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Projet de redressement pour Arnaud Montebourg...

Justice au singulier - philippe.bilger, 24/02/2014

Mon projet de redressement pour Arnaud Montebourg peut se résumer en un mot : qu'il s'oublie. Il existe, on le sait. Il parle remarquablement, on l'entend. Il est beau, on le voit. Qu'il se contente de démontrer que le ministre est à la hauteur de ce qu'on lui prête et qu'il doit rendre avec gravité, compétence et allure. J'aime beaucoup Arnaud Montebourg.

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J'aime beaucoup Arnaud Montebourg et j'ai donc très envie de le châtier, mais avec toute la délicatesse dont je suis capable.

Ce n'est pas seulement la nostalgie qui m'habite quand je songe au brillant avocat qui a défendu, entre autres, avec l'incomparable Thierry Lévy, Christian Didier l'assassin de René Bousquet. Le monde politique d'aujourd'hui ne regorge pas à ce point de talents et de paroles dignes de ce nom pour qu'on puisse négliger Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, quelles que soient les oppositions de fond qu'il suscite et qui ne le gênent pas tant il adore, la plupart du temps, batailler et convaincre.

Mais, sans l'offenser, je voudrais lui présenter un projet de redressement qui a cette particularité de le concerner au premier chef.

Je l'ai vu et entendu débattre avec Marine Le Pen sur RTL-LCI. Si on tente d'examiner froidement les échanges et puisque nous n'étions pas loin, dans la vigueur, d'un match de boxe, j'arbitrerais en faveur de la femme contre l'homme et de la présidente du FN contre le ministre. Marine Le Pen a gagné aux points. Mais là n'est pas l'essentiel.

A vrai dire, je n'en suis pas si sûr car Arnaud Montebourg qui a cru l'emporter aux poings aurait sans doute dominé sa contradictrice s'il avait bien voulu se dispenser d'une attitude qui en définitive a plus nui à sa cause qu'elle n'a aidé son argumentation. Je ne crois pas qu'il a sous-estimé son adversaire mais en revanche, il est clair - c'est sa faiblesse - non pas qu'il se surestime mais qu'il dilapide de l'énergie et de la concentration dans la représentation de soi en train d'éblouir et dans une dérive périphérique qui le tient sous son propre charme et lui fait oublier que la victoire ne peut être décrétée qu'à la fin. Ce n'est pas à lui d'entonner, à chacun de ses mots, après chaque répartie, le péan d'un triomphe prématuré.

Ses qualités, ses dons, sa singularité de savoir exploiter, avec Christiane Taubira, magnifiquement le verbe ne lui sont pas inconnus. D'autant plus qu'il n'est personne qui, médiatiquement, ne les lui rappelle pas. Mais ce n'est pas à lui d'en faire ostensiblement et à chaque seconde étalage. Qu'il laisse les autres en décider même si dans son for intérieur il a le droit de se convaincre que la cause est entendue et qu'il est le meilleur. Parce qu'à force de l'afficher avant l'heure, il suscite l'envie d'être injuste avec lui après l'heure.

D'autant plus que je ne suis pas enthousiaste devant la posture dont il raffole, qu'il cultive trop et qui, à la longue, s'éloigne de l'élégance à la fois personnelle et orale du personnage. Il éprouve en effet le désir constant d'insérer sa parole intrinsèquement impeccable dans une gouaille, une désinvolture fabriquée, voire une touche de vulgarité qui ne le rendent pas proche, comme il le pense, de ceux qui l'entourent, l'écoutent ou le contredisent mais au contraire lui font perdre une supériorité que son intelligence, sa capacité d'analyse et de réplique et son art des mots lui octroieraient naturellement.

Cette tendance éclate à chaque instant, aussi bien quand il se contraint aux intonations "peuple", qu'il jette des regards, parfois, vers ses amis pour vérifier s'il séduit que dans son rapport aux journalistes, quand il s'étonne, avec une fausse fraîcheur, que l'émission soit déjà terminée. Ce n'est pas l'incontestable Montebourg que celui qui sans répit s'enivre de n'être pas un ministre ordinaire et joue, en prétendant rester simple, sur tout ce qu'il a reçu et qui ne devrait pas l'emplir d'une vanité d'autant plus perceptible qu'il cherche à la dissimuler sous une apparente cordialité.

Les rapprochements démagogiques qu'il tente sur certains plans ne lui profitent guère. Au contraire, ils mettent en lumière ce que son esthétique et son indiscutable valeur gagneraient à demeurer comme une chance et pas sans cesse comme un capital à exploiter, une mine à creuser et une publicité à promouvoir.

Parce qu'Arnaud Montebourg est quelqu'un dans un sens exemplaire, il serait bien avisé d'user de la litote dans le regard qu'il porte sur soi et de ne pas le charger, considérant les autres, d'un parfum de condescendance et de supériorité.

Même si la riposte était de bonne guerre, pour traiter une seconde du fond, se servir du père pour accabler la fille - l'hérédité au soutien de la vérité ? -, fulminer contre les vociférations du FN à proportion même de ce qu'il sentait d'étrangement concordant entre certaines de ses positions et celles du parti honni ne constituaient pas la plus pertinente, la plus fine des argumentations (20 minutes).

Mon projet de redressement pour Arnaud Montebourg peut se résumer en un mot : qu'il s'oublie. Il existe, on le sait. Il parle remarquablement, on l'entend. Il est beau, on le voit. Qu'il se contente de démontrer que le ministre est à la hauteur de ce qu'on lui prête et qu'il doit rendre avec gravité, compétence et allure.

J'aime beaucoup Arnaud Montebourg.


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