Actions sur le document

Un Cahuzac ne cache pas l'autre

Justice au singulier - philippe.bilger, 17/04/2013

On sait, enfin, que rien ne tue jamais les personnalités politiques. Les médiocres survivent, alors les exceptionnelles bien davantage ! Je prends un pari : on reverra Jérôme Cahuzac dans l'espace public. Si la conscience de sa valeur, la justice ayant passé, ne le fait pas précipiter un mouvement naturellement cicatrisant.

Lire l'article...

Hier, j'ai pu voir Jérôme Cahuzac (BFMTV) puis l'entendre grâce à la complaisance d'un chauffeur de taxi qui m'emmenait à LCI pour un plateau exceptionnel que Michel Field - c'est toujours un bonheur de l'entendre questionner - avait convié pour analyser la déclaration de l'ancien ministre. Il avait bien voulu m'agréger à ce dispositif et j'avais pu ainsi parler de mon livre "La France en miettes" (Fayard), en librairie à partir d'aujourd'hui.

L'exercice auquel s'est livré Jérôme Cahuzac, quand il a été annoncé, m'est d'abord apparu comme prématuré. Trop peu de temps entre l'opprobre et l'indignité l'accablant et la manifestation enregistrée de sa repentance. J'aurais souhaité plus de silence, plus de décence.

Mais j'avais sans doute tort tant l'entretien mené par l'excellent Jean-François Achilli - ce n'était pas Claire Chazal en face de DSK dans des échanges concertés et au fond insignifiants ! - a permis à Jérôme Cahuzac de faire valoir toutes les facettes d'un talent capable de se plier à toutes les circonstances : celles de la réputation et de la maîtrise politiques comme celles de l'infortune et de la disgrâce. C'était le même Cahuzac qu'hier mais seulement, au lieu d'avoir à affronter Jean-Luc Mélenchon, il se devait de présenter une vision plausible de son incroyable dérive, de son mensonge officiel et donc capital. Au lieu du Cahuzac flamboyant et imprégné de la conscience de sa supériorité, il nous a proposé un Cahuzac flamboyant mais à petit feu, modeste, retenu, presque émouvant, en tout cas acharné subtilement à gommer les arêtes d'un tempérament qui faisait de lui un corrompu original : non pas de faconde et de jovialité mais, contre toutes les règles du genre, abrupt, sec et ne dédaignant pas déplaire pour se retrouver seul à s'aimer. Encore de l'orgueil mal placé...

Que les réponses de Jérôme Cahuzac aient été soigneusement calibrées et son maintien composé dans ses plus infimes détails me semble une évidence mais qui pourrait le blâmer sur ce plan ?

Il demeure que malgré l'apprêté, la part de sincérité était forcément considérable puisque les aveux antérieurs de Jérôme Cahuzac ne l'autorisaient pas à emprunter des chemins de dérivation et des itinéraires de lâcheté. Autrement dit, cette opération, pour atteindre son objectif, était condamnée heureusement à une forme d'authenticité qui n'était pas contradictoire avec le grand art et la maestria du processus de contrition. D'autant plus que Cahuzac - qu'on le voue aux gémonies ou non - n'était considéré comme un médiocre par personne et qu'on pressentait qu'il aurait été capable à lui seul de mener à bien cette entreprise de dédiabolisation (Le Parisien).

En le regardant, en l'écoutant, en technicien de la parole et de la conviction, j'admirais le travail.

Trois axes principaux par ordre croissant d'importance.

Le premier consistait dans les banalités signifiantes et obligatoires que tout discours doit s'imposer. Révérence à l'égard de la justice, rectification de certaines informations amplifiant le caractère sulfureux et choquant de sa fraude : seulement 600 000 euros fruit de son travail, discussion sur les conflits d'intérêts au risque de paraître ergoter.

Le deuxième difficile à mettre en évidence a été impeccablement géré. Il s'agissait, dans cette conversation pugnace mais courtoise, de quitter le champ politique pour entrer dans celui des mystères de l'humain. Cahuzac n'était plus un ancien ministre qui avait trahi, par un mensonge éclatant sur son passé, les devoirs de sa charge mais une psychologie et une curiosité humaines, quasiment dignes de compassion. Tout y est passé avec en particulier la référence à la part d'ombre de chacun qui à mon sens était moins une menace qu'une volonté de susciter un consensus sur notre humanité clivée, tantôt obscure tantôt transparente. Je me prenais à goûter ses répliques comme celles d'un Jean Valjean du riche.

Le dernier, le plus délicat, a consisté à ne pas insulter l'avenir. Dénégations sur un éventuel financement politique, mise hors de cause du président, du Premier ministre et de Pierre Moscovici, désir de ramener l'affaire à soi seul et de couper court à toutes les interprétations tendancieuses qui pourraient faire de lui la composante discutable d'un système malhonnête, abandon de la députation, son futur laissé dans le flou mais apparemment déconnecté de la politique. Tout était destiné à couper le cordon entre d'un côté la gauche et le pouvoir socialistes et de l'autre Jérôme Cahuzac.

Une observation et une prévision pour terminer.

L'unique faiblesse de cette machine de repentance était sans doute son excellence. De sorte qu'elle risquait de ne pas toucher les esprits et encore moins les coeurs mais de susciter une curiosité distanciée pour l'exercice de style. Bravo à l'artiste plus qu'au ministre et à l'homme défaits !

On sait, enfin, que rien ne tue jamais les personnalités politiques. Les médiocres survivent, alors les exceptionnelles bien davantage !

Je prends un pari : on reverra Jérôme Cahuzac dans l'espace public. Si la conscience de sa valeur, la justice ayant passé, ne le fait pas précipiter un mouvement naturellement cicatrisant.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...