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La famille imposée

Justice au singulier - philippe.bilger, 22/05/2014

On n'a pas besoin, on n'a pas envie d'une famille imposée parce que l'Etat, à notre place, aurait une certaine image d'elle.

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La famille décomposée, recomposée.

Ou la famille imposée, avec la proposition de loi relative à l'autorité parentale et à l'intérêt de l'enfant.

Tout est parti avec une vision partielle de l'émission C dans l'air sur ce sujet où, malgré le bon sens d'Yves Calvi, de manière surprenante les quatre invités, chacun avec une cause à défendre, se rejoignaient pour approuver l'esprit de ce qui vient pourtant d'être reporté à l'Assemblée nationale grâce à l'UMP - mais avec la menace d'un vote avant la coupure de l'été !

Le plus irritant : le sociologue François de Singly qui me semblait taper à coups de marteau péremptoires sur une matière infiniment sensible (France 5, lefigaro.fr, le Monde).

Sur un plan général, je ne peux m'empêcher de constater que ce pouvoir a la volonté, éprouve la volupté d'accompagner et d'encadrer les délitements plutôt que de raffermir les stabilités, de se pencher sur les exceptions au lieu de solidifier les règles.

La prise en considération de l'intérêt de l'enfant - à supposer que l'inspiration principale de cette proposition n'ait pas été de répondre à des associations de pères dont quelques-uns avaient banalisé les grues -, aussi estimable qu'apparaisse cette démarche, me semble peu compatible avec un processus étatique. De quoi se mêle donc le pouvoir à prétendre sans cesse manifester son emprise sur ce qui ne relève pas naturellement de sa mission ? Il est un intrus plus qu'un auxiliaire.

Cette immixtion, au lieu de créer de l'apaisement, aboutit à une conséquence radicalement inverse : elle met de l'aigreur et de la frustration là où, dans la plupart des familles, quelle que soit leur configuration, les rapports des enfants avec leur père et leur mère étaient fondés sur les évidents enseignements de la vie affective plus que sur une émulation discutable et à force perverse entre l'un ou l'autre.

La quotidienneté démontre ce que les études juridiques et psychologiques attestent dans leur grande majorité : "la personne la plus sécurisante pour l'enfant petit est le plus souvent la mère" et le fait que "le père et la mère proposent des relations de nature complémentaire, mais non interchangeables".

L'obsession de l'égalité des droits, à partir d'un terreau physiologique et humain divisé, aboutit à négliger ce qui est bien plus fondamental : les différences ne sont pas des inégalités et il n'est pas souhaitable, pour imposer une homogénéité abstraite, de recourir à la loi, contre la normalité des structures familiales où le père et la mère, qu'ils demeurent ensemble ou soient séparés, s'inventent bien tout seuls ce que le coeur, les réalités, les rôles et les statuts leur dictent.

Si des problèmes existent parfois, non seulement ils ne seront pas réglés par l'obligation d'une résidence alternée mais aggravés pour les enfants jusqu'à six ans dont les conditions d'existence, de proximité, de structuration impliquent, d'abord, le point fixe maternel.

Qui peut être assez bête, assez susceptible pour se plaindre de cette certitude que chaque jour et chaque naissance apprennent en y voyant une perte de pouvoir, un défaut d'amour et une choquante déperdition ? La plupart des pères échappant à cette aberration du sentiment et de l'esprit, était-il vraiment nécessaire qu'une proposition de loi vînt perturber ces univers intimes en suscitant, par sa seule formulation, le fantasme de malaises et de dysfonctionnements qui, avérés, seraient du ressort de la justice plus que du législateur ?

Il y a tout de même de la part de ce pouvoir une frénésie de bonne conscience totalitaire à se préoccuper ainsi de ce dont on ne l'a pas chargé et à mettre sa patte sur un royaume auquel la République doit demeurer étranger : celui de nos liens avec nos enfants et de notre liberté à en rester les maîtres.

On n'a pas besoin, on n'a pas envie d'une famille imposée parce que l'Etat, à notre place, aurait une certaine image d'elle.


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