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La parole privée

Justice au singulier - philippe.bilger, 16/01/2014

A cause du lien inévitable entre d'un côté les séquences intimes, une fois connues au mieux pitoyables, au pire accablantes, et de l'autre l'apparence de gravité et de componction présidentielles, le président non seulement n'aurait pas dû refuser le questionnement sur ce plan mais au contraire d'initiative l'aborder.

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Personne ne discute, à gauche et à droite, le fait que le président de la République a techniquement bien réussi l'exercice de sa conférence de presse (Le Monde).

Il s'est affiché clairement social-démocrate et seul Ivan Levaï n'avait pas compris.

Tournant, virage, infléchissement ? Je ne sais.

Acceptons l'augure pour la France qu'il ne s'agit pas seulement d'un changement de façade et d'une nouvelle mouture socialiste déguisée en réalisme. Attendons de voir les effets de ce pacte de responsabilité.

Tout de même j'ai été choqué de constater avec quel mélange de gravité et de désinvolture le président de la République a refusé de répondre aux questions sur sa vie privée et sur le vaudeville récent l'ayant à la fois affectée et révélée. Certes, il a accepté de nous indiquer que Valérie Trierweiler "se reposait" et on devine bien qu'elle en avait besoin à la suite du choc sans doute subi.

Le président s'est contenté d'un laconique "les affaires privées doivent se régler en privé".

Ce n'est pas si simple. ou trop facile.

Les affaires privées se règlent en privé, soit, sauf quand elles deviennent publiques. La question n'était pas de connaître les détails de ces péripéties amoureuses mais d'interpeller le président sur leur incidence probable sur la fonction présidentielle et en tout cas sa représentation en France et à l'étranger. Il n'y aurait rien eu de choquant à exercer un droit de suite et à confronter François Hollande à sa conception de la démocratie.

Cette manière de renvoyer l'éclaircissement à plus tard m'a semblé refléter une dignité, mais fausse, pour dissimuler un embarras considérable.

Je regrette d'autant plus cette abstention dilatoire que dès la publication de Closer, il n'est plus personne - et c'est un progrès - qui ait soutenu sans nuance que le privé et le public, pour un président, était radicalement séparés et séparables. Sauf Alain Juppé qui s'est fait une spécialité des formules décisives et roides mais, à bien les examiner, en général assez fausses. Le péremptoire a ses limites.

Nicolas Sarkozy, sur ce qui est advenu rue du Cirque au détriment de François Hollande, a, en spécialiste, pointé l'effet dévastateur du ridicule sur la pratique présidentielle (Le Parisien).

A cause de ce lien inévitable entre d'un côté les séquences intimes, une fois connues au mieux pitoyables, au pire accablantes, et de l'autre l'apparence de gravité et de componction présidentielles, le président non seulement n'aurait pas dû refuser le questionnement sur ce plan mais au contraire d'initiative l'aborder.

Nicolas Domenach a bien tenté de forcer le passage mais rien n'y a fait. Il aurait fallu un journaliste encore plus pugnace voire grossier pour obliger le président à percevoir la difficulté tenant au contraste entre ce qui a été dévoilé et l'honneur qu'on lui a fait en l'élisant.

C'était une échappatoire, une fuite.

Il a privé de parole les journalistes, il les a exclus avec maestria de sa parole privée dont bientôt il nous donnera les conséquences. Il y a de la condescendance là-dedans. Pas républicain vraiment derrière l'allure superficielle !

Julie Gayet ne sera pas nommée dans le jury de la Villa Médicis. Aurélie Filippetti l'a confirmé. Quand on a annoncé le contraire (Le Canard enchaîné) au soir de la conférence de presse, j'étais effondré, craignant le retour des nominations propres au précédent quinquennat. "Tu es mon ami, je te nomme". Un ouf de soulagement démocratique. Mais que se serait-il passé si les photos n'étaient pas sorties ?

Alors qu'on a consenti aisément au président le droit de ne pas s'expliquer sur la conception qu'il a de sa fonction, on fait un Himalaya, en revanche, de broutilles, de propos dérisoires, de plaisanteries peut-être douteuses mais pas gravissimes. Il me semble qu'on a perdu le sens commun et qu'on va de plus en plus nous obliger à nous cantonner dans une parole strictement, étroitement privée faute de quoi, pour peu que nous soyons même vaguement insérés dans l'espace public avec un zeste de notoriété ou de responsabilité, on payera cher certaines audaces de langage, une forme d'ironie, des sarcasmes sans cruauté, la moindre référence à d'autres moins favorisés, modestes, chômeurs, handicapés, malades ou autres.

Un proche de NKM a laissé sortir de sa bouche que le dissident Charles Beigbeder était entouré "de bras cassés, le quota Cotorep de la campagne".

A gauche, plusieurs voix indignées. L'indignation est leur nourriture spirituelle.

Pénélope Komitès, membre de l'équipe de campagne de la candidate PS à la mairie de Paris, a publié un communiqué ou elle évoque - sans rire, je le crains - "le mépris inouï que cette équipe porte aux personnes en situation de handicap".

NKM n'a pas eu d'autre solution que de condamner ces propos.

Cette exacerbation faisant de presque rien un scandale parisien, quasi national est grotesque.

On sait tous ce qu'est le handicap et la Cotorep, on compatit mais cela ne devrait pas signifier qu'on ne peut pas s'autoriser des saillies, des boutades, des provocations, des vérités. Avec cet humanisme politiquement correct, on va vers la catastrophe. Une pensée, un écrit, une parole politique ou autre accepteraient leur tiédeur, voire leur insignifiance si en permanence, même dans le débat, la controverse, la polémique, ils étaient tenus à un implacable sérieux, une insupportable gravité. Une censure intime permanente. Sauf à soutenir que la parole n'est pas faite véritablement pour exprimer mais pour affadir, diluer, noyer le vif dans l'ennuyeux.

On peut avoir du coeur pour les handicapés et faire aussi de l'esprit sur telle ou telle catégorie de citoyens.

Ce n'est plus une République de bon sens et de rectitude que cette société et cet Etat où le président se donne licence de ne pas répondre à l'essentiel et où on s'émeut au-delà de tout pour une boutade sans conséquence.

Où est l'erreur ?


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