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Derrière les mutilations sexuelles sur l’enfant, les rapports du laïc et du religieux (478)

Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 7/07/2012

Le tribunal de grande instance de Cologne a fait sensation le 26 juin dernier en estimant illégale la pratique de la circoncision pour des raisons religieuses. Pour les juges la circoncision est un délit pénal dans la mesure où il … Continuer la lecture

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Le tribunal de grande instance de Cologne a fait sensation le 26 juin dernier en estimant illégale la pratique de la circoncision pour des raisons religieuses. Pour les juges la circoncision est un délit pénal dans la mesure où il s’agit d’une atteinte à l’intégrité physique de l’enfant  qui « modifie durablement et de manière irréparable le corps d'un enfant ». En l’espèce, en 2010, un médecin généraliste avait circoncis un enfant de 4 ans à la demande de ses parents musulmans qui entendaient répondre à des prescriptions religieuses. Le tribunal est clair : «Le droit d'un enfant à son intégrité physique prime sur le droit des parents».

Et d’ajouter que les droits des parents en matière d'éducation et de liberté religieuse ne sont pas bafoués s'ils attendent que l'enfant soit en mesure de décider d'une circoncision comme "signe visible d'appartenance à l'islam", poursuit le tribunal. « Tout individu devenu majeur peut décider par lui même de son appartenance religieuse « . Voire avant sa majorité, dès qu’il a le discernement, ajouterai-je !

Ce jugement a fait l’effet d’un coup de tonnerre tant en Allemagne qu’en Turquie. Les représentants des communautés juives et musulmanes y ont vu une atteinte majeure à la liberté religieuse.

Pour Dieter Graumann, président du Conseil central des juifs en Allemagne, il s'agit d'«une intervention gravissime et sans précédent dans les prérogatives des communautés religieuses». Et de demander l'intervention des députés pour légiférer. De même le Conseil des musulmans en Allemagne voit dans ce jugement une « atteinte éclatante et inadmissible au droit à l'autodétermination et au droit des parents ». Déjà des membres de la communauté des Turcs d’Allemagne, à laquelle appartient une très grande majorité des musulmans vivant dans le pays, annoncent un « tourisme de la circoncision ».

Les autres religions tiennent le jugement pour «extrêmement étonnant « (sic). Les Sociétés pour la coopération entre juifs et chrétiens estiment que «criminaliser» la circoncision revient «fondamentalement à ne pas souhaiter qu'il y ait une vie juive en Allemagne». Pas moins ! L'Eglise protestante d'Allemagne insiste elle aussi sur la liberté religieuse.

Presque toutes les prises de parole politiques vont dans le même sens. Même les autorités turques ont réagi. Egemen Bagis, ministre turc chargé des affaires européennes tient la décision pour «inacceptable».

Parmi les rares réactions positives, l'association de protection des enfants du Bade-Wurtemberg fait remarquer, à raison, que ce jugement est «conforme à la convention de l'ONU sur le droit des enfants ».

Et un homme s’est réjouit publiquement en Allemagne de ce jugement : Holm Putzke, enseignant de droit pénal à Passau (Bavière) auteur en 2008 de plusieurs articles sur « la pénalisation de la circoncision qui semblent avoir inspiré le tribunal de Cologne. Il ne s’agit pas tant pour ce juriste de poursuivre et de condamner les médecins voire les parents -  « après la tempête de réactions que va provoquer ce jugement, les procureurs vont dans un premier temps s'abstenir d'engager des poursuites - mais, sur la durée de gagner le débat des idées. « La circoncision comme de nombreuses autres atteintes à l’intégrité physique des enfants ne sont justifiées que par le souci de marquer dans le corps de l’enfant la conviction des adultes. »

Je ne peux qu’approuver cette analyse minoritaire condamnant la circoncision religieuse pratiquée sur un mineur d’âge sans son accord puisqu’elle est mienne depuis une vingtaine d’années. Elle part du raisonnement que la loi de la République l’emporte sur celle de la religion ou celle de Freud ! Or la République à travers son code pénal ne tolère pas que l’on porte atteinte à l’intégrité physique d’une personne de manière permanente pour des raisons autres que médicales. Point à la ligne ! J’entends que le propos peut choquer, mais la République française tolère le religieux dans la mesure ou celui-ci se soumet au cadre institutionnel laïc.

Le débat autour de la circoncision sur des bases religieuses n’est pas d’aujourd’hui. Je m’étais risqué à le mettre sur le tapis devant 300 rabbins dans un débat sur la future la convention de New York intitulé « Du Sinai à Genève ; de l’amour au droit » avec le Grand Rabin de France. Quand le Grand Rabbin Sitruk développait qu’avant tout un enfant juif était d’abord juif – et que la place de la femme juive était à la maison - j’avançais, es qualité de directeur de l’Institut de l’enfance et de la famille, établissement public sous tutelle des affaires sociales, qu’en vérité avant d’être juif, cet enfant était français et¨, j’ajouterai aujourd’hui, qu’avant d’être musulman, un musulman de France est français.

On a régulièrement le débat sur l’excision, j’y reviendrai, et on oublie à nos portes la question de la circoncision. Elle a été relancée - discrètement, recherche du consensus oblige - avec les débats qui ont entouré l’adoption de la Convention internationale sur les droits de l’enfant en 1989. En 2010, la première dans l'histoire, l'Association médicale royale hollandaise a pris une position catégorique contre la circoncision non-thérapeutique qui, sans nécessité et aux prix de complications parfois sérieuses, viole le droit de l'enfant à l'intégrité physique, la dignité et l'autonomie (1).

Ce débat est intéressant en ce qu’il dévoile bien ceux qui se situent fondamentalement - au sens fort du terme -  du côté du droit des enfants quand, tant de prétendus militants de la cause des enfants posent comme limite que ces droits ne viennent pas porter atteinte aux intérêts des adultes. C’est, par exemple, l’attitude des partisans de l’accouchement sous « X » au nom du droit des femmes de nier le lien qui les unit à l’enfant. Pour ceux-là, le droit de la femme à son secret l’emporterait sur le droit de l’enfant à son histoire quand la filiation d’un enfant lui appartient autant qu’à ses parents !

S’agissant des mutilations sexuelles il s’agit pour les mêmes de bien marquer que le droit des enfants doit somme toute céder devant la culture religieuse du groupe familial ou de la communauté.

A en croire l’UNICEF « plus de 70 millions de filles et de femmes ont subi des mutilations génitales dans 28 pays d'Afrique, plus le Yémen ». Bien évidemment il faut prendre ce chiffre pour un ordre de grandeur, comme le révélateur de l‘ampleur d’une pratique qui perdure malgré les résistances qui se font jour, non seulement dans les pays dits occidentaux, mais également en Afrique.

En majorité, sinon unanimement, les Etats, la condamne désormais. Pour autant elle a la vie dure. Régulièrement certains lui donnent une légitimité religieuse. Le Coran là encore à bon dos. Fort heureusement une autre lecture des textes s’impose qui n’autorise pas l’excision. Des prises de position de dignitaires religieux apportent ici de l’eau à mon moulin.

L’excision est une véritable amputation de la femme avec le souci de l’empêcher de jouir, ce plaisir devant être réservé à l’homme. Et c’est réussi. Les femmes qui ont vécu cette atteinte criminelle la supportent de moins en moins et dénoncent cette agression. Mieux elles entendent retrouver leur intégrité corporelle et fort heureusement la technique médicale le leur permet. Il faut s’en réjouir pour elles. Reste que ce n’est pas une mince affaire pour chacune, notamment sur le plan psychologique, sinon physique, que de suivre ce parcours pour retrouver leur compétence; d’autant qu’il leur faut déjà affronter leur famille. Elles font souvent le choix de ne rien lui dire de cette reconstruction. Viendra surement le temps où elles oseront mener le combat ouvertement. On doit le souhaiter.

En tout cas, la génération précédente a su se rebeller et porter plainte pour les violences subies ou demander de l’aide pour éviter d’être excisées. La justice française a su les aider dans les années 90 à travers des procès symboliques à fort retentissement médiatiques tant ici qu’en Afrique. Des exciseuses ont été condamnées, des parents parfois, à des peines tournant autour de 5-6 ans de prison dont une partie ferme.

Il est souhaitable que ceux qui pratiquent ce crime à l’étranger, le laissent faire, voire incitent soient punis en France comme c’est le cas en matière de violences sexuelles, qu’ils soient français ou étrangers. L’ordre public français et l’ordre public international l’exige plus que jamais au nom des droits humains.

Ces procès d’assises, par l’écho donné aux débats et aux condamnations, ont surement contribué à affirmer l’interdit. Bien évidemment ils n’ont pas suffi à eux seuls à empêcher de nouveaux passages à l’acte, mais ils s’imposaient. Ils ont relayé la résistance en Afrique et contribué à notablement éradiquer le phénomène en France. Le jugement de Cologne peut y contribuer aussi.

D’autant que l’imagination humaine est fertile pour asseoir la domination des hommes sur les femmes, des adultes sur les enfants ou du groupe sur l’individu. On étire le cou, on compresse les pieds, on introduit des objets dans le vagin, on excise ou on circoncit, etc.. Bref, on marque profondément ou d’une manière indélébile le corps de l’autre, spécialement des enfants, pour bien montrer qu’il ne lui appartient pas.

Désormais, pour la communauté internationale ce n’est pas la religion qui doit faire la loi, mais les normes juridiques adoptées en commun. La Convention internationale sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989 interdit, avec le langage diplomatique qui s’imposait malheureusement, les atteintes à l’intégrité physique d’un enfant qui ne soient pas justifiées par des raisons médicales.

« Article 24

3. Les Etats parties prennent toutes les mesures efficaces appropriées en vue d'abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants. »

A destination de ceux qui pourraient pu être choqués que j’ai inclus la circoncision dans la liste des mutilations sexuelles condamnables, je préciserai que je n’ignore pas que les conséquences sur le plan de la sexualité sont d’évidence différentes. De même il est acquis que la circoncision a pu s’imposer dans le passé ou peut encore être nécessaire pour des raisons médicales, mais désormais elle est rarement justifiée par la Faculté, dans sa pratique, elle répond bien au souci des parents de « marquer » religieusement leur enfant. En vérité, elle ne répond pas aux besoins de l’enfant, mais je le répète à l’intérêt bien compris des adultes  ce que condamne la Convention.

Volontairement je ne m’attacherai pas aux débats philosophiques, religieux ou anthropologiques sur ces mutilations. Je m’en tiens au droit international et national.

Il est donc temps, comme nous y invite le jugement de Cologne, d’avoir un débat public sur l’ensemble des mutilations sexuelles, et bien sûr sur la circoncision ce sujet pour ne pas balayer que devant la porte des autres. On devrait même l’avoir avant qu’une décision de justice vienne l’imposer en France.

On verra alors comment le corps social entend respecter pleinement l’article 14 de la CIDE qui reconnait le droit de tout enfant à avoir (ou ne pas avoir des convictions religieuses). En effet, par-delà les mutilations sexuelles , est posée la question de la réelle liberté de choix des individus quant à leur appartenance religieuse. Les parents ont le droit de guider les enfants (alinéa 2) , mais la liberté de religion des enfants est première (al. 1) Nul doute que la coalition des religions obligera à une l’argumentation laïque forte.

 PS Pour les lecteurs en passe de réagir dans un sens ou dans l’autre : j’appelle à ce qu’on argumente ; on n’invective pas. On ne perd pas son sang froid sur un sujet vieux comme le monde. Tolérance et zénitude !

(1) Mutilations sexuelles et ordre moral, problématique et concepts de base de la lutte contre les mutilations sexuelles

 

 

 


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