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La France, médaille d'or du chauvinisme ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 16/08/2014

Cette médaille d'or qui viendrait couronner le pire médiatique et sportif, qu'on la laisse à d'autres !

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Un blog qui se félicite d'être sous l'égide de la liberté d'expression ne remplirait pas son rôle s'il n'abordait pas parfois des sujets à très haut risque.

Le paradoxe - je m'en suis rendu compte, notamment pour mon post sur " le PSG à la sauce qatar " - est que le danger réside beaucoup moins dans les domaines politique, social et culturel que dans le traitement de thèmes sportifs.

De surcroît, on dénie toute légitimité "au sportif en chambre" pour proposer une réflexion ou dénoncer des comportements dans cette sphère où la France adore les cocoricos triomphalistes quand elle gagne ou rétrospectifs quand elle perd.

Pourtant il me semble que la soirée du 14 août à Zurich, pour les championnats d'Europe d'athlétisme, aurait mérité des commentaires et des analyses plus distanciés que ceux frénétiques de partialité dont Patrick Montel, en particulier, nous a abreuvés malgré la présence à ses côtés de l'impeccable et équilibré Stéphane Diagana (France 2). Comme manquait en cette dispute le pondéré et objectif Bernard Faure qui a décidé de ne pas faire une saison de trop !

Le comble est que les années précédentes, Montel m'avait bien plu avec un enthousiasme qui ne torturait pas trop la langue française et sa simplicité chaleureuse. Mais je ne sais quelle mouche nationaliste l'a piqué, quand il s'est mis à vitupérer la disqualification de Mahiedine Mekhissi qui avait remporté haut le pied la finale du 3000 mètres steeple, il est tombé dans une vulgarité chauvine qui s'acharnait à ne rien comprendre en en faisant preuve d'une extrême indulgence à l'égard de notre vainqueur provisoire et en dénonçant l'attitude espagnole pourtant admissible puisqu'elle avait un intérêt à agir avec la possibilité d'ailleurs advenue d'une médaille de bronze.

Patrick Montel, il est vrai, pour cet épisode à la fois glorieux et lamentable n'a pas été loin de refléter, dans son propos choquant et partial, une habitude française qui consiste à accabler le règlement au lieu de s'en prendre à celui qui l'a violé par pure bêtise et gratuité.

Qu'à partir du carton jaune et du recours espagnol, il y ait eu des manoeuvres, voire des abus, peut-être. Mais pourquoi obstinément refuser de considérer la faute initiale, le professionnalisme défaillant de celui qui pourtant, sur la piste, avait dominé mais, tout seul, avait détruit sa victoire par un geste absurde et inconséquent?

Quelle aberration a pu pousser Mekhissi à enlever son maillot, à le porter à la bouche, à le tenir en main quelque 20 mètres avant le franchissement de la ligne d'arrivée en attirant l'attention sur lui au point de nous faire oublier le formidable emballage final du français Joann Kowal qui allait bénéficier d'une médaille d'or par substitution et élégamment rendre hommage à Mekhissi sur le podium ?

Comme c'était prévisible, tous, les officiels comme les journalistes, allaient déverser leur point de vue unique : la France disqualifiée injustement et victime, l'Espagne mauvaise sportive et Mekhissi un original qui aurait dû juste pâtir d'un petit avertissement.

Il faut en revenir à ce dernier dont on a souligné parfois le comportement atypique, qui en tout cas avec cette arrogante décontraction avant l'heure a subtilement ou ostensiblement méprisé ses adversaires - ils le lui ont vertement reprocher à l'arrivée - et s'est vu cependant plaint et célébré comme s'il n'était pour rien dans cette déconfiture tellement évitable si la normalité avait été reine !

Alors, pour se consoler, on évoque "un coup de génie" (lemonde.fr), de la poésie, de la fantaisie, la rançon d'une joie démesurée et incontrôlée - tout ce qui trop souvent constitue la France dans beaucoup de ses incarnations comme un pays qui plaît, qui amuse, qui surprend ou désarçonne, qui gagne parfois mais perd en définitive. Certes aucun Allemand ou Britannique n'aurait commis une telle imprudence, une telle provocation et ils se seraient passés d'une improvisation aussi immature !

Mekhissi est un formidable champion et le 17 août il sera peut-être victorieux à l'issue du 1500 mètres. Il n'en demeure pas moins que l'image farfelue, incongrue, un tantinet vaniteuse qu'il a donnée est trop révélatrice d'une tendances de notre pays pour qu'on ne s'en préoccupe pas.

Quand on a écouté Pierre-Ambroise Bosse, jeune et brillant spécialiste du 800 mètres, et le talentueux mais trop sûr de lui Pascal Martinot-Lagarde, on n'est pas étonné qu'à Zurich ils n'aient pas été, l'un et l'autre, à la hauteur de l'encens médiatique déversé sur eux. En France, trop souvent, on est considéré comme le meilleur avant même la compétition et on s'afflige que celle-ci ne tienne pas compte de nos désirs patriotiques.

Sans doute n'est-ce pas seulement la faute de nos athlètes mais de notre espace sportif qui, n'étant pas surabondant en vedettes, fait que les rares indiscutables dont nous disposons sont excessivement célébrées et se retrouvent parfois face aux réalités frustrantes du terrain ? Les nerfs d'acier qu'il convient d'avoir pour résister à la gloire abstraite et anticipée en se concentrant seulement sur les objectifs sportifs qui seuls assurent et valident une réputation quand ils sont atteints : on ne trouve pas à foison des Renaud Lavillenie !

Il n'empêche que ces joutes européennes n'ont pas été marquées que par des moments irritants ou décevants. Il y a eu de très belles attitudes humaines, qu'elles aient suivi ou non l'obtention d'une médaille d'or.

La dignité heureuse et retenue de Benjamin Compaoré aux côtés de sa compagne Christine Arron et de leur petite fille Cassandre, le triomphe éclatant mais exprimé avec délicatesse et pudeur de Johann Diniz, le sourire magnifique puis les larmes, l'émotion de Myriam Soumaré, la force de caractère de Cindy Billaud d'abord affreusement déçue puis sachant refouler, avec allure, son chagrin pour honorer sa médaille d'argent, la personnalité attachante et chaleureuse d'Antoinette Nana Djimou, la classe de Christophe Lemaitre deux fois deuxième, ne se cherchant aucune excuse, rendant hommage à ses vainqueurs et tendu vers le relais, l'allégresse fraîche comme à la première victoire de Renaud Lavillenie.

Ce sont des natures exceptionnelles, des succès qui ne méprisent pas, des défaites qui n'humilient pas.

Ils n'appellent pas plus le chauvinisme que la réussite de Mekhissi, obérée par sa faute.

Cette médaille d'or qui viendrait couronner le pire médiatique et sportif, qu'on la laisse à d'autres !


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