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La fuite des... responsabilités.

Justice au Singulier - philippe.bilger, 30/10/2015

Une ultime interrogation : si les pilotes étaient condamnés en France, dans quel pays se rendraient-ils ensuite pour réclamer une justice à leur goût, une justice qui n'aurait le droit que de les croire ?

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J'ai très mauvais esprit. Cela doit résulter du fait que pendant plus de vingt ans à la cour d'assises de Paris, j'ai entendu beaucoup plus de coupables contester les crimes qu'ils avaient commis que les reconnaître.

Dès l'origine, quand les deux pilotes du Falcon 50, Pascal Fauret et Bruno Odos, ont été interpellés, avec Alain Castany membre de l'équipage et Nicolas Pisapia passager, par les autorités dominicaines au mois de mars 2013, il était facile de prévoir l'imbroglio qui allait s'ensuivre (Le Monde, Le Parisien, Le Figaro).

L'avion qu'ils s'apprêtaient à faire décoller de l'aéroport de Punta Cana contenait 680 kg de cocaïne.

Le 14 août, ses quatre occupants étaient condamnés pour trafic à 20 ans d'emprisonnement.

Ils interjetaient appel de cette décision. Alors que le ministère public s'opposait à la remise en liberté des deux pilotes qui avaient déjà subi quinze mois de détention provisoire en arguant d'un risque de fuite, le tribunal de Saint-Domingue avait fait droit à leur demande en leur interdisant de quitter le territoire dominicain.

Castany et Pisapia étaient également placés sous contrôle judiciaire et demeurent à la disposition de la justice dominicaine dans l'attente du procès en appel.

Pour, paraît-il, un si piètre état de droit, il était en tout cas capable d'une mansuétude et d'une naïveté dont probablement la justice française n'aurait pas su faire preuve.

Lors de leur condamnation à tous quatre, même si apparemment ils continuent à protester de leur innocence, des éléments ont été portés à notre connaissance par les médias français, notamment sur les circonstances de leur interpellation et l'acheminement, par une voie détournée, des 26 valises contenant la cocaïne dans l'avion. Ils permettaient de considérer qu'il y avait pour le moins matière à enquêter, à soupçonner, voire à condamner, globalement ou en partie.

La fuite des deux pilotes Fauret et Odos prétendant s'en remettre à la justice française me fait songer, toutes proportions gardées puisque Battisti avait commis deux assassinats et était complice de deux autres, au comportement de fuyard de ce dernier qui placé sous contrôle judiciaire par la chambre d'accusation de Paris en avait profité pour disparaître.

Les modalités du retour en France de MM.Fauret et Odos - en bateau puis en avion - ont été maintenant dévoilées par un criminologue français et spécialiste de la sûreté aérienne, Christophe Naudin, qui s'est chargé de la partie "opérationnelle" de l'entreprise pour un coût de 100 000 euros financés par des "donateurs". Le député européen FN Aymeric Chauprade aurait, lui, recueilli la demande des familles pour l'exfiltration des pilotes. Ceux-ci - ancien commandant de la Marine pour Odos et ancien lieutenant de vaisseau pour Fauret - auraient bénéficié de la solidarité active de marins et de militaires de l'Aéronavale. Un Sénateur UDI des Français à l'étranger, Olivier Cadic, n'a cessé d'affirmer l'innocence - à partir de quoi ? - de Fauret et Odos en se permettant de dénoncer l'attitude du pouvoir qui les aurait abandonnés.

Cette sauvegarde collective faisant échapper les deux condamnés à leur procès en appel en République dominicaine qui n'est pas un Etat totalitaire, loin de m'apparaître comme un processus honorable et patriotique, ressemble fort à une soustraction opportune à la justice dominicaine.

Quelle étrange attitude que de profiter, pour échapper à leurs responsabilités, de soutiens fidèles, anciens, prêts à tout en abandonnant Alain Castany qui juge "leur fuite irresponsable et déloyale" et Nicolas Pisapia qui invoque son honneur et sa volonté de se voir innocenté par la justice dominicaine ! Quel singulier et désinvolte propos que celui de Pascal Fauret exprimant qu'il n'était pas "marié avec Castany et Pisapia" ! Cette manière de quasiment se vanter d'avoir fait "justice" à part ne laisse pas d'étonner de la part de personnalités ayant profité au contraire d'une aide discutable mais altruiste...

Outre le sentiment d'une totale indifférence à l'égard des deux qui sont restés et risquent de subir les conséquences judiciaires de cette disparition, je ne peux pas m'empêcher d'éprouver la trouble impression que cette fuite des uns et ce maintien en République dominicaine des autres cachent autre chose que ce qui nous est présenté publiquement mais peut-être la traduction d'une implication inégale dans le trafic de cocaïne concerné.

La procédure dominicaine se poursuivra avec l'appel mais une information avait déjà été ouverte à Marseille, au mois de février 2013, pour des présomptions d'un très vaste trafic de cocaïne dans lesquelles l'interpellation du mois de mars 2013 a ajouté sa pierre.

Bruno Odos a déclaré qu'il n'avait pas "peur" et qu'il n'avait "rien à se reprocher". Pour l'instant, contre lui et Pascal Fauret - celui-ci a choisi un second avocat, Me Dupond-Moretti, il est donc très coupable ou très innocent ! -, n'existe que la condamnation dominicaine.

Pour le procureur général de la République dominicaine, "leur fuite est une preuve supplémentaire de leur culpabilité". C'est un point de vue qui peut se soutenir mais Me Dupond-Moretti qui n'a plus le choix nous dit qu'ils sont innocents. Alors ?

Pour ma part, je refuse de me laisser enfermer dans un patriotisme de mauvais aloi. Je déteste plus les trafiquants de cocaïne que je ne me sens solidaire avec des Français qui en seraient coupables.

Une ultime interrogation : si les pilotes étaient condamnés en France, dans quel pays se rendraient-ils ensuite pour réclamer une justice à leur goût, une justice qui n'aurait le droit que de les croire ?


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