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La France veut-elle importer une guerre de religion ?

Actualités du droit - Gilles Devers, 2/09/2013

La guerre en Syrie est devenue une guerre de religion, entre sunnites et...

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La guerre en Syrie est devenue une guerre de religion, entre sunnites et chiites, fondée sur de lourds antagonismes et alimentée par des enjeux géostratégiques assez essentiels. Mettre un pied dans cette fournaise, c’est la certitude d’être happé par ce conflit infra-musulman.  

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La population de la Syrie, 23 millions d’habitants, est majoritairement sunnite, à 70 %, et compte plusieurs minorités : les alaouites, proches des chiites, les chrétiens, les kurdes, proches des sunnites, et moins nombreux les druzes et les ismaéliens.  

Les alaouites sont estimés à deux millions. Pendant longtemps ils ont connus un fonctionnement assez autonome, et la France, qui exerçait le mandat sur la Syrie après la fin de l’Empire ottoman (1917-1947), avait voulu protéger cette minorité pauvre et rurale, pour en faire une alliée, mais en réaction à ce colonialisme rampant, les alaouites se sont rapprochés des communautés musulmanes.

La nouvelle étape a été politique, avec en 1963 la victoire du parti Baas, qui regroupait les minorités alaouite, druze et ismaélienne, et exerçait un pouvoir laïc. En 1971, Hafez Al Assad, un alaouite, a accédé au pouvoir, et a commencé à placer ses hommes à tous les postes. Une minorité gouverne le pays, et les tensions s’installent. L’armée est partout, tient tout et contrôle tout, mais la société syrienne vit. C’est un fait.

Le grand basculement est l’invasion étatsunienne de l’Irak en 2003, qui place au pouvoir les chiites. Une grande victoire pour les ennemis sacrés des Etats-Unis, les Iraniens... avec une magnifique perspective, un arc structurant le Moyen-Orient : Iran, Irak, Syrie et Liban, avec l’allié qu’est le Hezbollah. Les chiites, qui sont minoritaires, se retrouvent au centre du jeu, voisins directs d’Israël et prêts pour un face-à-face avec l’Arabie Saoudite, terre de tous les Musulmans, sunnite mais décalée dans le monde sunnite, car elle professe la lecture intégraliste du wahhabisme.

Les premières manifestations syriennes de Homs, cette ville très ouverte, en mars 2011, se sont heurtées à la répression du pouvoir, mais rapidement, le processus s’est emballé, nourri par cette idée simple : la population, majoritairement sunnite, va se retourner contre la minorité alaouite, qui gouverne avec le soutien des chiites.

De notoriété, les Etats étrangers sunnites ont volé au soutien de l’opposition : d’abord le Qatar, financeur et se voulant maître à penser des Frères musulmans, ensuite l’Arabie Saoudite, qui au nom du wahhabisme, a supplanté le Qatar, et recrute, finance, arme les djihadistes… La Turquie se met moins en avant, mais Erdogan fait tout ce qu’il peut pour combattre le régime de Damas. La Jordanie penche bien sûr du côté de son puissant voisin saoudien, mais le régime connaît bien sa fragilité, et essaie de garder la distance.

Le pari aurait pu être réussi en atténuant la dimension religieuse du conflit, en refusant la violence pour jouer sur la force populaire que donne l’importance de la majorité sunnite, et en cherchant des solutions politiques à partir d’un consensus minimal. Mais la radicalisation des groupes djihadistes, le nombre important de combattants étrangers, les divisions entre une « Armée syrienne libre (ASL) » et les groupes radicaux, comme le Front al-Nosra, proche d'al-Qaida, les surenchères Qatar-Arabie Saoudite, ont fini de casser la dynamique, et la population n’a pas basculé.

En début d’année, El-Assad marquait beaucoup de points, et l’Arabie Saoudite, via le prince Bandar Ben Sultan, a repris les choses en main, dégageant le Qatar, et mobilisant à tour de bras.

La réponse a été l’engagement du Hezbollah, venu combattre à Homs, à Qoussaire – repris aux rebelles – et près de Damas, pour protéger le mausolée de Sayeda Zeinab, et de brigades venues d’Irak.

Une logique a remplacé une autre, et on est depuis clairement dans une guerre de religion infra-musulmane.

La rupture des sunnites et des chiites date des premiers temps de l'Islam, juste après la mort du Prophète. C’est la grande discorde, «la fitna».

Ce mois de mai, des combattants wahhabites ont massacré le mausolée de Hujr ibn Adi, un compagnon du Prophète et l'un des premiers partisans de l'imam Ali sur qui se fonde la lignée des imams chiites. Le corps du défunt, en terre depuis 1.400 ans a été embarqué et a disparu. Un acte très violent.

Youssuf al-Qaradaoui, prédicateur très connu, diffusé sur al-Jazeera, a appelé aux armes contre les chiites : « Le chef du parti de Satan [ce pour désigner le Hezbollah] est venu pour combattre les sunnites. Maintenant nous savons ce que veulent les Iraniens. Ils veulent poursuivre les massacres pour tuer les sunnites. Comment 100 millions de chiites à travers le monde peuvent-ils vaincre 1,7 milliard de sunnites. C'est seulement parce que les musulmans sunnites sont faibles.»

Les enjeux géostratégiques amplifient ce conflit religieux. L’Arabie Saoudite veut casser cet arc chiite, et la Turquie fait tout pour que son puissant voisin passe sous gouvernement sunnite. A l’inverse, si la Syrie gagne, l’Iran devient la grande puissance du Moyen-Orient et pourra porter son empreinte sur les pays du Golfe. Pour échapper au détroit d’Ormuz contrôlé par l’Iran, l’Arabie Saoudite et son allié US ont le projet d’un pipeline traversant la Syrie, mais il faut pour cela faire dégager El-Assad.

Il est très difficile d’écrire sur ces sujets sans se fâcher avec des amis, qui vivent ces enjeux de feu. Je n’ai pas à prendre parti de ce conflit religieux, qui repose sur des ressorts puissants que seuls connaissent les croyants et les érudits. Simplement, au regard des débats français, il faut dire que la guerre en Syrie est devenue une guerre de religion.

Une intervention armée de la France appellera des représailles, et engagera la mécanique de l’engrenage. Le terrain est miné, et nul n’a la force pour contenir la contagion. Prendre part au fracas des armes, c’est choisir d’importer cette guerre de religion. Qui le veut ? 


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