013, ont été adoptés deux règlements - the Two-Pack – qui formalisent les mécanismes de surveillance des Etats.

En France, le Parlement n’a aucune vision des décisions prises par le ministre des finances : il vote une enveloppe, mais n’a aucun pouvoir sur l’utilisation. La France est engagée pour 142,7 milliards d’euros. En Allemagne, les parlementaires exercent ce contrôle.

Ce traité, ratifié par 17 Etats – la zone euro –  est entré en vigueur le 27 septembre 2012.

Par un arrêt du 27 septembre 2012, la Cour de Justice de l’Union européenne a validé le processus, laissant toutefois en suspens quelques effets du principe de « non-renflouement » (TFUE, art. 125) aux termes duquel un Etat ne peut renflouer un autre. De fait, le MES ne prend pas à sa charge la dette de l’État membre bénéficiaire.

Le Conseil constitutionnel a validé le système, au motif que ce mécanisme de contrôle s’inscrivait dans les objectifs de stabilité économique déjà pris (Décision n° 2012-653 DC du 9 août 2012).

Donc tout est juridiquement parfait ? Aaaaah non pas du tout !

Eh bien, si c’est le cas, c’est une catastrophe, et il faut d’urgence changer ces traités et ces lois qui bafouent le principe de souveraineté, en retirant tout pouvoir et tout contrôle aux parlements, et rejettent comme illusoire la solidarité sociale.

Le plus invraisemblable est qu’il n’existe aucun document juridique officiel exposant le plan qui a été adopté. Juste un communiqué. Quel est le contenu précis ? Qui a signé ?

Dans un Etat de droit, tout citoyen peut, seul ou par d’autres procédés, attaquer toute décision faisant grief s’il estime que cette décision est contraire à l’application des principes du droit. Ici, c’est impossible, car cet acte qui engage le destin du peuple grec n’est ni formalisé, ni publié. Nous n'avons droit qu'à un communiqué. C’est sidérant.

Alors, on trouvera un rectificatif avec le Parlement européen ? Rien du tout. Le Parlement a eu droit la semaine dernière à un débat sans vote, général et qui n’a pas porté sur le contenu de cet accord. Et lors des discussions de ce week-end, il y avait beaucoup de monde autour de la table, mais aucune représentation du parlement. C’est un mépris institutionnalisé de la séparation des pouvoirs.

Et alors, que vaut le vote de notre Parlement, qui aurait « approuvé » l’accord ? Il n’a approuvé rien du tout parce que l’accord n’est pas formalisé,… et que son vote ne fait que répondre à une déclaration du gouvernement, et sans aucune responsabilité (Constit., Art. 50-1). De ce que j’ai pu lire, pas un seul parlementaire n’a protesté contre ce vote bidon, le transformant en singe savant…

Franchement, ça me fait flipper. C'est une logique d'Etat fédéré, dans une fédération dominée par la finance européenne. On engage des milliards et on impose à un Etat des contraintes jamais imaginées sans vote parlementaire. On culpabilise les abstentionnistes, mais là c'est de l’abstentionnisme institutionnalisé.  

On commence légalement avec une monnaie unique ; on crée légalement des mécanismes de stabilité, puis des mécanismes de contrôle ; on ajoute légalement des procédés de garantie. Tout ceci est bel et bon, et avec la crise grecque, on voit la violence du procédé qui, par des décisions non publiées et prises à huis clos, sans contrôle parlementaire ni recours judiciaire possible, vient casser un pays.  

La pantalonnade du Parlement français ajoute au désarroi. D’autres pays connaissent un vrai vote, mais si l’Allemagne et la France sont d’accord, il est en pratique quasi-impossible de rejeter l’accord.  

Et ce vote français ?

Il faut envisager un recours contre la décision de passer par le procédé décoratif de l’article 50-1, en évitant l’article 53. Nous devons nous battre pour la démocratie, et savoir engager les vraies batailles.

Sur le plan formel, la France a déjà affecté des fonds au MES, et les fonds sont mis en œuvre par l’exécutif, donc tout va bien. Oui, mais on ne peut se satisfaire de cette approche formelle, alors que le système français est déjà tellement faible, le parlement n’ayant aucune vision de l’affectation des fonds, comme exposé ci-dessus, et que l’ampleur des mesures prises sort d'un simple jeu de garantie.

Lorsque l’on dit d’accord au MES, on dit d’accord à un mécanisme de financement, qui comme tous, suppose de montrer un bon dossier qui inclut les capacités de remboursements. Mais, pas d’histoire, il faut analyser les faits, et nous sommes passés à autre chose.

Cet accord grec a été imposé en ignorant la logique économique, ce que le FMI a souligné par un rapport communiqué dans le cours des discussions. Le premier ministre grec dit qu’il ne croit pas à cet accord, maints avis autorisés dénoncent cet accord anti-économique, et le Premier ministre a même dit à la tribune de l’assemblée qu’il faudrait des abandons de dettes… ce que l’accord écarte ! C'est du n'importe quoi.

De plus, l’accord a instauré des mécanismes de tutelle, dans des termes qu’on ne peut pas lier à de simples mécanismes de garantie. C’est là que l’analyse bascule :

- l’accord considère nulles des mesures prises par le gouvernement Tsipras car elles contreviennent à des choix faits par les précédents gouvernements avec accord avec l’Eurogroupe ;

- il oblige le gouvernement grec à soumettre à l’Eurogroupe les projets de lois, qui ne seront acceptés que s’ils sont jugés conformes au plan ;

- il crée des mécanismes de coupes budgétaires automatiques si les objectifs financiers ne sont pas considérés comme tenus ;

- il supprime la souveraineté budgétaire, obligeant l’Etat grec à voter un budget excédentaire de 3% après le service des intérêts de la dette, dès 2017 ;

- il livre les plus beaux actifs du pays aux rapaces de la finance, en imposant 50 milliards de privatisation, et les fonds obtenus seront gérés par l’Eurogroupe.

Ce qu’on a sous nos yeux, c’est un organisme informel qui par une décision secrète prise à huis clos, sans contrôle parlementaire ou judiciaire, crée de toute pièce un mécanisme « d’organisation internationale », ce selon la formule de l’article 53.

Pour conclure, il faut savoir introduire la politique dans le droit, lorsqu’il s’agit de l’avenir de la démocratie. A l’évidence, la question n’est pas la Grèce. La Grèce n’est qu’un prétexte. Les patrons de la finance européenne ont voulu éradiquer l’idée de gauche sociale et solidaire en Europe, et tant pis pour le peuple grec, l’essentiel étant que tout le monde comprenne que c’est l’argent qui dirige.

Tsipras, qui n’avait rien à proposer, a pris une responsabilité écrasante en organisant ce référendum, qui a été une aubaine pour les requins de la finance. Hollande a joué le rôle parfait de l’idiot utile en amenant la gauche institutionnelle à se coucher. La finance se choisit une opposition de rêve, avec les groupes d’extrême-droite. Et demain, on nous demandera de manifester notre soutien aux banques, pour faire barrage à cette extrême droite.

Tout ceci est la matière profonde de l’accord. Les parlementaires sont marginalisés et ne s’en plaignent pas. Dans ce tableau à pleurer, le recours au juge reste la meilleure piste. Alors que tout acte public est soumis au contrôle la légalité, ce jusqu'au règlement intérieur d’une école, comment admettre que de telles décisions puissent échapper au contrôle du juge, au regard de ce qui fait notre droit et notre histoire ?   

Ça, c'est une histoire de civilisation.


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