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A chaque fois ni tout à fait le même ni tout à fait un autre...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 19/01/2019

Malgré les débuts éclatants du grand débat national, ce sera seulement sur sa réponse exemplaire à cette double interrogation qu'il pourra sauver son quinquennat d'un enlisement que son orgueil refuserait et qui révolterait les citoyens, cette fois sans rattrapage ni recours ! Rien ne sera facile puisque le président a aussi affirmé cette évidence "qu'avoir un projet ce n'est pas faire droit à toutes les demandes ". Alors, bon courage à la France !

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Six heures trente à Souillac dans le Lot face à six cents édiles.

Je ne vais pas reprocher au président de la République de n'avoir pas atteint les sept heures, durée de son premier rendez-vous avec les maires (Mon billet "Emmanuel Macron: star d'hier et de demain ?").

Nous avons délocalisé l'émission "Les Vraies Voix" de Sud Radio, d'abord le 17 à Toulouse puis à Souillac le lendemain. Nous avons eu les deux fois, comme invités, notamment des maires, des Gilets jaunes, un restaurateur, un menuisier, une artiste, des artisans de la région. De manière très pragmatique, la ruralité dans sa quotidienneté nous a été décrite. Sa beauté, ses difficultés, ses manques, sa solitude à cause de la disparition des services publics dans un département qui n'est pourtant pas le plus déshérité de France.

Les conclusions qui pouvaient être tirées de ces échanges multiples mettaient en évidence d'une part la nécessité de la volonté d'entreprendre, de l'énergie personnelle - compter sur soi avant d'attendre tout de l'Etat - mais aussi d'autre part la réalité de blocages, d'absences de réponses, de lourdeurs structurelles contre lesquels les bonnes volontés étaient trop souvent impuissantes.

Le président de la République a recommencé son "show" devant les maires présents en masse pour lui faire part de leurs doléances, le questionner et l'écouter. Dans la forme, aucune différence sensible avec sa première intervention. Les interrogations ne l'ont pas ménagé. Certains édiles n'ont pas hésité à mettre en cause son comportement et la stigmatisation qui résultait, selon eux, de quelques-uns de ses propos. Le climat, pourtant, n'a jamais été altéré comme si tout de même on était entre gens du même monde politique malgré la disparité des conditions.

Je continue à penser que notre président n'est pas véritablement un orateur mais qu'il est en revanche très doué pour ces moments d'explication, de pédagogie et de partage qu'il est capable de faire durer sans se fatiguer et sans lasser. Un verbe de lien, de proximité plus que tribunitien.

Pourtant, soudain, malgré la qualité de ce temps démocratique, il m'a semblé qu'il manquait quelque chose ou quelqu'un. Il y avait la vérité des maires, les réponses du président. Sans démagogie, j'ai regretté que dans cet aréopage on n'ait pas envisagé la présence de Gilets jaunes. Certains de ceux que nous avons rencontrés y auraient eu leur place et sans doute en exprimant plus simplement, sur un mode moins classique, ce qu'ils avaient sur le coeur, leurs réclamations. Il n'y aurait rien eu dans ce brassage qui aurait offensé la République et enfin le président aurait pu faire face à ceux qui l'avaient contraint à ce grand débat national.

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Emmanuel Macron va devoir réfléchir, pour l'avenir, à la mise en oeuvre d'un processus de dialogue qui ne sera pas pure répétition des deux précédents. Ni tout à fait le même ni tout à fait un autre.

A conserver la même structure, il y aurait comme un risque de monotonie, la magie serait éventée et on qualifierait vite de procédé ce qui d'abord avait séduit par sa fraîcheur et sa nouveauté. Parce que les questions demeureraient les mêmes dans l'ensemble et ses répliques forcément aussi.

A tout changer, il perdrait l'essence si singulière de ce tour de France qui met le président dans une sorte de joute esprits contre esprit, amertumes, colères et revendications contre apaisement et engagements renouvelés. On n'est plus dans le cadre de voyages officiels mais sur le registre d'un affrontement où s'oppose un désir de reconquête à une parole plurielle déçue, critique, amère et revendicative.

Le président devra inventer, surprendre, ne pas laisser retomber l'excitation démocratique. Comme avant-hier et hier mais à chaque fois autrement.

Qu'il prenne garde à ce que ce grand débat national n'accouche pas d'une souris politique. Ce sera d'autant plus à éviter que le président a, semble-t-il, déjà officieusement exprimé sa méfiance à l'égard, par exemple, du RIC qui reste la principale exigence des Gilets jaunes et n'est pas désapprouvée dans son principe par tous les politiques.

Il ne suffira pas de la probable adaptation ou relégation du 80 km/h pour combler des attentes énervées. Cela fait plus de huit semaines que la France est en ébullition, que les GJ continuent, moins nombreux certes, à se mobiliser, que le commerce est en chute libre et que les pays étrangers sont stupéfaits. Cette crise sans précédent doit aboutir à des solutions originales.

Je reviens à l'équivoque finale de sa lettre aux Français.

Aura-t-il d'abord le courage, dans la pluralité qui sera posée sur la table démocratique, de choisir vraiment l'essentiel, et non pas seulement les mesures les moins perturbantes pour son pouvoir ?

Saura-t-il ensuite tirer rapidement toutes les conséquences politiques d'une sélection honnête et lucide ?

Malgré les débuts éclatants du grand débat national, ce sera seulement sur sa réponse exemplaire à cette double interrogation qu'il pourra sauver son quinquennat d'un enlisement que son orgueil refuserait et qui révolterait les citoyens, cette fois sans rattrapage ni recours !

Rien ne sera facile puisque le président a aussi affirmé cette évidence "qu'avoir un projet ce n'est pas faire droit à toutes les demandes".

Alors, bon courage à la France !


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