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François Hollande cédera-t-il ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 2/01/2013

Mais au moins, véritablement de grâce, qu'on cesse de nous présenter El Shennawy sur le plateau médiatique comme un héros pénitentiaire. Qu'il soit libéré mais qu'on ne nous oblige pas à applaudir. Pour ma part, à choisir, contraint d'arbitrer, j'aurais toujours ses victimes plus qu'El Shennawy dans le coeur, dans la tête. A chacun son sens de la justice.

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Philippe El Shennawy est dernier héros pénitentiaire de l'intelligentsia et des personnalités que les condamnés émeuvent et qui signent des pétitions pour ceux qu'elles ont sélectionnés.

Depuis à peu près un mois, médiatiquement, la situation d'El Shennawy nous est rapportée d'une manière à la fois fidèle et biaisée.

Cet homme de 58 ans a été condamné à de multiples reprises pour des vols à main armée et des évasions. Il a passé trente-sept ans en prison et ne sera libérable qu'en 2032, à l'âge de 78 ans.

Les pétitionnaires soulignent à l'envi qu'il n'a pas "de sang sur les mains", comme s'il s'agissait du seul critère de la malfaisance impardonnable.

Dans quel monde, dans quelle société vit-on pour que celui qui attire l'attention sur les méfaits et leur légitime sanction soit quasiment obligé de se justifier face aux protestations d'humanisme faciles et confortables des bonnes âmes qui ne se demandent pas une seconde ce que sont devenues les victimes des agissements criminels d'El Shennawy, qui apparemment devraient le remercier parce qu'elles sont encore vivantes ?

Pourquoi, d'ailleurs, ce ciblage exclusif de la part des compassionnels orientés sur ce condamné-là ? Quelle pulsion subite a saisi cette catégorie d'intellectuels, d'avocats et d'écrivains pour qu'ils se mobilisent ainsi ?

Michel Wievorka qui semble être aux origines de cette entreprise médiatico-progressiste ne cache d'ailleurs pas sa préoccupation fondamentale. Au-delà du cas d'El Shennawy - qu'il qualifie "d'inhumain" -, il souhaite "poser la question du fonctionnement du système pénitentiaire et de ces peines de prison infinies". Infinies par rapport à quoi ? Infinies au regard de la gravité infinie de certains crimes ? Infinies si on considère le traumatisme durable créé chez ceux qui ont croisé la route de ces transgresseurs ? Infinies, parce que la douleur et la dévastation seraient souvent infinies mais que les sanctions n'auraient pas le droit de l'être ?

Cette vision délibérément hémiplégique de la vision judiciaire, cette occultation choquante de tout ce qui a précédé la réalité de la prison et l'a rendue nécessaire sont profondément choquantes. Je me souviens du bel article de Florence Aubenas (Le Monde) où, avec délicatesse, elle ne nous racontait en détail que les épreuves subies, paraît-il, par El Shennawy et glissait sans insister sur sa part criminelle et ses indéniables responsabilités dans la prolongation de sa trajectoire carcérale.

On oublie de mentionner qu'El Shennawy, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, a bénéficié d'une libération conditionnelle au bout de quinze ans, ce qui est exceptionnel, et que par la suite l'institution judiciaire n'a pu, en face de ses actes et de la violation des prescriptions qui lui avaient été imposées, que répondre comme elle l'a fait.

El Shennawy a fait une longue grève de la faim, une tentative de suicide. Une nouvelle demande de libération conditionnelle a été rejetée.

Son avocate a obtenu une confusion des peines pour quelques années et a souligné lucidement "qu'on est passé de la nécessité de redonner un sens à sa peine à celle de redonner un sens à sa vie". Me Virginie Bianchi, puisqu'il s'agit d'elle, assume pleinement son rôle et ce n'est pas elle que j'aurais envie de critiquer.

Mais que fera-t-il de sa vie, justement, quand il sera libéré ?

Le millier de personnes qui a déjà signé l'appel et qui ne connaît rien d'autre que la face favorable de cette destinée, qui au fond se réduit seulement au fait que pour ses crimes il a subi une réclusion de trente-sept ans, n'a pas la moindre idée du fond des dossiers et de la gravité des transgressions. Mais on signe sans savoir. Ce n'est pas important.

Michel Wievorka proclame que "notre mobilisation ne faiblira pas et qu'il y a urgence" et il se serait entendu dire que "François Hollande n'était pas indifférent à ce dossier" (Le Parisien).

Les pétitionnaires attendent une décision de grâce de la part du président de la République. Quand on voit certains noms et qu'on pressent quel sera le conseil du garde des Sceaux, peut-être même l'avis officieux de Valérie Trierweiler, je ne me fais aucune illusion. François Hollande cédera. Il faudrait un courage intellectuel, judiciaire et politique inouï pour résister à une telle pression qui pourtant n'est imprégnée que d'un humanisme à sens unique.

François Hollande n'aura pas ce courage, je le crains.

Mais au moins, véritablement de grâce, qu'on cesse de nous présenter El Shennawy sur le plateau médiatique comme un héros pénitentiaire. Qu'il soit libéré mais qu'on ne nous oblige pas à applaudir.

Pour ma part, à choisir, contraint d'arbitrer, j'aurais toujours ses victimes plus qu'El Shennawy dans le coeur, dans la tête.

A chacun son sens de la justice.


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